Juliet Berto, la fille de l'air et du feu
Une Ariel contemporaine
Ne jamais dire jamais : l'expression irait comme un gant à Annie Jamet quand, en passant de l'autre côté du miroir-écran, elle s'est transformée en devenant Juliet Berto. Un premier lapin blanc aurait déjà été le metteur en scène de théâtre Michel Berto avec qui elle se marie. Jean-Luc Godard est un autre lapin blanc dont elle fait connaissance à l'occasion d'une projection des Carabiniers (1963) à Grenoble, sa ville de naissance. Sensible à sa nature gouailleuse, sa moue triste et ses grands yeux d'animal mélancolique, l'enfant terrible de la Nouvelle Vague lui confie plusieurs rôles dans Deux ou trois choses que je sais d'elle (1967), La Chinoise (1967) et Week-end (1967), puis dans Le Gai Savoir (1968) et Vladimir et Rosa (1970). Dans la peau de Patricia Lumumba pour Le Gai Savoir, ce film éducatif commandé par l'ORTF juste avant Mai 68 qui a refusé de le diffuser après, Juliet Berto a pour partenaire Jean-Pierre Léaud, son double, son frère, qui lui donne la répartie en jouant Émile Rousseau.
Ces deux enfants parmi les plus beaux de la Nouvelle Vague vont suivre un autre lapin blanc, encore un et pas des moindres puisqu'il s'agit de Jacques Rivette dans l'aventure sans équivalent de Out 1 : Noli me tangere (1970). Ce chef-d'œuvre monstre de l'après Mai improvisé dans les rues parisiennes en totale liberté est une fugue libertaire et labyrinthique, une herbe folle qui a eu besoin de pousser la durée jusqu'à frôler les treize heures afin de faire coïncider Balzac avec Lewis Carroll. C'est d'ailleurs Juliet Berto qui invite Jean-François Stévenin à y faire pour sa première apparition au cinéma une entrée fulgurante en titi parisien fan de Marlon Brando. La gamine Berto retrouvera Jacques Rivette deux fois, pour Céline et Julie vont en bateau (1973) en participant à son écriture et Duelle (1975) pour un tournage plus préparé. Céline la prestidigitatrice et Léni la fille de la lune auront illuminé le cinéma français des années 70.
Juliet Berto est une fille de l'air et du feu, une Ariel contemporaine qui habite une île de cinéma au milieu de la tempête de la modernité. Une magicienne d'aujourd'hui qui a tiré de son chapeau les sorts, lèvres sanguines et voix traînante, regard embrumé et mains virevoltantes, lui permettant de glisser à la surface gelée des vitrines de la fantasmagorie urbaine sans tomber dans les eaux glacées de la marchandise. La sorcière Berto a soufflé dans les images les formules nouvelles d'une merveilleuse féminité, tirant ses puissances des insolences de l'adolescence et des écarquillements de l'enfance, toute une mélancolie joueuse et joyeuse.
Un havre pour affronter les années d'hiver
C'est le moment où Juliet Berto, célébrée par le chanteur Yves Simon qui lui dédie tout un album forcément intitulé Au pays des merveilles de Juliet (1973), traverse un autre miroir en s'essayant à la mise en scène, à la télévision pour des téléfilms et des séries, au théâtre aussi avec La Vie singulière d'Albert Nobbs d'après Georges Moore en 1977. Après un premier court-métrage peu vu, Babar Basses'mother (1974), Juliet Berto tourne trois longs-métrages de fiction, Neige (1981), Cap Canaille (1982) et Havre (1986). Les deux premiers films sont réalisés en compagnie de Jean-Henri Roger qui devient alors son nouveau compagnon, lui qui a été des aventures maoïstes de Jean-Luc Godard en intégrant le groupe Dziga Vertov puis, en rejoignant l'université de Vincennes, l'un des membres du collectif Cinélutte avec Richard Copans et François Dupeyron, Jean-Pierre Thorn et Jean-Denis Bonan.
Avec Neige, un micro-territoire balisé par Barbès, Place Blanche et Pigalle est un triangle magique où le documentaire sur un Paris créole et forain cultive les archétypes du réalisme poétique des années 30. La tribu est généreuse et mélangée avec la faune des homos et des travelos, des arabes et des antillais, des dealers et des drogués. Elle inclut aussi des acteurs amis (Jean-François Stévenin rencontré chez Rivette et Robert Liensol vu chez Med Hondo), des connaissances de passage (l'acteur Eddy Constantine, la chanteuse Anna Prucnal, les réalisateurs Okacha Touita et Robert Kramer et puis Nini Crépon qui défie les identités de genre, aussi le chanteur Bernard Lavilliers et Raymond Bussières en vieux de la vieille). Les circuits courts du documentaire et de la fiction dévoilent cependant les courts-circuits des commerces toxiques. C'est la diagonale du fou, la drogue, blanche et tranchante, qui fait d'un avatar reggae de Basquiat un ange de la mort. Les cafés souterrains ont alors pour hauteurs insoupçonnées les grands appartements des publicitaires qui tirent sans risque profit du trafic d'héroïne, ces lofts qui donnent sur la Tour Eiffel dévorée par une brume blanche comme neige. La neige qui se répand dans les veines en faisant virer le rouge au bleu, mortelle alchimie.
Sorti dix jours après la victoire de François Mitterrand, Neige voit à sa manière arriver les années d'hiver comme en parlera Félix Guattari. Et avec la même et terrible lucidité que Le Pont du Nord du grand frère Jacques Rivette tourné la même année. Le nouvel âge glaciaire de la gentrification et des drogues froides et dures qui feront d'un Paris populaire et métissé un souvenir aussi irréel que le Paris de Studio des films de Marcel Carné et Jacques Prévert. L'île aux pirates est asphyxiée quand elle devient une boule à neige, une bulle d'héroïne. Juliet Berto étend ainsi la carte des sociétés secrètes rivettiennes en s'intéressant à des figures ignorées par la Nouvelle Vague. Cette flibustière du réel est en cela proche des productions Diagonale initiées par Paul Vecchiali à l'exemple du magnifique Simone Barbès ou la Vertu (1980) de Marie-Claude Treilhou, proche aussi de Franssou Prenant quand elle tourne Habibi (1983).
Les sorcières sont immortelles
(pyrrhosoma nymphula)
Cap Canaille et Havre continuent à bricoler dans les marges fertiles de la fiction et du documentaire, le premier à Marseille gangrenée par la mafia de l'immobilier, le suivant au Havre enveloppé des nouvelles brumes électroniques des jeux vidéo. Juliet Berto s'y fait toujours une ethnographe des fantaisies urbaines et des cancers qui en rongent la part de rêve. Le savoir y est toujours gai mais le gai savoir n'empêche pas d'être mélancolique, cette mélancolie dont prend soin le regard de Juliet Berto.
