Vous pouvez d'ores et déjà consulter le programme sur le site officiel de l'évènement : https://www.tigritudes.com/
Mais aussi venir découvrir à la Médiathèque Edouard Glissant une sélection des films de l'ensemble du continent africain (et d'ailleurs) à emprunter ou à regarder depuis la plate-forme "Médiathèque Numérique".
Big John, un maître de l'horreur (la preuve par cinq)
John Carpenter est l'un des derniers géants d'Hollywood mais Hollywood l'a oublié. Cinq de ses films cultes ressortent en salles grâce à Splendor Films, autant d'occasions de rendre hommage à celui que l'on surnomme Big John, cowboy solitaire comme le sont les comètes.
La singularité du cinéma de John Carpenter tient dans ses paradoxes. Le cinéaste est reconnu en Europe comme un auteur majeur alors qu'aux Etats-Unis, il a longtemps été méprisé. Ses films se présentent comme des variations modestes de genres mineurs qu'il a cependant su pousser dans leur retranchement, avec une précision formelle et un sens de l'abstraction sidérant. Aujourd'hui, tout le monde le cite à qui mieux mieux mais le maverick, lassé d'une industrie qu'il aura si bien servie, a décidé il y a dix ans d'arrêter le cinéma. Le cowboy solitaire poursuit son œuvre avec les musiques spectrales de films fantômes qui tournent en boucle dans le cinéma permanent de nos cerveaux.
John Carpenter a en effet renouvelé de fond en comble le cinéma de genre dans les années 70. Son premier opus, Dark Star (1974), se présente pourtant comme une parodie potache de 2001, l'odyssée de l'espace. Les films suivants sont, quant à eux, des hits du box-office devenus depuis d'inoxydables classiques : Assaut (1976), Halloween (1978), Fog (1980), New York 1997 (1981).
Le premier de ce sublime carré gagnant est une variation virtuose de Rio Bravo (1959), le western de Howard Hawks, projetée dans l'enfer urbain des gangs de L.A. La dignité éthique est le dernier morceau de chair d'un précipité d'humanité résistant à la décomposition morale du monde. Avec Halloween, le genre du slasher connaît son apothéose. Apparaît Michael Myers, le croquemitaine dont le masque livide troue la nuit d'un mal irréductible. Fog est un récit de marins vengeurs dont le cœur appartient à une femme de haute solitude, l'animatrice de radio (Adrienne Barbeau) qui fait lien dans un monde en voie de refroidissement. New York 1997 est un film d'anticipation branché sur les contradictions d'un néolibéralisme autoritaire, jouant une souveraineté (l'état d'exception devenu la règle) contre une autre (Snake Plissken, le héros cyclopéen et punk incarné par Kurt Russell).
John Carpenter est un classique (la symétrie des cadres est langienne, la caméra à hauteur d'hommes est hawksienne) dont le classicisme est une lanterne, une lampe-tempête éclairant l'époque où l'humanité ressemble de plus en plus à une coquille vide.
De l'autre côté du miroir
Et puis arrive le choc de The Thing (1982), chef-d'œuvre de l'horreur incompris à l'heure où l'on fait un triomphe au gentil E.T. de Steven Spielberg. C'est un autre remake d'un film de Howard Hawks, les glaces de l'antarctique infectées par un virus issu des cauchemars de Lovecraft. Le film reste encore époustouflant pour ses effets spéciaux mécaniques qui ébranlent l'équilibre figuratif du genre humain. John Carpenter est allé trop loin, Hollywood le lui fait bien comprendre, il doit alors retrouver la face, se refaire la main. D'un côté, il tourne des films rassurant l'industrie mais qui n'en sont pas moins intéressants, Christine (1983) d'après Stephen King, le road-movie spielbergien Starman (1984) et Les Aventures d'un homme invisible (1992), innovant sur le plan des effets spéciaux et assez hitchcockien. De l'autre, il a encore des envies d'expérimenter avec Les Aventures de Jack Burton dans les griffes du mandarin (1986) inspiré des films de fantômes et d'arts martiaux hongkongais. C'est une nouvelle fois l'incompréhension.
John Carpenter redevient alors un petit artisan du genre aux marges de l'industrie le temps d'un diptyque, autre sommet de son art inquiet de voir ce qui vide la figure humaine et à quoi résiste la dignité des derniers hommes, souvent des parias, des déclassés. Prince des ténèbres (1987) et Invasion Los Angeles (1988) composent en effet un formidable doublet hanté par la pauvreté des années Reagan. Le premier est une version négative et lovecraftienne de l'immaculée conception qui rend hommage au Sang d'un poète de Jean Cocteau. Le second est une allégorie mordante sur les aliénations consuméristes du capitalisme, simple et géniale.
L'horreur, les films de John Carpenter s'y collent en traversant les miroirs de l'idéologie triomphante pour voir l'horreur économique.
Derniers brasiers avant les adieux
On croit à la relance de la carrière de John Carpenter mais les années 90 seront la décennie où le cinéaste jette ses dernières fusées dans la nuit. L'Antre de la folie (1995) est son ultime délire lovecraftien, le film lui-même consumé avant de contaminer l'univers entier. Le Village des damnés (1995) est un autre remake, celui-là d'un classique anglais de l'horreur des années 60, peuplé d'enfants programmés pour anéantir l'humanité. Deux échecs cuisants. John Carpenter force alors ses façons, ses films voient rouge : Los Angeles 2013 (1996), Vampires (1998) et Ghosts of Mars (2001), derniers brasiers en guise d'adieux de sang.
En 2001, John Carpenter a droit à une rétrospective à la Cinémathèque française. Aux Etats-Unis, il est devenu tricard. Deux petits téléfilms pour la série Masters of Horrors et un dernier opus jamais sorti en salles chez nous (L'Hôpital de la Terreur en 2011) achèvent une carrière presque sans faute qui aura démontré qu'Hollywood ne sait plus quoi faire de ses artisans sincères. Il nous reste alors les films à revoir en salles, et puis les musiques pour continuer à faire de nos nuits blanches des rêveries antarctiques.
Peut-être que John Carpenter est devenu semblable aux Grands Anciens chers à Lovecraft, ces entités cosmiques et monstrueuses qui ont existé bien avant nous et qui existeront bien après. Peut-être que, comme Cthulhu, John Carpenter « rêve et attend ».
Dark Star (1974)
Rien ne va plus à bord du vaisseau spatial le Dark Star, après avoir percuté un nuage électromagnétique. Entre la mascotte qui se rebelle et les bombes qui commencent à philosopher, l'équipage est sur les dents. Si Dark Star peut à bon droit être considéré comme un film potache à l'humour parodique (la mascotte est un ballon de plage sur pattes), il ne faudrait pourtant pas passer à côté de son importance. Le film a en effet lancé la carrière de l'un des acteurs et scénaristes, Dan O'Bannon, futur créateur d'Alien.
Fog (1980)
Antonio Bay, une petite ville portuaire de Californie, est au centre d'une malédiction liée à l'histoire de la ville et sa fondation criminelle. Du plus profond du brouillard s'échappent des marins fantômes désireux de venger leur mort perpétrée par les ancêtres des actuels habitants. Fog est tout en nappes : nappes d'un brouillard blanchâtre qui envahit les rues ; nappes de musiques obsessionnelles et synthétiques qui envahissent nos oreilles en préparant aux glaces lovecraftiennes et antarctiques de The Thing.
New York 1997 (1981)
Snake Plissken est chargé de sauver le président des États-Unis retenu captif dans le quartier de Manhattan. L'île est devenue une prison à ciel ouvert où se côtoient petits voyous et grands délinquants. New York 1997 est un film d'anticipation visionnaire sur l'état d'exception et le libéralisme autoritaire. Son anti-héros solitaire et borgne a marqué la culture pop (son double Solid Snake dans le jeu vidéo Metal Gear Solid), un cynique face à la débandade d'un monde où le crime est la loi jusqu'au plus haut sommet de l'État.
Prince des ténèbres (1987)
Quand la religion et la science doivent faire alliance pour faire face à une menace surnaturelle : empêcher l'incarnation du Mal Absolu au sein même de l'Église, ça donne le film le plus mystérieux de Carpenter, un autre film de siège (après Assaut, et toujours dans la droite lignée de Howard Hawks). Il reste difficile au fil des visionnages de clarifier le rôle des protagonistes (qui est enfermé ? qui protège qui ?). Une mention spéciale à Alice Cooper, le célèbre rockeur, dans un rôle ô combien opaque de paria illuminé.
Invasion Los Angeles (1988)
John Nada est un ouvrier nomade en quête de chantiers. Sa croyance dans le rêve américain est ébranlée face aux violences policières exercées contre les habitants paupérisés des ghettos de L.A. La lutte des classes va s'imposer à lui grâce à des lunettes noires lui permettant de décrypter l'idéologie cachée derrière les publicités. Dix ans après Assaut, Invasion Los Angeles est un autre western urbain mais son audace est folle en retournant un récit banal d'invasion extraterrestre en fable anarchiste et anticapitaliste.
SC et AR - le 07/04/2023
Straub !
Quand le vert de la terre brillera à nouveau pour nous
Straub ! Le nom est un point d'exclamation. Il dit la clameur de l'être pour l'une des plus belles clairières du cinéma.