Dans les films des autres la fille de l'air et du feu se fait plus rare. Dans les années 80 Juliet Berto tourne pour des réalisateurs à la sensibilité proche quand ils ne sont pas des amis. Comme elle des flibustiers, des compagnons de galère et des outsiders à l'instar de Jacques Doillon (La Vie de famille, 1984) mais aussi de l'exilé américain Robert Kramer (Guns, 1980), du portugais João Botelho (Conversa Acabada, 1981), de la libanaise Jocelyne Saab (Une vie suspendue, 1984), de l'algérien Merzak Allouache (Un amour à Paris, 1986). Sans compter quelques apparitions chez le copain Gérard Courant, émouvantes quand on y voit que la sylphide, qui est aussi une vestale sans foyer sinon celui du feu sacré qui brûle en elle, est déjà un spectre, de passage comme un phalène.
Juliet Berto n'a pas encore quarante ans et, pourtant, on sent monter dans son corps les flammes d'un incendie ravageur, l'âge terrible des vies qui ne dureront pas en donnant pourtant le sentiment qu'elles auront duré mille ans. Attrapée par une saleté de crabe qui lui dévore la poitrine de l'intérieur comme la Marcia Baïla de la chanson des Rita Mitsouko, notre Ariel en cinéma s'éteint le 10 janvier 1990 à l'âge de 42 ans. Mais l'on sait bien qu'une sorcière ne meurt jamais, jamais vraiment. Les images sont alors des sorts qui nous font sortir de nous-mêmes, toujours dehors comme le peuple des forains, toujours nomade comme le peuple tout court. Les sortilèges continuent d'exercer leurs effets de séduction pour qui désire reconnaître en Juliet Berto une grande sœur pour notre piraterie, immortelle Anne des Indes et flibustière de nos Antilles pour demain qui a toujours déjà commencé aujourd'hui.
Juliet Berto tu es la pyrrhosoma nymphula de notre cinéma
Comme notre salamandre est Bulle Ogier ta sœur jumelle
Ariel est une petite nymphe au corps de feu
Qui nous met le feu et fait toute notre joie
En rouge et noir tes couleurs sont nos couleurs
Dans la grâce de ta flibusterie il ne saurait y avoir le choix
AR SC - 8/01/2022
AR SC - 8/01/2022
Maurice Pialat, le cinéma au couteau
Le cinéma de Maurice Pialat a le désir du réel. Le réel est ce qui fait mal, c'est la blessure dont la douleur est un indicateur de vérité, intraitable et indicible. La puissance d'authenticité de ses films tient à l'arrachement du vrai depuis la facticité des conditions de leur fabrication. Quand le réel survient en marqueur du vrai, c'est toujours contre : le tournage contre le scénario puis le montage contre le tournage ; les acteurs contre eux-mêmes et le documentaire contre la fiction. Le cinéma contre lui-même : une agonistique. Le cinéma de Maurice Pialat est celui où les raccords tracent au couteau les cicatrices entre lesquelles on lit que le mal est fait autant que l'amour existe.
Le temps passe et presse là où ça fait mal
Fils d'un commerçant auvergnat qui a déménagé dans la région parisienne, élevé enfant par sa grand-mère, Maurice Pialat aspire dans sa jeunesse à devenir peintre. Il suit à l'époque des cours à l'école nationale supérieure des arts décoratifs et expose même au Salon des moins de trente ans à la Libération. Le garçon a vingt ans à peine mais le rêve de peinture auquel il tient tant finit par être rattrapé par les nécessités ordinaires, bouffé par les exigences de la vie matérielle. Le jeune Pialat enchaîne alors les petits boulots, visiteur médical et représentant de commerce, il fait un peu l'acteur au théâtre. On ne découvrira son travail pictural qu'après sa mort en 2003.
Au début des années 50, Maurice Pialat acquiert une petite caméra Pathé 16 mm. et tourne en muet ses premiers courts-métrages dont le ton ésotérique et secret semblerait aujourd'hui bien éloigné de ses futures préoccupations esthétiques. Encore que le fantastique représente une façon d'attester la frappe traumatique du réel, son excès et sa force d'imprévisibilité jusqu'à l'hallucinatoire. Un réaliste, un vrai, est celui qui sait que la réalité est la peau nécessaire à l'éclat jaillissant du réel qui l'érafle jusqu'à la douleur du vrai. Et Maurice Pialat est un grand réaliste, qu'il tourne une chronique modeste de l'adolescence populaire ou adapte la métaphysique du mal de Georges Bernanos.
Ses premiers essais en amateur restent plutôt confidentiels mais ils attirent cependant l'attention du producteur Pierre Braunberger (il a travaillé avec Jean Renoir et Jean-Luc Godard, Alain Resnais et Jean Rouch) qui lui donne les moyens d'un vrai court-métrage professionnel : c'est L'Amour existe (1960). En filigrane des vues documentaires et du commentaire à propension sociologique, sourd plus qu'une mélancolie. C'est un cri, déjà, celui d'une révolte devant l'intégration mutilante des gens de peu dans la machine à broyer d'un conformisme petit-bourgeois pervers quand le progrès et la consommation servent à reproduire les inégalités. Le film est récompensé à la Mostra de Venise avant de recevoir deux autres prestigieuses distinctions, le Prix Louis-Delluc et le Prix Louis Lumière. La carrière de Maurice Pialat marque pourtant le pas. Le temps passe et presse, il appuie là où ça fait mal.
Après l'abandon de la peinture, le cinéma tarde en effet à s'imposer et ce sont deux blessures que vont se passer tous les films à venir. L'abandon, la solitude et le ressentiment qu'il suscite, voilà la blessure originelle, voilà le sang colérique et noir abondant dans le cinéma de Maurice Pialat.
L'impression à fleur de peau
1959 est l'année du triomphe de la Nouvelle Vague et les succès de la bande des Cahiers du Cinéma, Claude Chabrol, François Truffaut et Jean-Luc Godard en tête, facilitent le financement des films de jeunes réalisateurs qui veulent se soustraire à l'assistanat. Il faudra pourtant attendre dix ans pour que Maurice Pialat arrive enfin à se lancer dans l'aventure de son premier long-métrage et le différé a nourri le différend avec la Nouvelle Vague qu'il a toujours honnie à l'exception de Jean-Luc Godard.