Straub ! Le nom sonne comme une frappe exclamative. Moins un coup de poing qu'une main tendue pour hisser le cinéma avec une rigueur nouvelle, dont le versant est celui d'une infinie générosité, à l'endroit où il ne redescendra plus jamais : l'invention d'une forme radicale qui fait deux choses en même temps – voir ce qui résiste au regard en prêtant l'oreille à ce qui n'a pas été entendu.
Avec sa compagne Danièle Huillet, Jean-Marie Straub est l'un des grands cinéastes modernes. L'un des plus grands du cinéma apparus au tournant des années 60 avec Jean-Luc Godard. Eux et lui se seront en effet ressaisi du cinéma afin de l'orienter dans une direction nouvelle, à la fois critique des formes académiques quand elles tournent le dos aux urgences de l'époque, et créatrice de formes neuves dans la relecture d'œuvres du passé qui font voir la possibilité, dans le présent aliéné, d'un autre présent, émancipé.
Rompre pour montrer les continuités
Pour incarner un grand oui offert au cinéma retrouvé comme l'enfant perdu, il aura fallu d'abord dire non : non à la Guerre d'Algérie.
Né à Metz en 1933, Jean-Marie Straub refuse de faire la guerre aux Algériens et part s'établir en Allemagne. Danièle Huillet, sa compagne en cinéphilie, le rejoint aux alentours de 1958. Caressant alors le désir de réaliser un film offert à Jean-Sébastien Bach, ils en proposent d'abord le projet à Robert Bresson qu'ils admirent. Celui-ci leur répond qu'il ne tient qu'à eux seuls d'accomplir tout le travail nécessaire pour y parvenir. C'est Chronique d'Anna Magdalena Bach (1967), avec sa musique exceptionnellement enregistrée en son direct et sa narration rappelant au grand compositeur qu'il a été l'employé des puissants de son temps. Un grand film, matérialiste et concret, précédé par un diptyque adapté du romancier Heinrich Böll, Machorka-Muff (1962) et Non réconciliés (1965).
Le ton est donné, vivifiant (la vélocité narrative est digne de Fritz Lang) et ciselé (le découpage est acéré comme les griffes d'un chat). Les deux premiers films de Straub-Huillet ramassent un demi-siècle de l'histoire de l'Allemagne et, faisant rupture, marquent des continuités fautives. La RFA est alors le chantre claironnant du nouveau libéralisme en croyant trop vite faire oublier le nazisme.
On ne s'étonnera donc pas que Jean-Marie Straub et Danièle Huillet ont représenté des modèles immédiats pour une fraction non réconciliée de la jeunesse allemande, Rainer Werner Fassbinder en particulier. N'ayant jamais démordu d'une conviction très tôt acquise, ils ont incarné une persévérance leur ayant permis de rayonner au-delà des marges où l'industrie a tenté de les cantonner.
Straub et Huillet sont des cinéastes de rupture qui se dédient à des continuités historiques, lisibles seulement souterrainement. C'est ainsi qu'ils ont inventé des rapports nouveaux entre l'image et le son pour faire voir par la parole ce qui est enfoui dans le paysage. Car le paysage ment en ensevelissant ce qui en est la condition et la restauration de ce qu'il y a de non visible dans cette condition exige aussi le déterrement des textes. Le geste est celui d'une archéologie pour le premier couple égalitaire de l'histoire du cinéma.
Blocs lacunaires, constellations critiques, fusées
Aucun scénario original, aucune vedette mais une économie artisanale et un refus tranché du spectaculaire. Le recours patient est celui des textes confrontés aux paysages, des lectures s'affrontant aux durées, à l'air et les pierres. Au milieu des ruines de la modernité prenant l'allure des statues et des monuments qui pèsent de tout leur poids pour écraser les vaincus, des blocs lacunaires sont agencés, des constellations critiques qui fusent en faisant exploser le consensus s'imposant autant au cinéma qu'à la société.
Des écrivains français comme Corneille et Duras mais aussi Barrès et Mallarmé, des écrivains italiens comme Franco Fortini, Cesare Pavese et Elio Vittorini, des auteurs d'expression allemande comme Engels, Kafka et Hölderlin, des compositeurs comme Bach et Arnold Schönberg : au service des œuvres préexistantes dont ils prélèvent quelquefois seulement des fragments, le cinéma de Straub et Huillet est, fière et frondeuse, une pédagogie de la résistance et beaucoup de spectateurs y résistent encore, les uns intimidés par un formalisme hermétique, les autres par une exigence intellectuelle inhabituelle. Pourtant la culture les intéresse tellement que les énigmes dispersées dans le monde sensible et les langues qui en font résonner la poésie : énigmes des paysages muets et des textes devenus illisibles en ayant rejoint la tradition ; énigmes de l'histoire humaine qui est divine en étant celle d'une libération des besoins et de la domination.
Il n'y a cinéma qu'à la seule condition d'une épreuve, la forme résultant des frictions du réel et de l'idée. Une fois l'épreuve assumée jusque dans ses ultimes tours dialectiques, s'impose le plus beau : le monde de l'égalité de toutes choses, une fois qu'elles sont déliées de leur hiérarchie (culturelle ou naturelle), est toujours aussi celui de la différence, du réel qui se répète en étant à chaque fois un recommencement (d'où qu'il existe plusieurs versions de leurs films, le découpage identique mais les prises différentes).
Pour ceux dont les yeux ne veulent pas en tout temps se fermer
Le cinéma de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet est le site d'une immense sensualité, la clairière d'une extrême sensibilité.
Un cinéma qui a ses histoires et ses lieux en étant ceux du commun. Où la banlieue romaine accueille la parole des pouvoirs qui se refont une santé dans le dos des peuples agités (Othon, 1969). Où le désert s'emplit des rivalités fraternelles et prophétiques qui résonnent avec les fracas politiques contemporains (Moïse et Aaron, 1974). Où la place de la Bastille est dévissée sur son axe pour redonner mémoire aux vainqueurs de ce qu'ils doivent aux vaincus, tandis que les ouvriers égyptiens qui sortent de l'usine annoncent bien des printemps arabes (Trop tôt, trop tard, 1982). Où le peintre qui regarde la montagne arrive à voir enfin qu'elle a été volcan, et la pierre du feu projeté par le soleil (Cézanne, 1989). Où Antigone réitère le non initial à la guerre de Straub en étant la sœur de combat du peuple irakien alors sous les bombes (Antigone, 1991). Où la forêt toscane abrite encore les fantômes des inventeurs de la société nouvelle qui reste encore à venir (Ouvriers et paysans, 2000). Où l'antiquité des dieux oubliés est un chœur célébrant chez les mortels le feu que les immortels ne connaissent pas et qui est celui de la liberté (Ces rencontres avec eux, 2006).
Un cinéma opposant au refroidissement des pierres le feu volcanique des soulèvements, où les surrections sont des insurrections. Un cinéma tenu à la promesse aussi vieille qu'Empédocle se jetant dans l'Etna – quand le vert de la terre brillera à nouveau pour vous.
En 2006, Danièle Huillet meurt. Jean-Marie Straub continue malgré tout, amoindri, blessé mais vaillant. Comment pourrait-il faire autrement ? Straub persévère dans des films courts qui élargissent les auteurs mobilisés (Montaigne, André Malraux, Georges Bernanos). Les dernières pierres de feu jetées contre la France des robots annoncée par Georges Bernanos en 1945. Les dernières cinérites dont le dépôt au milieu des cendres compose un cairn dédié à ceux dont les yeux ne veulent pas en tout temps se fermer.
15/15/2022 - Saad Chakali et Alexia Roux
Le mois du film documentaire
Événement national et incontournable, le Mois du doc propose la découverte de documentaires autour de projections et de rencontres. Deux séances dont une jeune public sont programmées le samedi 19 novembre à 16h à la médiathèque Édouard Glissant en compagnie de vos médiathécaires.
Nurith Aviv, vivre dans l'entre-langues
Signer, 2017, 60 min
En travaillant avec Agnès Varda, Nurith Aviv a été la première directrice de photographie reconnue du cinéma français. Elle est une cinéaste qui construit depuis trente ans une œuvre dont la poétique a pour fondation la langue. Voir un film de Nurith Aviv est une invitation à prendre langue. Redécouvrir alors que la langue a plus d'une aile en se conjuguant au pluriel, c'est pouvoir entendre que nous sommes des mutilés de la langue si nous manquons de comprendre que nous vivons dans l'entre-langues.
Public adolescent et adulte
Bande-annonce
Native American de Giulia Grossmann, 2012, 28 min
Nous vous proposons d’assister en famille à la projection d'un film documentaire pour le jeune public et de partager avec nous vos réactions, émotions, interrogations lors du temps d'échange qui suivra le film.
Synopsis : Dans la forêt des Landes de Gascogne, en Gironde, un groupe de passionnés de la culture du Far-West se prête à des jeux de rôle dans un décor reconstitué. La caméra les suit dans leurs scènes, les montrent prenant corps dans des personnages et des rôles codifiés... Un vrai natif raconte ensuite son histoire, sa vision et son ressenti sur la situation.