Maurice Pialat continue malgré tout de travailler en réalisant des courts-métrages qui témoignent à divers titres d'une grande sensibilité esthétique. Comme un peintre impressionniste mais la touche à vif, l'impression à fleur de peau : au couteau. Ainsi la dérive nocturne, sexuelle et masculine de Janine (1962) tourné avec Claude Berri dont Pialat est le beau-frère ouvre bien des pistes pour des films comme Loulou et Police. En 1964, il a la chance de pouvoir partir en Turquie avec l'opérateur Willy Kurant pour une série de six films, Chroniques turques, qui rappellent que sa référence ultime demeure le cinéma des origines, celui des frères Lumière. On retient entre autres Maître Galip, évocation sans apprêt d'un artisan dont l'existence de besogne se tient entre les vers tranchants du poète turc Nazim Hikmet. Un an plus tard, il tourne six épisodes pour la série des Chroniques de France produites par la Gaumont et celui consacré à Auvers-sur-Oise et Van Gogh montre la fidélité et la persévérance du réalisateur dans ses obsessions picturales. Avec Arlette Langmann, la sœur de Claude Berri, il travaille sur un projet situé dans le Nord qui porte sur l'Assistance publique et, surtout, sur les heurts et malheurs de l'adoption. Claude Berri et Mag Bodard s'associent pour le produire sur l'initiative de François Truffaut malgré l'hostilité nourrie contre le représentant de la Nouvelle Vague qui, lui, a toujours admiré Pialat.
En 1968 L'Enfance nue est projeté à Venise et le film reçoit en 1969 le Prix Jean-Vigo. Maurice Pialat a 43 ans et il fait preuve d'une remarquable maturité qui rattrape le blocage des années de jeunesse bloquées. Sa manière est vibrante jusqu'à l'intolérable en faisant retentir des notes extraordinaires de l'enquête documentaire d'Arlette Langmann sur les enfants de l'Assistance. On pense forcément aux 400 coups (1959) de François Truffaut mais Pialat procède par décapage sec et refuse tout effet de séduction. François l'adopté est un bloc de douleur cruel et mutique, le témoin des filiations impossibles et ratées quand, comme l'a si bien exprimé le critique Jean Narboni, le mal est fait. L'enfant qui passe d'une famille à l'autre est l'incarnation douloureuse, pour les autres comme pour lui-même, d'un échec irrémédiable qui se transmet comme une maladie, une tare. Le reste appartient aux histoires, grandes et petites, bribes et stigmates de la Seconde Guerre mondiale, de la tradition ouvrière et sa culture de la solidarité opposable aux violences de l'exploitation minière et patronale, aux salles de cinéma et aux nouvelles formes de la violence juvénile qu'elles abritent. Tout est vrai dans L'Enfance nue et tout fait mal. Les acteurs non professionnels, en particulier le couple Thierry, incarnent avec une souveraine sérénité une puissance de vérité dont la force irradie jusqu'à la brûlure et c'est en adoptant leurs douleurs que l'on devient réellement le spectateur du film qui les respecte et les sublime.
Dans L'Enfance nue une douleur muette fait l'effet d'une lame froide et un regard-caméra transperce le plan en déchirant le ventre. La vie qui souffle glisse dans les intervalles qu'elle égratigne au passage, elle mord la joue des enfants qui passent et vole à bas bruit la vie des vieillards qui trépassent. Des impressions à fleur de peau marquent qu'un événement a eu lieu et cela s'appelle le cinéma : le cinéma à nu, l'émotion à l'os. Du grand art, déjà.
Le mal de vivre
L'Enfance nue est le premier long-métrage de Maurice Pialat et c'est son premier chef-d'œuvre. Maurice Pialat peut alors enchaîner en tournant deux films très personnels, Nous ne vieillirons pas ensemble (1972) et La Gueule ouverte (1974), ainsi qu'une commande pour la télévision, le feuilleton La Maison des bois (1971) réalisé pour la seconde chaîne de l'ORTF. Il tourne entre-temps comme acteur dans Que la bête meure (1969) de Claude Chabrol. Dans le rôle du commissaire interrogeant le garçon qui a tué son père, l'acteur réalisateur lui pose cette question : « Tu ne vois pas que ta vie est foutue ? ». Il y a tout Pialat dans cette réplique d'un film qu'il n'a pourtant pas tourné. La Maison des bois est exceptionnel en prenant tout le temps donné par le genre du feuilleton afin de redéployer plusieurs caractéristiques de L'Enfance nue, la ligne générale (les enfants adoptés) désormais (rétro)projetée dans le contexte historique de la Première Guerre mondiale qui est une époque intéressant tout particulièrement le cinéaste. Le résultat rayonne d'une tendresse qui est aussi la contrepartie des tristesses sans remède tout en peaufinant le paradoxe cruel d'une enfance paradisiaque cultivée à l'ombre de la boucherie de 14-18. La Maison des bois est l'œuvre la plus généreuse du réalisateur et son tournage reste le plus chaleureux qu'il ait jamais entrepris. Pialat a toujours désiré être un auteur populaire et, après une merveilleuse expérience télévisuelle, il le prouve avec son deuxième long-métrage qui est un succès critique et public avec plus d'1,7 millions de spectateurs et un prix d'interprétation à Cannes pour Jean Yanne. L'acteur qui a reçu la Palme a cependant avoué qu'il n'avait absolument rien compris à la méthode d'un réalisateur avec qui il ne s'est jamais entendu. Il y a des malentendus moins féconds et d'autres encore ne tarderont pas à éclore en piaulant la peau du cinéma de Pialat.
Adapté d'un récit autobiographique, Nous ne vieillirons pas ensemble radicalise un grand motif du cinéma moderne, celui de la scène de ménage qui traverse le cinéma de Rossellini et Antonioni, Bergman et Godard. Pour Maurice Pialat, la scène de ménage est une expression de la vie malade d'elle-même, de la débandade d'Éros. Ici c'est la vie d'un couple, l'amante Marlène Jobert en nymphe et le mari infidèle Jean Yanne en bête humaine, qui persiste à ne pas crever et qui pour cela se blesse encore et encore pour continuer à pouvoir agoniser ensemble malgré tout. Un couple meurt et le désamour est une dispute qui abolit le temps dans une sorte de présent répétitif et bloqué, de piétinement circulaire et interminable. L'épuisement progressif de ses protagonistes fait dès lors sauter le principe de non-contradiction cher à Aristote en comprimant le désir d'en finir et de n'en pas finir en même temps. Comme si l'agonie représentait paradoxalement du temps gagné sur la mort de l'amour en dépit de l'entropie qui gagne toujours à la fin. Ce qu'il reste après la fin est une image éternelle, celle d'un bonheur sauvé de la noyade d'un machisme qui finit exsangue à force d'auto-intoxication.
Le motif de l'agonie est expérimenté avec plus de radicalité encore à l'occasion du film suivant, La Gueule ouverte, une œuvre au noir, brute de découffrage et sans concession, où l'insoutenabilité de la mort a pour corollaire l'indignité des vivants qui survivent tant mal que bien aux mourants. À chaque plan-séquence, la durée coule et c'est la vie qui s'en va comme le sang d'une blessure. Avec la mort qui gagne du terrain à l'intérieur de la mère atteinte d'un cancer, la décomposition des corps et celle des rapports déblaient le passage en ouvrant un espace à une honte sans partage : honte de la mère (Monique Mélinand) qui meurt comme un chien et honte de ceux, père (Hubert Deschamps), fils (Philippe Léotard) et belle-fille (Nathalie Baye), qui n'ont qu'une hâte, celle qu'on en finisse. La mort est l'irréparable pour qui en est la proie ; la vie de ceux qui restent est l'irrémédiable avec lequel il faut pourtant tenter de vivre. La mort d'un retour au pays en Auvergne qui finit avec un travelling-arrière en forme de sauve qui peut la vie. Les spectateurs n'ont pas voulu suivre la voie asphyxiante d'un cinéaste prêt à montrer qu'il avait ouvert le caveau familial pour affirmer que la vie n'est qu'un cas particulier de la mort. La Gueule ouverte est un bide au box-office et, en mettant fin à la volonté de Pialat d'être son propre patron de cinéma, cet échec le contraint à reproduire le destin malheureux de son père, petit commerçant ruiné.
Maurice Pialat a mis quatre années à se remettre du plus grand échec de sa carrière. Après deux projets avortés, il revient avec un film modeste avec l'aide de l'assistant Patrick Grandperret, Passe ton bac d'abord (1978). Tournée à Lens comme une suite possible à L'Enfance nue, la chronique de l'adolescence respire le vrai en transpirant de l'écran et elle permet à son auteur de renouer avec le succès. Le vrai est celui avec lequel on ne saurait transiger parce qu'on ne négocie pas quand le mal est fait. Les rires francs de la camaraderie virile étouffent la possibilité d'autres sexualités ; la libido qui bouscule le sexe des adolescents fait la nuit la honte de leurs parents ; les frustrations rentrées d'une condition ouvrière qui borne l'horizon des possibles sont partagées par les plus jeunes comme par leurs aînés, même leur professeur. Le réalisme de Pialat n'est pas psychologique ou sociologique, c'est un naturalisme qui fraie ses passages entre la cuisson de la fiction et le crudité du documentaire en plongeant dans l'obscurité des frottements de l'animal et du social. Et les frayages de la pulsion sont aussi décisifs que les gestes participant à désœuvrer la bêtise qui, elle, n'a pas besoin de forcer pour s'imposer en toute obscénité. Des gestes : c'est par exemple la tendresse du regard qui sauve tout ce qu'il peut de la glu grise d'une France durablement en crise ; c'est ailleurs le sourire innocent des acteurs non amateurs aussi bons mais autrement que les professionnels. Mine de rien, Passe ton bac d'abord est devenu avec le temps le sésame du jeune cinéma français des années 90, celui de Patricia Mazuy et Emmanuelle Bercot, Xavier Beauvois et ÉmilieDeleuze, Cédric Kahn et Laurence Ferreira Barbosa, Noémie Lvosky et Catherine Corsini.
Chez Maurice Pialat l'étude d'un milieu social donné se voit toujours prise à revers par l'approche en peintre d'un milieu charnel. Voilà comment le cinéaste renouvelle le grand héritage du réalisme français et ce qu'il a réussi avec Passe ton bac d'abord, il trouve à le réinvestir avec Loulou (1980), film de transition passionnante puisque se mêlent à la troupe des acteurs lensois du film précédent les grands acteurs professionnels, Guy Marchand, Isabelle Huppert et Gérard Depardieu. Loulou est à la fois le contrechamp adulte de Passe ton bac d'abord et le versant féminin de Nous ne vieillirons pas ensemble. Cette fois-ci l'adultère est traité du point de vue de l'épouse qui trompe son mari en étant immunisée contre tout jugement moral, protégée de toute sanction morale de la part du scénario. C'est une pure affirmation vitale, un désir intraitable et non négociable autour duquel boxent le mari bourgeois et l'amant prolétaire tandis que Nelly avorte en accueillant dans son corps le faux-raccord des rapports sociaux en corrélat de l'impossibilité du rapport sexuel. La danse de vie s'excède et s'épuise, ivre ou dépressive, et ses pas de deux en passant à trois incisent dans la fiction de grandes ponctions documentaires portant sur les rapports tendus entre Paris et sa province proche (la banlieue et ses loulous) ou plus lointaine (la France rurale et ses laissés pour compte).
En finir avec ce cinéma-là
Loulou est un nouveau succès critique et commercial mais Maurice Pialat n'en est pas satisfait. L'insatisfaction et le ressentiment ont toujours été des carburants pour un cinéaste qui pratique son art comme le moyen d'une remise en question perpétuelle, d'un repentir réitéré. Une crise qui est celle de la vie elle-même et dont le cinéma est un monde qu'il faut arpenter le long des sentiers bornés par les douleurs du vrai. À nos amours (1983) représente à ce titre un sommet de l'œuvre, une montagne : le film d'une crise radicale du cinéma de Pialat. Pourtant tout y est, tout est là, l'intimité du matériau biographique (qui appartient à nouveau à Arlette Langmann), les grandes scènes de dispute (rarement égalées depuis tant l'hystérie qui s'y joue à plein est celle du tournage lui-même), le génie des frictions dans la distribution (l'agent artistique Dominique Besnehard jour le frère, Pialat lui-même interprète le père et la fille est jouée par une actrice débutante qui crève l'écran, Sandrine Bonnaire). Les amours frivoles de Suzanne, une ado si jeune et déjà si triste qui fait l'amour comme une fuite en avant, font la liaison avec Passe ton bac d'abord tandis que les névroses familiales se voient contaminées par celles que le cinéaste cultive à dessein sur le tournage.
C'est un élément déterminant de la méthode Pialat : sur le plateau les acteurs ne savent jamais quand la caméra tourne ou bien quand elle est coupée. La durée prolongée des tournages fait le reste. C'est pourquoi la tension est palpable jusqu'à l'orage d'une ultime dispute où Pialat remonte dans le film qu'il était prêt lui-même à abandonner pour y semer une pagaille monstre. Le règlement de compte avec son propre cinéma qu'il pousse dans ses ultimes retranchements coïncide avec celui du cinéma français de l'époque recuit par son goût du naturel. Le bateau ivre est rageur à l'extrême et son capitaine a le génie colérique que Michelet prêtait à la Révolution française. Van Gogh arrive, Claude Berri en prend pour son grade, Cyril Collard apprend sa leçon, Pialat reçoit une vraie gifle et Sandrine Bonnaire s'envole sur Klaus Nomi pour l'éternité.