Enfants à partir de 8 ans
NATIVE AMERICAN Trailer on Vimeo
Leçon des ténèbres, Nosferatu a 100 ans

Nosferatu a cent ans
(la leçon du précurseur sombre)
Nosferatu le vampire a cent ans, centenaire du vampire. Le film de Friedrich Wilhelm Murnau, le premier chef-d’œuvre du film d’épouvante, est un joyau éternel où se réfracte la vérité sombre du cinéma, comme on parle en science physique de précurseur sombre. C’est parce qu’il dépose dans ces caves obscures que sont les salles de cinéma le savoir fantastique de ce qu’est le cinéma, vraiment, qui est la visitation hallucinatoire des fantômes. Les spectres qui, à chaque projection, se montrent toujours comme des non-morts, comme des revenants.
Soleil noir et homme aux rats
Le prophétisme apocalyptique de Nosferatu le vampire, quand on le ressaisit selon sa portée allégorique propre et ses relectures rétrospectives, se divise selon la ligne de coupe d’une ambiguïté sans résolution ni synthèse, résistant aux analyses, même les plus précoces et savantes, celles de Siegfried Kracauer et de Lotte Eisner. L’homme aux rats originaire de Transylvanie, dont le projet consiste à envahir le monde des vivants à partir d’une opération immobilière, peut en effet tantôt figurer le cliché antisémite du créancier juif, tantôt soutenir la représentation du capitaliste faisant le lit du nazisme. Le parasite demeure la survivance obscène de l’ancienne aristocratie en décomposition avec la modernité, le spectre dont la séduction a pour aiguillon la pulsion de mort.Le film de Friedrich Murnau est un soleil noir qui, en offrant déjà un premier chef-d’œuvre au cinéma d’épouvante à l’époque du muet, est devenu un film-modèle au-delà du genre. Un paradigme des sortilèges du cinéma. Il est même l’un des plus refaits et des plus cités de toute l’histoire du cinéma, de Werner Herzog à Tim Burton en passant par Abel Ferrara, Ghassan Salhab et Nicolas Klotz. Nosferatu sort encore l’expressionnisme du confinement des studios allemands pour l’air frais d’une campagne qui finirait cependant par en être terriblement irradiée, altérée, contaminée. C’est l’un des coups de génie du film (et il y en a tant d’autres) que d’avoir opéré une sortie salutaire hors du repli autiste du caligarisme initié à la fin des années 1910 par le réalisateur Robert Wiene.
Décors réels et droits d’adaptation
Des Carpates reconstituées en Slovaquie près de la frontière polonaise dominée par sa chaîne de montagnes réelle, les Tatras, au château Oravsky Podzamok et celui, en ruines, de Trenciansky pour le plan final, sans oublier les anciens greniers à sel de Lübeck pour la demeure du comte Orlok, et l’église Sainte-Marie à Wismar qui ouvre le film et dont le port accueille l’arrivée funeste du navire, le Demeter : les décors naturels, certes filmés avec une culture largement nourrie de romantisme incluant les gravures de cauchemar de Hugo Steiner-Prag, sont cependant investis d’une inquiétude sans limite qui a réussi, et avec quelle imagination, à s’émanciper du matériau littéraire adapté.On sait que le producteur féru d’occultisme du film, Albin Grau, a cru pouvoir se passer du paiement des droits d’adaptation du roman Dracula dû à la veuve de Bram Stoker. Le risque était alors celui d’un procès qui, parce qu’il a été perdu par la société Prana Film, a imposé la destruction du négatif original et, aussitôt, la sauvegarde secrète et clandestine de quelques copies. Nosferatu est un film miraculeux et miraculé, à lui seul une survivance qui en est, précisément, le sujet.
Hormis les séquences d’intérieur tournées en studio, les effets spéciaux sont rares, surtout localisés dans la fameuse scène du cocher (animation et solarisation) et, non moins fameuse, la mort de Nosferatu (le vampire incarné par l’inoubliable Max Schreck s’évanouit par effet de surimpression).
Les noms de l’acteur principal et du producteur en viennent même à souligner par le plus grand des hasards le sens profond du sous-titre original de Nosferatu, eine Symphonie des Grauens, à savoir « une symphonie de l’horreur ». (Max) Schreck dit en effet la frayeur, tandis que (Albin) Grau signifie gris en allemand dont Grauens est la déclinaison en ayant pour signification la terreur.
Celui qui apporte la peste
(et son bestiaire)
Ailleurs, c’est-à-dire tout le temps et partout, règne un puissant trouble, un magnétisme qui est encore une affaire d’hypnose et de suggestion. Parfois c’est avec peu, par exemple le sourire d’emblée machiavélique de Hutter-Harker. Parfois c’est à l’aide de puissants effets de montage, par exemple avec le voyage avec le cocher (joué par Max Schreck) reposant l’accélération saccadée des photogrammes, avec son fameux carton qui a fait rêver les surréalistes (« Passé le pont, les fantômes vinrent à sa rencontre »). Ou c’est la grande séquence de l’arrivée du bateau dont les effluves écumeuses enfièvrent à distance la fragile Ellen-Mina. On doit encore mentionner l’appui documentaire de la science, et l’on pense alors aux expériences du naturaliste Bulwer-Van Helsing portant sur la mouche gobée par une plante carnivore ou sur le polype et ses tentacules. Déjà le chat avec lequel joue Ellen, ensuite la hyène effrayant les chevaux, l’araignée qui fascine Knock-Renfield, la plante carnivore et le polype translucide comme les mouches et les rats, toutes ces présences animales et végétales inquiétantes exposent l’immortelle poussée conative de la vie organique.La peste en est une autre manifestation également, celle-là virale et bactériologique. D’ailleurs, il se trouve que le nom de Nosferatu, pour ne pas utiliser celui de Dracula, vient du grec nosophoros disant celui qui apporte la peste. Jusqu’au chant du coq final alertant, mais trop tard, le vampire fatalement resté auprès de celle qui s’est sacrifiée pour emporter dans sa mort la vie du non-mort qui est tombée amoureux d’elle. Reste alors le pauvre fiancé qui, éploré, porte malgré tout sur son cou les marques horribles d’une morsure avérant que l’on n’a pas fini avec les ruines, encore à venir.
Le cinéma, ombres et lumières
(et ses revenants qui ont de l’avenir)
Friedrich Murnau est un immense dialecticien de cinéma. Le prouvent Nosferatu (sous-titré Une symphonie d’horreur), et bien d’autres chefs-d’œuvre à l’instar de Tartuffe (1926) d’après Molière, Faust (1927) d’après Goethe puis, en arrivant à Hollywood, L’Aurore (1927) et, tourné à Bora-Bora en compagnie de Robert Flaherty, l’ultime Tabou (1931). Ce film est sorti une semaine après sa mort à la suite d’un accident de la route en Californie. Friedrich Murnau n’avait que 42 ans et son spectre ne cessera plus de hanter tout le cinéma, la Nouvelle Vague en particulier, Claude Chabrol, Eric Rohmer, Jean-Luc Godard, Jacques Rivette et leurs cousins, Jean Eustache et Paul Vecchiali.La dialectique est irrésistible en appartenant au dévoilement même de l’art du cinéma, art contradictoire dont la séduction est ambivalente. Si la lumière du jour troue la nuit en réduisant la part occulte de l’ombre, c’est la lumière du cinématographe qui promet aussi aux spectres de dominer jour et nuit la chambre obscure des salles de cinéma, ce caveau comme celui du vampire. C’est, précisément, la lumière duelle du dispositif de projection cinématographique, à la fois lux (la lumière naturelle du jour) mais lumen (les éclairages artificiels du studio), qui est une vampirisation du vivant en permettant ainsi à la vie inorganique des images d’entretenir, dans les cavernes aux trésors du cinéma, la part de l’ombre qu’abolit, dehors, le soleil seul quand il est à son zénith.
Les fantômes ont de l’avenir, les meilleurs autant que les pires. Les vampires, ces survivances du passé ont de l’avenir, notre hantise. Voilà la terrible leçon de Nosferatu, ce grand précurseur sombre.
Saad Chakali et Alexia Roux, le 07/10/2022
Jean-Luc Godard : le cinéma est révolutionnaire, le cinéma est un mystère
Jean-Luc Godard : on a dit de lui qu'il a été l'enfant terrible de la Nouvelle Vague. Oui, c'est vrai, A bout de souffle en atteste exemplairement mais il y a plus, infiniment plus. C'est même autre chose. Jean-Luc Godard aura été le plus moderne des modernes, le plus grand cinéaste vivant, celui qui a engagé une révolution dans la révolution qu'est le cinéma dans notre rapport au monde.
Le cinéma de Jean-Luc Godard, une révolution dans la révolution
L'œuvre de Jean-Luc Godard est immense, sept décennies de cinéma, environ 200 films, plusieurs dizaines d'interventions écrites et télévisées qui sont autant de prises de position contre le mur des opinions, qui sont autant d'ébranlements dans la sensibilité, autant d'événements pour la pensée. Titanesque, le cinéma godardien est un atlas prométhéen d'images fracturées, images et sons blessés saisis dans l'attente de leur rédemption opérant par montage poétique, qui est toujours démontage et remontage, disjonctif et conjonctif, destituant et constituant.