À nos amours est un autre chef-d'œuvre récompensé du César du meilleur film ; c'est aussi une fin de cycle grandiose pour son auteur qui n'a dès lors plus d'autre envie que d'aller se faire voir ailleurs. Cela va être le cas, exemplairement, avec les trois films suivants : Police (1985), Sous le soleil de Satan (1987) et Van Gogh (1991). Le critique Jean-Michel Frodon a vu juste : cette passe de trois représente comme trois exercices de style, trois commandes que Maurice Pialat se serait passées à lui-même en jouant en stratège le jeu d'un cinéma plus convenu mais le classicisme attendu se doit pour ne pas verser dans l'académisme d'être à chaque fois ébranlé par les courants de fond d'un naturalisme radical. Le film policier, l'adaptation littéraire et la biographie de l'artiste représentent en effet des genres largement plébiscités par le cinéma français d'alors soumis au volontarisme culturel de Jack Lang. Pialat est alors produit par Gaumont piloté par Daniel Toscan du Plantier, un proche du pouvoir donc ça devrait le faire. Hors Pialat est un réfractaire, un indiscipliné de toujours et jouer le jeu aura pour lui consisté à renverser le plateau pour y imposer un autre jeu qui n'est rien moins que le sien.
Dans Police, le commissariat de Belleville reconstruit en studio avec des moyens inhabituels pour Maurice Pialat accueille l'anarchie des commerces entre fiction et documentaire qui sont des trafics licites et illicites, murs en plastique et claques pour de vrai. L'enquête menée par la scénariste Catherine Breillat enveloppe le noyau dur d'une masculinité défaite dont va s'emparer le cinéaste pour construire le portrait fragmentaire d'une France à la dérive, désorientée, larguée. Tandis que Richard Anconina en avocat véreux encaisse, la novice Sophie Marceau endure vaillamment mais sa duplicité lui permet de gagner progressivement la partie sur Gérard Depardieu, plus paumé que jamais devant des réalités métissées qui brouillent la méthode policière de l'identification. Le fonctionnaire de l'aveu se change ainsi en l'homme tragique du désaveu face à l'inavouable mutation d'une société mélangée qui n'est plus tout à fait ce qu'elle a été. Un plan retient l'attention : le visage de François Truffaut décédé l'année précédente est regardé par Depardieu comme un hommage tardif, autre repentir à l'égard du représentant de la Nouvelle Vague qui avait aidé Pialat à l'époque de L'Enfance nue mais que ce dernier n'appréciait pourtant pas. Malgré un tournage chaotique, Police est un nouveau carton en délivrant la vérité d'un genre seulement taillé pour opérer le gardiennage et le triage national des identités sociales et raciales. Pialat poursuit son ambition en s'attaquant à Bernanos et il sait qu'il a derrière lui un grand maître en la matière, Robert Bresson et son Journal d'un curé de campagne (1951). Avec Sous le soleil de Satan le cinéaste revient dans le Nord et il y renoue très fort avec le peintre qu'il a été. Le fantastique des films amateurs de la jeunesse prend ici la figure de Satan dont les tentations nourrissent des croyances délirantes, littéralement hallucinantes. Les paysages impressionnistes se colorent ainsi d'un expressionnisme inédit. Gérard Depardieu pour sa troisième prestation chez Pialat trouve dans le personnage de l'abbé Donissan un rôle d'exception pour le forçat qui incarne la foi comme un combat de taureaux entre le bien et le mal.
Le dernier aveu (la tristesse durera toujours)
L'art de Maurice Pialat est celui d'une croyance radicale dans les puissances d'incarnation et de désorientation du cinéma, c'est pourquoi il n'a pas hésité à remuer la glaise du monde pour en arracher les morceaux qui palpitent de la vie elle-même. Toute la vie, sa chair même quand ça fait mal. Surtout quand ça fait mal. La remise de la Palme d'or reste à cet égard un moment inoubliable quand, sous la huée d'un public hystérique, le cinéaste lève le poing en affirmant ceci : « Je ne vais pas faillir à ma réputation : je suis surtout content ce soir pour tous les cris et les sifflets que vous m'adressez. Et si vous ne m'aimez pas, je peux vous dire que je ne vous aime pas non plus ». Pialat revient quand même à Cannes quatre ans plus tard avec Van Gogh (1991). C'est un autre grand film où la culture célébrant post mortem l'auteur des Tournesols tombe comme une peau morte du corps émacié du suicidé de la société incarné avec une fébrilité extrême par Jacques Dutronc à juste titre récompensé du César de la meilleure interprétation masculine. Pialat filme comme Van Gogh peignait : au couteau. Les 67 derniers jours de sa vie représentent la vie en dents de scie consciente qu'elle va finir, une vie de chien galeux et solitaire qui faute de tendresse érafle la peau des proches comme un reproche, celui de l'irrémédiable dont témoignent comme des soleils les œuvres qui restent. L'héritier de Jean Renoir dans les mélanges du faux et du vrai, autrement dit de l'artifice et du spontané s'impose aussi comme celui de John Ford. Il faut à cet égard voir et revoir la scène de danse collective au bordel revenue du bal de Massacre de Fort Apache : c'est une danse macabre dédiée à la Commune et sa fosse commune.
Pialat est un réalisateur populaire parce qu'il est aussi l'un des rares cinéastes français qui a filmé frontalement la France et ses douleurs profondes, son racisme avec ses origines coloniales et ses boucheries de la semaine sanglante en mai 1871 à celles de la guerre 14-18, sa ruralité agonisante et sa modernité qui liquide les structures villageoises et familiales au risque assumé d'un certain conservatisme.
Van Gogh est encore un chef-d'œuvre doublé d'un grand succès en salles à l'instar de Nous ne vieillirons pas ensemble et Police. Pourtant, Maurice Pialat ne le sait pas encore mais le film qu'il tourne quatre ans après, Le Garçu (1995), sera son tout dernier. Le retour à l'autobiographie fait du Garçu le pendant évident de La Gueule ouverte quand la mort du père succède désormais à celle de la mère. Mais l'âpreté a cédé une large part du lion à l'enfance qui s'incarne dans celle du fils du cinéaste, Antoine Pialat, qui joue celui du personnage de Gérard Depardieu. L'enfance est un royaume souverainement indifférent aux tangages parentaux, une fuite en avant de la vie plus forte que tout ressentiment. Une humeur océanique monte des Sables d'Olonne à l'île Maurice en donnant à l'espace entre les scènes comme des blocs la possibilité d'une insufflation nouvelle et archipélique. L'enfance nue reste nue mais ceux qui souffrent sont moins les enfants que les parents découvrant que leurs enfants commencent déjà à ne plus les regarder. La non réciprocité de ce regard est un couteau de couteau, le lard du gros Gégé qui tombe en grasses tranches de jambon. S'il y a une douceur nouvelle dans l'œuvre de Pialat, elle se disperse cependant à la fin dans les larmes pudiques d'une jeune mère jouée par Géraldine Pailhas qui, en silence, voit qu'il y a toujours un désastre dans les liens qui se défont.