Années critiques aux Cahiers du cinéma (1949-1958), années pop et Anna Karina (1959-1965), premières années rouges (1966-1968), années militantes post-mai 68 (1969-1973), années grenobloises vidéo (1974-1979), années suisses (1979-1997), derniers poèmes cosmopolites (2001-2018) et années Histoire(s) du cinéma (1980-2018) : les périodes scandent le trajet hors norme d'un cinéaste dont l'oeuvre, réduite aux titres les plus célèbres (A bout de souffle, Le Mépris, Pierrot le fou), a fait époque.
La seule tradition que Jean-Luc Godard s'est au fond reconnue, avec celle des correspondances de Baudelaire à Freud en passant par les romantiques et les surréalistes, Siegried Kracauer et Walter Benjamin, est celle des oubliés et des offensés. La tradition messianique des vaincus et des opprimés, exploités et dominés, juifs et immigrés, femmes et enfants, amérindiens et palestiniens, les voit comme ils sont. Elle les relève dans leur dignité parce qu'ils portent sur leur dos la voûte du monde en le chauffant du feu volé aux dieux pour le redonner à n'importe qui a le désir de briser ses chaînes, chaînes d'usine, chaînes d'images, chaînes mentales.
Le cinéma pour lever les yeux avant de se relever et se soulever
Voir un film de Jean-Luc Godard et se sentir pensant. Voir l'un de ses 200 films et se ressaisir l'intime témoin d'une pensée, impersonnelle et universelle.
Le cinéma est ce à quoi s'est tenu Jean-Luc Godard, coûte que coûte et vaille que vaille. Le cinéma, tout le cinéma : fiction et documentaire, cinéma muet et cinéma parlant, classicisme hollywoodien et constructivisme soviétique, expressionnisme allemand et néoréalisme italien, expérimentation et télévision. D'entre tous les cinéastes contemporains, il est celui qui a le plus persévéré dans l'idée que le cinéma, une fois soustrait de la main des idéologues et des marchands, était une machine faite pour penser. Penser, c'est-à-dire créer des rapports nouveaux à l'endroit où il n'y en a pas, tout en contestant ceux qui existent déjà. Penser c'est-à-dire monter-démonter-remonter la chaîne des temps, des images et des idées.
Penser est une fête du sens et des sens, des correspondances explosives entre la poésie et la science. Penser avec ses yeux et ses oreilles, et ses mains aussi bien, pour résister à la guerre menée contre l'intelligence et la beauté. Penser au cinéma c'est lever les yeux en attendant de se relever de son siège. Et, plus tard peut-être, se soulever.
Le cinéma, un mystère, un révélateur des secrets de l'univers
Le plus moderne a été le plus romantique, fouillant dans le fracas de ses lambeaux et de nos fragments, avec le son et l'image bataillant avant l'accord provisoire comme une scène de ménage ou un paysage avant et après la bataille, le détail critique des désastres pour y relever des promesses oubliées, en particulier celles du cinéma. Le cinéma est ainsi l'objet de la plus grande contradiction, qui est partout en se confondant avec la vie, mais qui a été aussi l'objet d'une défaite historique en ayant mobilisé ses meilleures inventions formelles, figuratives et narratives au service de cette catastrophe totale qu'aura été la Seconde Guerre mondiale.
Faire du cinéma après 1945 n'est possible qu'en en tirant toutes les conséquences, éthiques, esthétiques et politiques, à l'enseigne des premiers films néoréalistes. Le cinéma est tombé, il faudra lui tendre la main et le relever. Parce que le cinéma, cet outil des Lumières et des (frères) Lumière, peut être fait aussi pour sortir de sa minorité, fait pour s'émerveiller du monde tel qu'il est et que l'on ne voit pas. Le cinéma pour grandir et s'émanciper en construisant son enfance, au nom d'une enfance majeure qui reste encore à venir. Le cinéma est une exception à la règle imposant l'état d'exception (notamment à la télévision, ce frère ennemi).
Le cinéma est mort en même temps qu'il est à (re)venir. Ni un art ni une technique mais un mystère, celui de la révélation hasardeuse des secrets de l'univers. Un phénix.
Nous vous proposons une sélection de DVD, de films numériques et de livres parmi le fonds important disponible à la médiathèque.
DVD :
Vidéos numériques :
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Saad Chakali - 27/09/2022
Pasolini l'enragé, Pasolini l'hérétique
Pier Paolo Pasolini est un poète anthropophage, un cannibale dont le théorème a pour foyer le ventre des affamés, les infâmes qui sont les humiliés et les offensés. L'écrivain italien qui a vécu en faisant feu de tout bois, désespérément, a aussi été un cinéaste voyant en annonçant comment le consumérisme aura fait une nouvelle litière au fascisme. Si le siècle est pasolinien, c'est en étant déchiré entre la crainte de la déculturation bourgeoise et le tremblement de joie devant d'antiques rédemptions. La poésie, qui se vit en mots comme elle se montre en cinéma, est la rose toujours poussant dans la croix de sang du présent.
« Le refus a toujours constitué un rôle essentiel. Les saints, les ermites, mais aussi les intellectuels, le petit nombre d'hommes qui ont fait l'Histoire sont ceux qui ont dit non, et non les courtisans et les valets des cardinaux. » (Pier Paolo Pasolini, La Stampa, 8 novembre 1975)
La meilleure jeunesse
Deuxième enfant d'un père militaire dans l'infanterie et d'une mère institutrice, Pier Paolo Pasolini naît à Bologne le 5 mars 1922. La famille suit les nombreux changements d'affectation du père. Le Frioul impose ses paysages antiques à un enfant bercé par une histoire rurale et immobile. Au collège, il a ses premiers amis, découvre les poètes romantiques comme Coleridge et Novalis, lit les grands romanciers russes, dévore Shakespeare. Il fréquente le ciné-club autant que le terrain de football, un sport où il excelle. Il écrit ses premiers poèmes à l'adolescence. L'heure est alors au fascisme encadrant la vie du garçon de ses mythes guerriers et virils. Il y oppose ses premières amours cultivées en secret parce qu'elles sont interdites, ainsi que ses premiers dialogues écrits en dialecte frioulan, ce trésor vernaculaire.
Pier Paolo Pasolini fait ensuite un voyage universitaire dans l'Allemagne d'Hitler en y découvrant que la culture est une idée contradictoire. Ses raffinements peuvent accompagner en effet les pires régressions. La contradiction s'impose alors à une existence qui va extraire de ses tiraillements intérieurs une pensée sensible aux oppositions, toutes les oppositions, sans synthèse ni réconciliation. La sensibilité du jeune homme connaît l'une de ses premières meurtrissures avec la mort de son frère Guido, partisan tué par un autre partisan dans la confusion de la guerre. La douleur du garçon et de sa mère Susanna est vive, intolérable, irrémédiable. Il soutient ensuite une thèse d'État en 1946, adhère au PCI en 1947. Le jeune poète lit Gramsci, il enseigne, s'engage, milite. La fin de la décennie est celle des premiers scandales. On lui reproche son homosexualité. Interdit d'enseigner, Pasolini est exclu du PC.
Le jeune Pasolini part alors avec sa mère s'établir avec peine dans la banlieue de Rome. Pier Paolo Pasolini entre par la petite porte à Cinecittà en intégrant son syndicat. Il est relecteur d'articles de journaux. Une joie survient quand il fait la connaissance de Sergio Citti, futur scénariste de ses premiers films et dictionnaire vivant du dialecte romain dont il découvre la richesse et la créativité. Il est enfin autorisé à renouer avec l'enseignement. Pier Paolo Pasolini écrit dans diverses revues, publie une anthologie de poésie populaire en 1953, ainsi que son premier recueil de vers frioulans en 1955, intitulé La Meilleure jeunesse. La même année, il participe avec son ami l'écrivain Giorgio Bassani à l'écriture du scénario de La Fille du fleuve de Mario Soldati. 1955 reste encore une année déterminante avec la publication de son premier roman, Les Ragazzi, très bien accueilli par le public malgré une accusation de pornographie. Un procès se tient d'ailleurs à l'été 1956, le premier d'une très longue série. Pasolini en sort acquitté. L'écrivain gagne en reconnaissance, celle de l'intellectuel qui a réussi à restituer la langue populaire en y voyant le moyen d'un renouvellement de l'écriture littéraire.
En 1956, Pier Paolo Pasolini rencontre Federico Fellini avec qui il collabore sur le scénario des Nuits de Cabiria. Son cercle d'amis s'agrandit en incluant les écrivains Franco Fortini et Alberto Moravia, et Laura Betti qui jouera plus d'un rôle dans son cinéma comme dans sa vie. Son nouveau recueil de poésie, Les Cendres de Gramsci, hérisse les poils des gardiens de l'orthodoxie en invitant à repenser le communisme à l'heure d'un tiers-mondisme plus que balbutiant, mais c'est un nouveau succès. Entre un voyage à Moscou et la traduction de l'Orestie d'Eschyle, une nouvelle accusation pour obscénité est portée par une association catholique qui fait un procès à l'auteur d'Une vie violente, son second roman publié en 1959. L'approche de la langue y est encore indissociable de celle des corps sexués et la fringale du sensuel Pasolini a grand besoin désormais du cinéma pour en exacerber les images de vérité.
Les premiers évangiles hérétiques
Bernardo Bertolucci a été l'assistant de Pier Paolo Pasolini sur le tournage d'Accattone. Ce qu'il a vu lui aura donné un grand désir de cinéma parce qu'il a été le témoin privilégié d'un poète qui, en barbare, aura réinventé le cinéma. Produit par Alfredo Bini, soutenu par Federico Fellini, Accattone est le film d'un primitif qui se jette à corps perdu dans un peuple porteur d'immémoriales beautés, malgré la profanation des rapports de classes, cette crucifixion que l'on ne voit pas. Le sacré a son dépôt dans un corps, celui du frère de l'ami Sergio Citti, Franco Citti, premier ange pasolinien, comme il se soulève dans la musique de Jean-Sébastien Bach dont le lyrisme accompagne les tourments – des stations christiques, déjà. Le premier évangile de saint Pasolini est ainsi dédié à l'homme de peu sinon rien, l'habitant des borgate construites à l'époque fasciste pour y agglutiner les populations des campagnes décomposées, le fanfaron qui est un pauvre gars, un déchet social, le sous-prolétaire dont la sainteté est cependant attestée par l'objectif de la caméra.
En 1961, toujours avec l'aide de Sergio Citti, Pier Paolo Pasolini tourne Mamma Roma, portrait offert à la grande louve Anna Magnani et hommage adressé au néoréalisme dont elle aura été une héroïne dans les films de Roberto Rossellini. La campagne de dénigrement continue malgré tout. Elle s'amplifie même par une plainte déposée par un carabinier, sans suite. Pasolini n'y pense pas, s'attelant à la rédaction de son roman en frioulan dont le titre vient de Marx : Le Rêve d'une chose. Il fait une lecture publique d'extraits de l'Évangile selon saint Matthieu et travaille à deux nouveaux films, deux courts métrages aveuglants de beauté et de lucidité : La ricotta et La Rabbia (la Rage). Le second est un film de montage poétique sur les désastres de notre temps. Les archives sont les preuves à charge d'un monde entré dans l'âge des ravages industriels et atomiques. Le cri de douleur et de fraternité pour les colonisés qui luttent pour l'indépendance s'en double d'un autre, un cri d'amour offert au martyr de Marilyn Monroe. Pasolini le renie pourtant, associé à un autre film moins contradictoire que réactionnaire. Le premier film soulève un tollé en montrant comment la représentation (par Orson Welles) de la passion du christ, inspirée de grands tableaux maniéristes, se disloque sur les attitudes libertaires d'une indiscipline populaire. Et la faim qui ravage le pauvre Stracci (son surnom dit en italien les haillons) mourant en croix d'indigestion après s'être empiffré des victuailles présentes sur le plateau. Les figurants de cinéma figurent ainsi la vérité criante, entre rires et maux de ventre, d'une tradition revivifiée.
Un procès condamne Pier Paolo Pasolini à quatre mois de réclusion (qu'il ne fera pas) et La ricotta est confisqué. Ce film qui est son premier (à moitié) en couleurs est pourtant l'occasion d'une grande joie, celle d'avoir rencontré le jeune Ninetto Davoli. Ce ragazzo di vita devient non seulement le grand amour de la vie du cinéaste mais aussi son acteur fétiche. Pasolini continue de travailler sur l'évangile de Matthieu, aidé par des spécialistes de la Bible. Il voyage en Israël et en Jordanie mais finit par trouver les décors naturels de son film dans les Pouilles et en Calabre. Les régions les plus pauvres du Mezzogiorno accueillent ainsi le tournage de L'Évangile selon Saint Matthieu (1964), ce chef-d'œuvre qui voit dans les visages et les paysages l'actualité de la parole évangélique, une parole de crise en portant la critique jusqu'au risque de la crucifixion. Pasolini est alors seul à suivre la voie ouverte par Roberto Rossellini avec Les Onze Fioretti de François d'Assise (1950), une voie de dépouillement et d'austérité indiquant autant l'universalité de l'évangile que celle du néoréalisme, son continuateur laïc. Pendant les préparatifs de tournage de L'Évangile, le cinéaste parcourt de long en large l'Italie pour tourner son premier documentaire en style direct et au sujet culotté, Enquête sur la sexualité (1964).
Comment oublier Jésus interprété par Enrique Irazoqui, exilé politique et opposant au franquisme, la jeune Marie jouée par une fille de la campagne dont l'innocence authentiquement mariale transperce l'écran, et sa version âgée incarnée par la propre mère du cinéaste figurant la douleur face au martyr filial comme s'il s'agissait de se préparer à en affronter l'inéluctable réalisation ? Le poète qui restitue à la tradition figée sa puissance hérétique est l'auteur d'une martyrologie prophétique.
Le théorème du cannibale
En 1964, toujours, Pier Paolo Pasolini publie son quatrième recueil de poésie, Poésie en forme de rose. Si la rose poussant dans la croix du présent est une métaphore du philosophe allemand Hegel, elle revient au poète dialecticien qui cultive les contradictions en répugnant aux arrangements. Non réconcilié, le poète cultive la rose dans le sang douloureux du maintenant qu'il examine plus avant avec son film suivant, Des oiseaux, petits et gros (1965). Le récit est picaresque et la verve allégorique, un voyage sur les chemins italiens partagé entre l'ange Ninetto et le comique Totò, accompagnés en la circonstance par un corbeau dont la glossolalie d'intellectuel de gauche est une moindre consolation que sa chair à la fin dévorée par nos deux acolytes. Le pastiche réussi du néoréalisme rossellinien conduit autant à la radicalisation marxiste de la parole évangélique qu'à la critique caustique d'un communisme piailleur et volatile. Le public boude mais le film, une chanson de geste dont la musique est composée par Ennio Morricone, est bien reçu au Festival de Cannes, félicité par le maître Rossellini qui y reconnaît un élève, certes indiscipliné et hérétique, mais un héritier quand même. Jean-André Fieschi lui consacre en France un beau portrait pour la série Cinéastes de notre temps de Janine Bazin et André S. Labarthe : Pasolini l'enragé.
Le cinéaste a l'apparence de l'éclectique mais le touche-à-tout cache un cannibale. Les ventres affamés sont en effet la règle théorématique d'une anthropophagie poétique.
Le ventre est aussi celui qui fait souffrir Pier Paolo Pasolini, alors victime d'un ulcère. Mais la bête de travail ne peut s'empêcher de labourer ses champs de prédilection, entre l'écriture de nouveaux scénarios (Théorème et Œdipe roi, un Saint Paul aussi qui ne sera jamais tourné à New York avec Allen Ginsberg), une pléthore de textes à vocation poétique, romanesque et critique, ainsi que la relecture des Dialogues de Platon pour un projet de pièce de théâtre. Remis sur pied, Pasolini enchaîne en 1967 les entreprises avec deux participations à des films collectifs (Les nuages, c'est quoi ? et La Terre vue de la Lune, toujours avec Totò) et le tournage de son Œdipe roi entre la Bologne de l'enfance et le sud du Maroc. Œdipe roi ouvre un nouveau cycle dédié à la relecture de mythes vérifiant la persistance des ruines antiques dans une modernité elle-même livrée à ses propres vestiges. Le film est l'autoportrait d'un fils puni par son père d'avoir aimé sa maman doublé de celui d'un prophète que n'entendent pas les opprimés à qui il offre pourtant ses fraternelles ritournelles. Théorème passe en 1968 du statut de roman à celui de film qui est son plus frontalement didactique : le poète est comme l'ange muet joué par Terence Stamp, le visiteur sensuel dont les passes sont une révélation érotique pour ses hôtes, organes démembrés d'une famille bourgeoise de Milan. L'ange Gabriel est aussi un faune qui, comme son jumeau païen, se réjouit de semer la panique. Exceptionnellement, le film reçoit le prix de l'Office catholique international de cinéma que ce même office désavouera quelques mois plus tard.
Entre-temps, Mai 68 représente un rendez-vous manqué entre la jeunesse qui prend la rue et le poète n'y voyant que des fils à papa en révolte contre leurs propres pères, petits patrons, industriels ou hauts fonctionnaires. Au lieu d'aller chanter à l'usine la ritournelle de l'émancipation, Œdipe s'en retourne chez les bourgeois et la rengaine est un crime pour le poète qui se rêve en traître au carré, impuissant à fuir la bourgeoisie comme à rejoindre un peuple aimé d'un amour aussi sincère que contrarié.