Le cinéma de Maurice Pialat aura été hanté par la vie douloureuse et le cinéma se devait de l'être aussi sincèrement que possible. Sa passion du réel à fleur de peau, les plans de cinéma qui en témoignent l'auront fait au couteau des scénarios écrits et réécrits pour être abandonnés, des tournages difficiles dans la valse des acteurs et techniciens virés et repris, des coupes au montage malmenant la chronologie des narrations. La pratique du cinéma comme une agonistique : un gueuloir qui s'exerce jusque dans le chutier, un métier à reprendre incessamment, une toile qui n'en finit pas d'accueillir les repentirs. Quand le réel saillit, il entaille. Quand il dure, c'est une douleur plus lente et insidieuse mais elle ne fait pas moins mal. En durant le réel agonise en laissant à ceux qui crèvent de désirer rester en vie, coûte que coûte, le soin de composer des images possibles de l'irrémédiable. La cruauté n'a pas d'autre couture qu'à l'endroit où le mal est fait. Et le mal est fait quand la méchanceté a pour envers une demande de tendresse impossible à satisfaire. Vivre mal c'est encore vivre.
Le Garçu est un film qui, s'il a été produit en dehors de la maison mère Gaumont par Philippe Godeau, augure de nouvelles respirations, océaniques, exigeant que son auteur en imagine un nouveau montage. Il n'en aura pas le temps. Dans les dernières années de sa vie, Le cinéaste souffre d'insuffisance rénale et il a dû subir le tourment des dialyses trois jours par semaine. Alors l'irrémédiable tombe en laissant place à l'irréparable : Maurice Pialat décède le 11 janvier 2003 à l'âge de 77 ans. L'œuvre qui reste est une île dans le paysage du cinéma français, une montagne insulaire qui a vaincu la mort de son auteur en laissant à notre méditation l'inavouable malgré tout. L'aveu que Pialat a relayé à la fin de Police avec la citation de Jacques Chardonne disant que le fond de tout est horrible. Et surtout à la fin d'À nous amours en attribuant lui-même cette phrase apocryphe à Van Gogh : la tristesse durera toujours.
Pour aller plus loin :
Cannes Classics 2021 : actrices-réalisatrices
Le Label Cannes Classics ne met pas en avant uniquement des films mais aussi des figures révolutionnaires du cinéma mondial. Si les noms de Ana Mariscal ou de Kinuyo Tanaka n'évoquent rien ou peu au public européen, ils ont pourtant une importance capital dans l'histoire du cinéma des pays où elles sont originaires.
Ana Mariscal est par exemple une pionnière dans la production et réalisation de films en Espagne (première femme réalisatrice à l'instar de Alice Guy en France) alors que Kinuyo Tanaka, plus connue pour sa très longue carrière en tant qu'actrice (près de 250 rôles à partir des années 20 pendant l'époque du cinéma muet jusque dans les années 70), a quant à elle été la première réalisatrice à émerger dans le cinéma japonais d'après-guerre. Elle est la seconde femme à accéder au statut de réalisatrice juste après Tazuko Sakane dont la carrière a débuté avant la Seconde Guerre Mondiale en 1936 (après avoir collaboré comme assitante réalisatrice de certains films de Kenji Mizoguchi).
Même si pour l'instant nous n'avons pas pu acquérir de films réalisés par Ana Mariscal ou Kinuyo Tanaka, nous pouvons quand même vous proposer d'emprunter ou de visionner (la sélection comporte un film numérique) des films (une infime partie de sa carrière) :
La Chine fait ses cinéma

La Chine est un empire, au cinéma aussi
Il y a les films produits en Chine continentale qui s'exportent de plus en plus à l'international. Et puis il y a les films en provenance des autres Chines, Hong-Kong et Taïwan, mais aussi Singapour et Macao, qui sont récompensés dans le monde entier.
La Chine est un empire qui se conjugue au pluriel, la diversité des titres et des réalisateurs en témoigne. Le cinéma de genre s'y porte très bien, du film de sabre (wu xia pian) avec le maître King Hu et son disciple Tsui Hark, en passant par le polar avec John Woo et Johnnie To. Sans oublier, enfin, le kung-fu bien connu en France avec ses stars, Bruce Lee et Jackie Chan.
Le cinéma d'auteur est très bien représenté également. Que l'on pense en particulier aux taïwanais Hou Hsiao-hsien et Tsaï Ming-liang. Que l'on songe encore aux grands cinéastes contemporains de la Chine intérieure comme Jia Zhang-ke et Wang Bing.
Nous vous proposons de découvrir notre sélection de DVD et de livres dédiée aux cinématographies chinoises en vous invitant à profiter également des documents vidéo disponibles sur ce sujet du côté des ressources offertes par la Médiathèque Numérique.
Brian De Palma, la passion des images
Enfant de l’Amérique des années 60, Brian De Palma est le contemporain des turbulences de l'époque, non seulement de la Nouvelle Vague en France, mais aussi de la médiatisation d'une actualité politique brûlante, Guerre du Vietnam et assassinat de JF Kennedy.
L’étudiant en sciences physiques dans la prestigieuse université de Columbia en a développé une passion jamais démentie pour les images. Il en tire une pédagogie mélancolique et doloriste dès lors que la vérité des images tient au savoir de ses puissances de leurre et des regards impuissants à ne pas se laisser capturer. Alfred Hitchcock s'impose alors comme le maître de Brian De Palma, mais pour autant que son meilleur élève est aussi le plus indiscipliné. Le réalisateur est un artiste maniériste qui applique les leçons apprises en les profanant afin d'évaluer ce qui reste, autrement dit ce qui résiste du grand cinéma classique à l'ère postmoderne de la société du spectacle et de la pornographie du tout visible.