Pier Paolo Pasolini est de plus en plus en hiatus avec son époque, pourtant portée comme lui à la contestation. La participation avec Jean-Luc Godard et Marco Bellocchio au film collectif Amor e rabbia (La Contestation), avec le court intitulé La Séquence de la fleur en carton, nourrit de l'empathie pour une jeunesse sacrifiée sur l'autel d'une innocence impossible. La pièce Orgia déchaîne des foudres, d'autant que son auteur vient tout juste de déclarer son opposition, totale et radicale, à tout le théâtre italien, Dario Fo inclus. Il enfonce même le clou de Théorème en tournant Porcherie à la fin de l'année 68. Le diptyque « méta-historique » inspiré de Luis Buñuel est une allégorie mal comprise des révoltes filiales dont l'échec renforce l'horreur réactionnaire et ses déserts concentrationnaires. Pasolini est un corsaire, mieux un pirate qui ne connaît aucun épuisement quand il s'agit de courir en bataillant contre les conformismes de son temps. D'un côté en offrant son Médée (1970) à l'amour de la cantatrice Maria Callas qui joue le rôle-titre sans y prononcer aucune parole (ou presque), de l'autre en allant chercher dans l'Afrique de la décolonisation, Ouganda et Tanzanie, l'inspiration pour vérifier l'actualité critique des tragédies d'Eschyle (Carnet de notes pour une Orestie africaine).
Le consumérisme, un nouveau fascisme
Chez Pier Paolo Pasolini, tout est hérésie : la sexualité, la religion chrétienne, le communisme. L'artiste du sacré qui ne le voit jamais mieux qu'à l'épreuve prosaïque de la profanation a vu aussi le potentiel révolutionnaire de la profanation quand on la prend au mot radicalement, c'est-à-dire littéralement. Le poète est hérétique en rappelant déjà la tradition à son hérésie oubliée. Il est aussi un corsaire, plus radicalement un pirate croyant au sacré de la profanation même quand elle dit la restitution à l'usage commun. Le philosophe italien Giorgio Agamben, qui a été l'ami de Pasolini en jouant l'apôtre Philippe dans L'Evangile selon Saint Matthieu, se souviendra de cette leçon.
La profanation dit ainsi le communisme hérétique des poètes et des sous-prolétaires, la religion des frères qui souffrent peut-être de ni se retrouver, ni se reconnaître.
Pier Paolo Pasolini est impossible. Catholiques et communistes, laïcs et conformistes ne savent plus que faire de lui et c'est un ravissement, cela le comble de joie. Après Médée qui, dans la foulée d'Œdipe roi, est un second documentaire légendant des mythes antiques culminant dans une vitalité exacerbée avant de s'évanouir avec le triomphe de la bourgeoisie, le cinéaste se lance à l'été 1970 dans l'écriture de ce qui sera sa « Trilogie de la vie » : Le Décaméron (1971) d'après Boccace, Les Contes de Canterbury (1972) d'après Chaucer et Les Mille et Une Nuits (1973) d'après l'anthologie éponyme de contes arabes érotiques. L'humeur picaresque se débonde, les idées saillissent comme des éjaculations priapiques et les séquences s'enfourchent avec une verve narrative qui est la semence dont s'engorgent les orgies de la création. Le poète cinéaste s'y fait conteur paillard, sillonnant l'Italie puis l'Angleterre avant une Arabie retrouvée entre l'Égypte et l'Inde, l'Érythrée et le Yémen afin de célébrer les corps glorieux jouissant d'une innocence peut-être idéalisée. Ce mélange impur et généreux de vitalisme, de populisme et de paganisme déborde les codes de la représentation du sexe en étant raccord avec les revendications d'émancipation d'alors. Ce paradoxe est peut-être à l'origine d'une récusation par Pasolini lui-même de sa trilogie. Ce cas unique en cinéma d'abjuration d'une œuvre par son auteur marque en effet un pic d'intensité dans une non réconciliation sans négociation.
En 1971, Pier Paolo Pasolini travaille avec les militants communistes du groupe militant Lotta continua sur l'attentat de piazza Fontana qui, commis en 1969 par des néofascistes, marque le début de l'automne chaud et des années de plomb en Italie, entre revendications d'une autonomie ouvrière et actions terroristes tous azimuts. Entre 1972 et 1975, les recueils d'essais respectivement intitulés L'Expérience hérétique et Écrits corsaires témoignent pour l'intellectuel et ses engagements radicaux, notamment sur les versants de l'éducation et de la culture colonisées par un esprit petit-bourgeois absolument dévastateur et dont la télévision est l'arme privilégiée. La créativité est intense, somptuaire, saisissante. Les projets se multiplient comme les petits pains et certains resteront inachevés comme le roman Pétrole et le scénario Porno-Théo-Kolossal. Pasolini tourne encore pour l'UNESCO un documentaire engagé, Les Murs de Sana, destiné à préserver le patrimoine archéologique de la cité yéménite.
En février 1975, Pier Paolo Pasolini tourne son nouveau film, Salò ou les 120 journées de Sodome. Il ignore alors qu'il s'agit de son dernier film. Deux mois avant sa sortie assortie d'une interdiction aux moins de 18 ans, Pasolini est retrouvé mort sur une plage d'Ostie, assassiné durant la nuit du 1er au 2 novembre. L'assassinat n'a pas cessé depuis de susciter toutes les spéculations, notamment l'hypothèse de l'assassinat politique. Salò suscite également les réactions les plus extrêmes de la part de ses spectateurs, du dégoût ressenti devant des perversions et paraphilies conduisant à la torture et l'exécution, à la fascination devant l'audace d'un cinéaste hanté par l'essence pornographique de la bourgeoisie, depuis Sade jusqu'à ses héritiers fascistes dégénérés. Avec Salò, Pasolini mène une triple opération critique : contre la fascination littéraire pour Sade qui est une cécité intellectuelle devant le malin génie de la modernité et son obscénité, contre une époque qui a cru en avoir fini avec le fascisme alors qu'il est déjà revenu sous couvert de sexe libre et de pornographie, contre le spectateur même qui ne peut jouir du spectacle de la torture des esclaves qu'à la condition d'être le complice des maîtres. Le théorème a laissé place à l'aporie parce que le réel est l'autre nom de l'impossible. La critique est même si radicale qu'elle débouche sur l'autocritique, plus radicale encore, d'un artiste souffrant d'avoir participé aveuglément au simulacre d'une libération ayant fait le lit d'un nouveau fascisme.
Le néoréalisme qui a offert à un peuple martyrisé une nouvelle aurore en cinéma est défait par la télévision et la pornographie, ces machines jumelles à décerveler et conformer, à asservir et déculturer. Un an après la mort de Pasolini, Silvio Berlusconi lance sa première chaîne TV câblée. Les yeux crevés, Œdipe aura vu. Tout vu.
Pasolini, saint et martyr
Pour beaucoup, la mort de Pier Paolo Pasolini est la sanction d'une longue vie faite de procès (33 !, comme l'âge de Jésus mort en croix). Un martyrologe à elle toute seule.
Comme son frère Jean Genet, et Jean Cocteau et Rainer Werner Fassbinder ne sont pas loin non plus, Pier Paolo Pasolini est un saint et un martyr. Le poète visionnaire est un cinéaste voyant. L'artiste qui a vu jusqu'à ce qu'on lui crève les yeux a payé au prix fort, celui de sa vie, le désir de montrer qu'il y avait dans les corps d'un peuple profané un trésor sacré bientôt pillé par la prédation bourgeoise. Le temps presse avant que les lucioles ne disparaissent.
Une société qui tue ses poètes est une société malade a dit Alberto Moravia en apprenant la mort de son ami. La maladie se soigne en renouant avec l'œuvre de Pier Paolo Pasolini, le corpus de ses textes et le corps de ses films. On lira dans les uns ce que l'on verra dans les autres. D'un côté, la crainte devant les ravages et déserts de la déculturation bourgeoise qui est une extinction des feux du refus. De l'autre, le tremblement devant ses rescapés, infâmes et affamés, humiliés et offensés, les parias qui demeurent pourtant les gardiens de trésors immémoriaux, beauté et dignité. Des antiquités qui participent encore à ce qu'il reste de nos humanités.
Alexia Roux et Saad Chakali - 09/07/2022
Jean-Louis Comolli
Jean-Louis Comolli, le cinéma sans compter
Jean-Louis Comolli est né en 1941 en Algérie, à l'époque où Skikda s'appelait encore Philippeville. Après avoir longtemps fréquenté avec Jean Narboni le ciné-club d'Alger animé par Barthélémy Amengual, il rejoint avec son ami la revue de cinéma les Cahiers du cinéma à partir de 1962 et il y travaille régulièrement jusqu’en 1978. Succédant à Jacques Rivette, Jean-Louis Comolli aura ainsi occupé le poste de rédacteur en chef de la revue de 1966 jusqu'à 1971, au moment où Mai 68 s'impose comme l'événement à partir duquel s'impose l'idée d'en tirer des leçons à la fois théoriques et pratiques, qui concernent le cinéma autant que la politique.
De la critique à la pratique et retours (l'action parlée)
Dans la foulée de Mai 68, Jean-Louis Comolli tourne ses deux premiers films, un portrait du documentariste québécois Pierre Perrault et Les Deux Marseillaises avec un copain des Cahiers, André S. Labarthe. Le novice marche d'emblée sur ses deux pieds, cinéma et politique. Il est devenu jusqu'à ce jour l’auteur d’une œuvre cinématographique importante même si peu connue, forte d'une cinquantaine de titres, majoritairement des documentaires à partir de Tabarka 42-87 (1987) mais aussi six films de fiction, parmi lesquels La Cécilia (1976), L'Ombre rouge (1981) et Balles perdues (1983). En parallèle, Jean-Louis Comolli prolonge l’élan impulsé dans les Cahiers du cinéma en accompagnant sa production de films d’interventions diverses et surtout de textes critiques et de propositions théoriques rassemblés depuis dans plusieurs ouvrages, dont plusieurs de référence publiés aux éditions Verdier (Voir et pouvoir, Cinéma contre spectacle, Corps et cadre, Cinéma, mode d'emploi). Il a même tenté l'impossible en analysant plus récemment avec Daech, le cinéma et la mort ce que le terrorisme fait au cinéma en montrant comment les vidéos postées par les djihadistes, afin de médiatiser leurs crimes, participent à l'extension monstrueuse du domaine de la marchandise spectaculaire.