Le cinéaste des premiers films indépendants new-yorkais (The Wedding Party, Hi, Mom !) et des films de genre des années 70 (le thriller avec Sisters et Pulsions, le film fantastique avec Carrie et Furie) a ensuite varié les registres à partir des années 80, avec un succès inégal. Les films-cultes (Scarface) côtoient les films incompris (Body Double), les chefs-d’œuvre mélancoliques (Blow Out, L'Impasse) précèdent les cartons commerciaux (Les Incorruptibles, Mission : Impossible) ou bien les bides (Mission to Mars).
Avec les années 2000, l'errance européenne est de mise pour un cinéaste qui a participé à écrire avec Martin Scorsese et Francis Ford Coppola les grandes heures du Nouvel Hollywood. Le néo-baroque s'essaie tour à tour à des expérimentations narratives à demi convaincantes (Femme fatale), au retour classieux mais vain au film noir classique (Le Dahlia noir) ou à la critique frondeuse de la présence militaire étasunienne en Irak (Redacted), au film d'espionnage raté (Domino) comme au remake réussi (Passion).
Voir ou revoir les films de Brian De Palma consiste ainsi à s'aventurer dans le dédale des images qui nous glissent entre les yeux et nous font perdre le fil en faisant de cette perte même la source d'un inquiétude qui est un savoir concernant notre désir – celui, inavouable et inépuisable, d'être leurré, encore et encore.
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The Wedding Party (1963-1969)
Brian de Palma a mis six ans à achever son premier long-métrage, tourné avec des camarades de la Sarah Lawrence College comme William Finley et le professeur Winslow Leach. La comédie sur l'engagement de la jeunesse dans les luttes de l'époque a des excentricités modernistes (accélérés et citations, faux-raccords et ralentis) et ses accents satiriques s'incarnent notamment dans le visage d'un acteur débutant appelé à un grand avenir, Robert De Niro.
Hi, Mom ! (1970)
La suite de Greetings permet au jeune Robert De Niro d'être le porte-parole agité du désarroi de la jeunesse contestataire des années 60. Le temps est désormais à la gueule de bois : l'art contemporain se confond avec le voyeurisme hystérique, les tensions raciales se résolvent dans le sang et la médiatisation du conflit vietnamien se réduit à la jouissance du quart d'heure de célébrité promis par Andy Warhol.
Phantom of the Paradise (1974)
Swan, le propriétaire du label Death records, est à la recherche du futur tube planétaire pour inaugurer sa boîte de nuit. Le film est l'histoire de cette quête, de cette musique, de l'homme qui la créa, de la fille qui la chanta et du monstre qui la vola. Le film le plus glam-rock de son auteur qui livre par la bande son autoportrait en artiste maudit mixe plusieurs inspirations littéraires classiques, du mythe de Faust au Portrait de Dorian Gray de Oscar Wilde en passant par Le Fantôme de l'Opéra de Gaston Leroux. Mais aussi des références à la musique pop-rock des années 60-70, en marquant l'esprit d'autres cinéastes comme Georges Lucas avec Star Wars et Leiji Matsumoto avec Interstella 5555.
Carrie (1976)
Carrie, lycéenne introvertie et brutalisée par ses camarades de classe, est clivée entre ses pouvoirs psychiques naissants et l'autoritarisme de sa mère dont la bigoterie ne laisse aucune place à ses transformations adolescentes. Carrie qui est la première adaptation d'un roman de Stephen King est incontestablement l'une des meilleures. Parfait exemple du genre hollywoodien du teen movie dans sa version rouge sang, le film ouvre les vannes d’une horreur sanguinolente dans des séquences mythiques comme la scène du bal de promotion virant au cauchemar sacrificiel. La relation entre une mère et sa fille n'échappe pas à cette dynamique archaïque en montrant avec une frontalité bouleversante la violence dévorante qui peut caractériser l'amour maternel.
Obsession (1976)
Michael Courtland perd sa femme et sa fille dans un kidnapping qui tourne mal. Vingt ans plus tard, il rencontre une jeune femme qui ressemble étrangement à sa précédente compagne et en tombe amoureux sauf que l'histoire semble devoir se répéter inexorablement. Si le modèle ultime de Obsession est Sueurs Froides (1958) de Alfred Hitchcock, il faut apprécier la qualité troublante d'une reprise qui va plus loin que le seul hommage. Le monstrueux y est une question importante en caractérisant la perte terrible subie par le héros joué par Cliff Robertson. Elle s'envisage autrement dans le rapport étroit des conséquences finales à tirer des fantasmes et des réarrangements familiaux après que le mot fin apparaisse à l'écran, avec le maniérisme auquel se prête Brian De Palma en accédant à son noyau incestueux.
Furie (1978)
Robin, jeune garçon doué de pouvoirs surnaturels, est enlevé sous les yeux de son père, Peter. En mettant tout en œuvre pour retrouver son fils, le héros interprété par Kirk Douglas va faire la connaissance de Gillian, une jeune fille ayant aussi des pouvoirs psychiques, et se servir d'elle. Furie est un film très proche de Carrie, des relations parentales conflictuelles aux pouvoirs psychiques découlant de la métamorphose des corps avec l'adolescence. Le film reste inoubliable en raison d'une grande séquence gore, celle de l'explosion finale filmée sous tous les angles du corps de l'ami manipulateur et duplice joué par le machiavélique John Cassavetes.
Blow Out (1981)
Lors d'une séance de prise de sons sur un pont, un ingénieur prénommé Jack est témoin d'un accident de la route mais en réécoutant la bande enregistrée de l'événement, il perçoit un coup de feu qui indiquerait une tentative de meurtre et décide alors de mener l'enquête. En réalisant Blow Out, Brian De Palma pense à deux films où la question de l'analyse d'un son ou d'une image est décisive pour déceler la vérité d'un crime caché : Blow Up (1967) de Michelangelo Antonioni et Conversation secrète (1974) de Francis Ford Coppola. La force du film tient au noyau de vérité caché dans un cri de cinéma dont la puissance de terreur nous rappelle que son origine n'est certainement pas issue de la fabrication habituelle de l'industrie du cinéma.
Scarface (1983)
Le remake d'un classique de Howard Hawks projeté dans l'actualité de l'émigration cubaine est un sommet baroque et extatique du film de gangsters, habité par un Al Pacino plus shakespearien et halluciné que jamais, dans l'un des plus grands rôles de sa carrière. Tony Montana est un prince métèque qui croit au rêve américain de l'enrichissement personnel mais pour autant qu'il en recrache sa version abâtardie et grotesque, cocaïné et parodique.
Body Double (1984)
Lorsque s'affaisse l'industrie hollywoodienne durant les années 80, entre cinéma d'exploitation et pornographie, le modèle hitchcockien en vient lui-même à morfler. Body Double est moins un plagiat de Vertigo qu'un lifting pratiqué sur un cadavre, c'est aussi un geste de survie ultimement romantique pour un homme qui se sait condamné à marner dans les enfers kitsch du bis.