L'effort théorique énonce ce que vérifient en pratique les films, à savoir que le documentaire ne nomme pas ici un genre cinématographique particulier, mais l'un des deux versants de cet art bifrons qu'est le cinéma. Fiction et documentaire ne sont au fond que des dénominations de l'industrie. Il y a du cinéma qui ne meurt pas quand son désir consiste à ne pas lâcher le réel, en ouvrant le champ à toutes les manifestations de ce qui aura été désignée par le titre du tout premier film : L'action parlée.
Longtemps chargé de cours de cinéma à l'Université de Paris-I et à celle de Barcelone, enseignant à la Fémis (l’ancienne IDHEC), collaborateur à diverses revues de cinéma (Trafic, Images documentaires) comme à Jazz Magazine, intervenant régulier des Ateliers Varan et acteur des États généraux du film documentaire de Lussas, Jean-Louis Comolli est devenu une personnalité aussi incontournable du cinéma documentaire d'ici et d'ailleurs que le sont Nicolas Philibert, Raymond Depardon ou encore Claire Simon.
Le cinéma tout court, le cinéma contraire
La position singulière occupée par Jean-Louis Comolli a pour orientation au moins trois principes déterminants. D'abord, s’affirme une diversité des sujets traités qui confinent, sans viser à une quelconque exhaustivité, au geste encyclopédique des philosophes de Lumières. Du cinéma à la vie politique marseillaise, de la musique à l’alpinisme, de la cuisine à l’urbanisme, de l’histoire des utopies de gauche à la montée de l’extrême-droite, des fractures (post)coloniales à la fragilisation néolibérale des institutions, la générosité du regard, la prolixité du geste et le refus des hiérarchies commandent tout son travail, sans induire pour autant une dispersion des idées ou une dilapidation des énergies. Au contraire, le cinéma ressaisi sur son versant documentaire, démocratique et égalitaire (n'importe qui peut en être le sujet), peu coûteux et minoritaire (c'est un cinéma pauvre relégué en marge de l'industrie), témoigne pour le peuple qui manque en étant remplacé par les masses hier, aujourd'hui par l'audimat et le box-office.
Le cinéma documentaire est du cinéma tout court et, comme cinéma pauvre, il est nécessairement du cinéma contraire.
On retient également que la singularité de Jean-Louis Comolli repose sur la perpétuelle interrogation théorique formant avec sa pratique cinématographique ce qu’Edgar Morin appellerait une boucle récursive. Nombreux sont en effet les réalisateurs qui se contentent seulement de réaliser, sans participer à la réflexion critique du médium, de ses usages et ses pratiques. Et trop rares sont ceux qui, comme lui (exception faite de quelques géants comme Sergueï Eisenstein, Jean Epstein et Jean-Luc Godard), s’acharnent à explorer et tenir une pensée du cinéma par les deux bouts, ouvrages rédigés et films tournés. Parce que le cinéma invite à d'inépuisables dialectisations entre la part dévolue au semblant (la fiction) et celle donnée au réel (le documentaire).
Dialectiser en cinéma, c'est critiquer les polarités pour les révolutionner, c'est diagonaliser en postulant l'égalité des regards.
Enfin, l'autre face de l'engagement de Jean-Louis Comolli pose que le documentaire est du cinéma tout court, autant intéressé par la question de la fiction que l'est le cinéma dominant, mais autrement. Mieux, le cinéma documentaire représenterait aujourd’hui un front de de résistance et de lutte décisif face au mouvement croissant de colonisation marchande et médiatique des sensibilités. D'une part, il s'agit d'être attentif à la réalité perçue comme « auto-mise en scène », c'est-à-dire comme agencement de scènes et de rôles sociaux sous-tendus par des imaginaires institués et des représentations impensées. De l'autre, le cinéma sur son versant documentaire est attentif au réel comme cette force en excès qui déborde toute emprise ou forme de maîtrise. Si le cinéma est techniquement une machine de calcul, le cinéma n'est un art qu'en faisant accueil et droit à ce qui arrive, qui est l'incalculable.
La place du spectateur, la liberté d'être révolutionnaire (l'avenir est aux spectres)
Le cinéma documentaire conçu, pratiqué et défendu par Jean-Louis Comolli est soucieux de proposer des images comme autant de passages assurant une liberté de pensée et d'agir reliant de part et d’autre de l’écran les personnes filmées, celles qui en archivent la présence, et les autres qui en sont en différé les spectateurs. Cette liberté-là a dès lors pour impératif un au-delà du semblant qui est la préservation du hors-champ, la part de l'ombre qui est la réserve sans clôture du réel en condition à la représentation.
C’est qu’il y a du sensible qui demande moins à être consommé qu’à troubler nos réflexes et déranger nos habitudes fixées. C'est parce qu’il y a de l’invu et de l'inouï que peut advenir une communauté de paroles, égales et partagées. Là où règne massivement l'ordinaire du spectaculaire, qui n'est que saturation et anomie, à un bord extrême du spectre avec le bruit (des machines d’abrutissement) et, à l'autre bord, un mélange d'hystérie et d'aphasie (des individus abrutis), il y a du cinéma quand il maintient, contre l'hégémonie du simulacre, le cap documentaire. Celui qui offre au spectateur une place difficile, entre fascination et distanciation, mais elle est unique en étant celle de sa liberté qui consiste à se déplacer entre les places pour en critiquer l'ordre.
La place du spectateur est à tout le monde comme elle n'est à personne, c'est pourquoi la place du spectateur est révolutionnaire.
Jean-Louis Comolli est décédé le 19 mai 2022, il avait 80 ans. On se souviendra toujours de son passage parmi nous à la médiathèque Édouard Glissant, le 20 avril 2013, accompagnant de sa générosité proverbiale la projection de son film De mère en filles (1996). Reste l'œuvre, immense. On n'a pas fini de travailler, quel bonheur. La tristesse n'abolit pas la joie, celle de savoir les fantômes à venir, ces revenants qui ont de l'avenir. Le fantôme n'a pas fini de s'entretenir avec nous. L'entretien infini avec les spectres, qui sont des revenants sans compter, le promet : l'avenir est à eux.
La Médiathèque vous propose une sélection de ses ouvrages et de ses films :
le cinéma si d'aventure
Samedi 12 mars à 16h
L’aventure pour de faux
L'aventure est le genre des genres, une promesse de dépaysement aux limites risquées de l'exotisme. C'est une projection qui fait décoller en défiant tout projet, un élancement dans les recoins les moins connus du monde pour y percer les secrets qui sont aussi les blessures cachées des aventuriers. L'aventure a ses surfaces de jeu (le ciel, les mers, l'espace) et ses héros (pirates et pilotes, bandits et explorateurs), ses maîtres (Fritz Lang, Philippe de Broca, Steven Spielberg) et ses mythes (le cycle du Graal, l'épopée de Gilgamesh). L'aventure est un réenchantement du monde auquel participe la science en reconnaissance pour notre enfance.
Samedi 19 mars à 16h
L'aventure pour de vrai
Le cinéma est un grand pourvoyeur de récits d'aventures. Mais l'aventure déborde aussi l'écran quand la réalisation elle-même relève de l'épopée. L'aventure raconte alors la vérité documentaire du cinéma à l'école du réel qui est une épreuve dans la remise en question de ses propres conditions de possibilité. Les aventures africaines de Jean Rouch, les tournages insensés de Werner Herzog dans la jungle amazonienne, les folies tropicales de William Friedkin et Francis Ford Coppola, les improvisations fantaisistes de Jacques Rivette et Jacques Rozier, voilà des pistes à explorer quand le cinéma n'a pas d'autres chemins que ceux qu'il invente.
Samedi 14 mai à 16h
Les Ailes de l'espoir (1999, 65 min.) de Werner Herzog
En présence de la critique et programmatrice Nadia Meflah
En 1971, un avion s’écrase dans la jungle péruvienne. Une seule survivante, une adolescente âgée de 17 ans. Éjectée de l’avion qui vole alors à 3 000 mètres d’altitude, Juliane Koepke marche pendant douze jours à travers la jungle et, miracle, finit par trouver des secours. Elle reconstitue son périple à Werner Herzog en revenant sur les lieux du drame. Comment le cinéaste habitué des tournages extrêmes ne pouvait-il pas être troublé par la survivante du crash de l'avion qu'il aurait dû prendre s'il ne l'avait pas raté ?
- Adolescents et adultes
- Médiathèque Édouard Glissant à 16h
Jacques Perrin
Pour lui rendre hommage, nous avons préparé une sélection d'extraits de ses plus beaux rôles au cinéma
Ainsi qu'une liste de films disponibles à la Médiathèque
Regards sur le cinéma : nanars !