Les Incorruptibles (1987)
Au milieu des années 80, Brian De Palma a besoin d'un succès pour relancer sa carrière et il lui est donné par l'adaptation des mémoires d'Eliot Ness, le célèbre policier qui a combattu la mafia durant la Prohibition. Le film d'une facture assez classique vaut surtout pour la composition ogresque de Robert De Niro en Al Capone et la séquence célèbre de l'escalier filmée au ralenti, reprise anamorphique d'une scène semblable vue dans Le Cuirassé Potemkine de Sergueï Eisenstein.
Outrages (1989)
Le retour sur le traumatisme encore vif de la Guerre du Vietnam s'inspire de faits réels en éclaircissant la part d'ombre du soldat intimement persuadé d'avoir été une bonne âme en dénonçant ses camarades coupables d'un viol atroce. La rêverie sur des douleurs passées révèle cependant l'aveu indicible de la bonne conscience éthique et son impossibilité pratique dès lors que le viol intégral d'une nation par une autre a la couleur des yeux bleus partagée entre la victime et son bourreau.
L'Esprit de Caïn (1992)
L'Esprit de Caïn n'est pas seulement un thriller rendu nébuleux par la personnalité multiple et fracturée de son héros, c'est aussi et surtout une déambulation onirique et labyrinthique à l'intérieur d'une fiction dont les nœuds sont des courts-circuits entre rêve et réalité. Un film étrange et somnambule, profondément schizophrène, qui expérimente l'équivalence folle du réel et du possible en invitant le spectateur à accueillir l'écume imaginaire d'infinies virtualités narratives.
L'Impasse (1993)
Le plus beau film de Brian De Palma est une méditation noire et mélancolique sur le destin et la croyance nécessaire à se battre contre le cercle de la fatalité. Autre sommet de la collaboration avec Al Pacino après Scarface, L'Impasse est la chorégraphie ample et sublime d'un homme vieillissant qui sait que son dernier tour de piste doit s'apparenter à un ballet grandiose sinon rien, pour la beauté du geste.
Mission : Impossible (1996)
Bonjour Monsieur Hunt, votre mission si vous l'acceptez est d'arrêter un homme qui s'apprête à rendre publique la liste secrète des agents infiltrés en Europe centrale, bien entendu ce message s'autodétruira dans quelques secondes.... En adaptant sur grand écran la série TV éponyme des années 60, Brian De Palma s'autorise de nombreux écarts, par exemple en n'hésitant pas à éliminer la première équipe du héros joué par Tom Cruise, mais c'est pour mieux nous offrir pour notre plus grand plaisir des moments de grâces dignes de La Mort aux trousses où, autre exemple, une simple goutte de sueur peut ruiner toute une opération, aussi sophistiquée en soit l'organisation.
Mission to Mars (2000)
Une équipe d'astronautes part en mission de sauvetage sur la planète Mars sans savoir qu'ils vont être confrontés à des phénomènes dépassant l'entendement. Mission to Mars est un film de commande mal aimé qui propose cependant dans sa première partie quelques morceaux de bravoure. On pense en particulier à une émouvante séquence de sauvetage dans l'espace qui tourne mal où une femme affronte devant ses yeux l'image en train de se fixer de la perte de son compagnon et du deuil qui s'ensuivra pour l'éternité.
Le Dahlia noir (2006)
Los Angeles 1947, deux inspecteurs, Bucky et Lee, sont chargés d'enquêter sur le meurtre d'une actrice dont le cadavre est retrouvé dans un terrain vague, le visage atrocement mutilé. En adaptant le célèbre roman policier éponyme de James Ellroy inspiré lui-même d'un fait réel, Brian De Palma reprend avec une fidélité frôlant la désuétude les codes du film noir des années 40, tout en sondant le sexisme et la cruauté intrinsèques à l'industrie hollywoodienne.
Passion (2012)
Dans une agence de publicité berlinoise, une employée et sa supérieure s'opposent dans une rivalité mimétique qui va les entraîner très loin dans la folie psychotique. Remake particulièrement réussi du dernier film d'Alain Corneau, Brian De Palma utilise une nouvelle fois la technique éprouvée du split screen mais pour en renouveler une nouvelle fois l'usage, en faisant de l'écran divisé l'image d'un leurre doublé de la révélation d'une faille réelle dans la psyché de son héroïne.
Domino (2019)
L'horloge du film d'espionnage remontée à l'heure du djihadisme intéresse moins qu'un certain état des lieux, triste d'être accablant, des images lié au trafic global de leur circulation. Les vidéos d'exécution avouent alors horriblement leur inspiration cinématographique en rejoignant avec la corrida la vieille matrice de la mise à mort et sa représentation spectaculaire.
Vous pouvez dès à présent emprunter les documents de notre sélection autour de Brian De Palma
Vincent Price : acteur de l'horreur
Immense fut la carrière de Vincent Price, acteur qui commença à tourner vers la fin des années 30 et traversa sans fléchir les décennies jusqu'au début des années 90 dans l'univers bien connu de Tim Burton. Célèbre pour ses rôles marquants dans des films d'horreur, sa filmographie est aussi bien ponctuée par des personnages de films noirs que par des comédies ou des thrillers. Il a ainsi tourné avec de grands noms du cinéma tels Samuel Fuller, Fritz Lang, Otto Preminger, Roger Corman ou bien entendu Tim Burton.
Son timbre de voix (un point commun avec son compère l'autre grand acteur de l'horreur Christopher Lee) a marqué des générations de cinéphiles mais aussi de mélomanes : l'acteur hollywoodien a été doubleur pour des dessins animés, a participé à des projets musicaux d'envergure (dans des clips musicaux ou des concerts d'amis comme Alice Cooper) et à assuré la voix off dans des films.
Retenons au moins trois participations. La première se situe dans un film injustement peu connu de Tim Burton : un court-métrage et sans doute le plus beau film de sa carrière tout format confondu, Vincent (1982). Vincent Price assure la narration et sert fictivement de modèle absolu au jeune héros de l'histoire. La deuxième participation se situe dans le clip historique (le meilleur clip de tous les temps) de Michael Jackson, Thriller, réalisé en 1983 par John Landis (grand cinéaste de l'horreur). La voix terrifiante de Vincent Price et son fameux rire sardonique sont entendus à la fin. Et enfin dans un genre plus enfantin, sa participation à un projet Disney : le doublage original de la voix du méchant Ratigan dans Basil détective privé (1986) de John Musker et Ron Clements.
Voici ci-dessous une sélection de documents à emprunter ou à découvrir par le biais de nos ressources numériques :
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