Bienvenue à Nanarland
Le kitsch et l'alchimiste
Attention, le nanar ne doit pas être confondu avec le navet qui est le film nul de chez nul et, partant, insauvable. Le nanar est laid mais c'est ainsi qu'il nous plaît, avec ses nazis zombies, ses films de requins débiles et ses franchouillardises à Saint-Tropez, avec ses vedettes comme Chuck Norris, Christophe Lambert et Steven Seagal, et ses chefs-d'œuvre comme The Room ou Le Clandestin.
Pour aller plus loin :
Tigritudes au forum des images
« Le tigre ne proclame pas sa tigritude, il bondit sur sa proie et la dévore »
L’écrivain nigérian Wole Soyinka est la source d'inspiration pour le nom de la programmation hébergée au Forum des Images et concoctée par les deux réalisatrices Dyana Gaye et Valérie Osouf. Cette anthologie subjective panafricaine, composée de 126 films de 40 pays différents et sur une période de 66 ans (de 1956 à 2021), questionne des cinématographies encore trop largement méconnues, leurs enjeux ainsi que leurs formes artistiques.
Regards sur le cinéma : humour
L'enfance, les burlesques
Mack Sennett et Fatty Arbuckle, Charlie Chaplin et Buster Keaton, Harry Langdon et Harold Lloyd, Stan Laurel et Oliver Hardy : les burlesques sont des enfants qui ont grandi trop vite, c'est pourquoi ils n'arrêtent pas de se taper dessus à coup de slapstick. Accouchés dans un hangar de la Keystone des flancs de l'antique vaudeville, les primitifs du cinéma comique sont les avortons d'une modernité impossible à innocenter. On aime tant les burlesques qui sont les gardiens de notre enfance cabossée. Mal nés, malformés, ils sont nos monstres préférés parce que nous les reconnaissons comme nos doubles, nos frères, nos jumeaux placentaires.Génie comique des acteurs français
Longtemps, le cinéma français s'est réduit à eux. On ne regardait pas le film de tel ou tel réalisateur mais un film de Louis de Funès ou de Fernandel, de Bourvil ou de Pierre Richard. Les mimiques du premier, les rires chevalins du deuxième, la voix éraillée du troisième et les maladresses du quatrième ont chatouillé notre enfance. Sans compter les seconds rôles qui en valent bien des premiers, de Paul Préboist à Darry Cowl. D'autres génies ont suivi depuis, plus discrets comme Claude Melki ou plus artistes comme Pierre Etaix et Jacques Tati. Le cinéma français fait moins rire avec ses comédies que grâce au génie de ses acteurs comiques.Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval, continuer la tradition des opprimés
Depuis quarante ans Nicolas Klotz et Élisabeth Perceval construisent, au théâtre puis au cinéma, l'un des regards parmi les plus exigeants et intransigeants jeté sur les ténèbres de notre temps. La rétrospective organisée du 2 au 19 décembre au Centre Pompidou permettra de vérifier qu'il y a des regards qui sauvent et des gestes qui protègent.
D'abord le théâtre. En 1975, Nicolas Klotz est un cinéphile de vingt et un ans, il écoute Soft Machine et Robert Wyatt, il aime Pasolini, Bergman et Godard. Le choc esthétique lui arrive pourtant du théâtre quand il rencontre le grand metteur en scène allemand Klaus Maria Grüber. Au même moment il fait la connaissance d'une jeune comédienne, Élisabeth Perceval, qui a vécu au Québec et travaille alors avec l'auteur dramatique Bruno Bayen.
Après une séance de cinéma où passe Le Diable probablement (1977) de Robert Bresson, l'événement est scellé : l'amour est là comme un grand désir de travailler ensemble, théâtre et cinéma.
Asiles du Mans et de Calcutta, entre théâtre et cinéma - le paria
Au début des années 80, Nicolas Klotz apprend aux côtés de son père le montage dans les Studios de Boulogne. Il observe, admiratif, Robert Bresson œuvrant sur L'Argent (1983) et Jean-Luc Godard au travail de Prénom Carmen (1983). La lecture d'un article de Serge Daney publié dans le journal Libération et dédié au cinéaste indien Satyajit Ray l'encourage à partir pour un grand voyage en Inde d'où il revient avec son premier film, un documentaire consacré au musicien Ravi Shankar. Il revient aussi avec un spectre dont la morsure ne partira jamais, le paria, dont la figure fixe une hantise, celle d'une humanité subalterne et superflue, qui n'est pas seulement le reliquat d'une vieille société de castes mais également la part d'ombre de la modernité, part maudite et scandale colossal.
A partir de là, Nicolas Klotz multiplie les projets, La Nuit bengali (1988) d'après Mircea Eliade tourné à Calcutta avec l'appui de Satyajit Ray suivi par La Nuit sacrée (1993) d'après deux histoires de Tahar Ben Jelloun. L'expérience de ce second long-métrage de fiction grevée par des lourdeurs de production est calamiteuse. Elle est si malheureuse que son auteur pense alors en avoir fini avec le cinéma. Heureusement, le théâtre est là, toujours. Avec Élisabeth Perceval il fonde la compagnie L'Asile, puis fait une autre rencontre décisive, celle de l'auteur dramatique et metteur en scène Didier-Georges Gabily avec qui ils adaptent Bernard-Marie Koltès. Ils rejoignent plus tard le Théâtre du Radeau de François Tanguy établi à la Fonderie du Mans et montent diverses pièces en sa compagnie, des auteurs contemporains radicaux comme Heiner Müller et Sarah Kane, mais aussi l'historien Georges Didi-Huberman et le philosophe Jean-Luc Nancy.
La non-réconciliation au nom de l'émancipation (la modernité)
La curiosité dont font montre Nicolas Klotz et Élisabeth Perceval est intrinsèque à la radicalité de leur geste artistique. Les matériaux documentaires accumulés pour la mise en scène des dernières pièces, autour des parias urbains et des étrangers clandestins, vont émettre un rayonnement si puissant qu'il va ressusciter un désir de cinéma toujours en convalescence. A l'exception cependant des documentaires réalisés durant les années 90 qui continuent comme une basse continue d'écrire une histoire alternative de cinéma dédiée aux musiques tonalisant les errances et vagabondages de l'âme : Robert Wyatt, part one (1992), Chants de sable et d'étoiles (1996), James Carter (1998) et Brad Mehldau (1999).
Enfin le cinéma. Une première série de trois longs-métrages, Paria (2000), La Blessure (2004) et La Question humaine (2007), qualifiée rétrospectivement de « trilogie des temps modernes ». La fiction y compose transversalement avec le documentaire pour sonder la décomposition avancée de la modernité à l'heure néolibérale qui fait la guerre aux pauvres et aux étrangers plutôt qu'à la pauvreté. Il y faut des formes, qui aident à penser l'impensable, et elles sont là. C'est ainsi que Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval déploient une sensibilité à fleur de peau en ayant su tirer de grandes leçons du meilleur cinéma, John Cassavetes et Maurice Pialat, John Ford et Robert Bresson, Fritz Lang et Claude Lanzmann. Et Charlot, partout, qui est le frère jumeau de Franz Kafka, l'écrivain juif qui est le grand penseur du 20ème siècle en étant celui de la honte.
Naufragés sociaux du faste des fêtes parisiennes de l'an 2000 (Paria), exilés retenus de force, brutalisés et voués à l'invisibilité (La Blessure), managers découvrant la proximité fatale de la rationalité économique et de la fabrique industrielle des cadavres (La Question humaine). Les opprimés s'exposent au risque de la plus grande vulnérabilité mais c'est qu'ils incarnent les sans espoir grâce auxquels l'espoir nous est à tous redonné. Les maîtres sont de leur côté désorientés en découvrant, éberlués, la langue morte qui continue de s'écrire dans les manuels de gestion des ressources humaines.
La modernité garde encore dans ses plis de ténèbres l'étincelle rédemptrice de l'émancipation pour peu seulement que l'on tienne bon en refusant avec elle toute forme de réconciliation. La modernité vaudrait donc encore la peine si elle est brossée à rebrousse-poil en adoptant la focale de la tradition des opprimés.
Un triptyque, trois grands films : le cinéma français des années 2000 aurait été moins digne s'il ne pouvait pas compter sur ceux-là.
Le génie créole des peuples transatlantiques, un soleil
Paria avait été tourné en vidéo basse définition DV. Avec Low Life (2011), le numérique HD arrive dans le cinéma de Nicolas Klotz et Élisabeth Perceval mais c'est aussi une nouvelle crise qu'affrontent des réalisateurs dont le film est incompris par une critique qui ne comprend rien à l'alliance vaudoue des nomades et de la jeunesse, avec ses sans-papiers zombies et son amoureuse comme une nouvelle Antigone. Cette crise n'est pas leur première épreuve. Sa virulence critique exige spécifiquement une nouvelle bifurcation, elle appelle à travailler de nouvelles enfonçures pour citer l'ange Didier-Georges Gabily passé si tôt, décédé en 1996 à l'âge de 41 ans.
Si le théâtre est une époque terminée, un certain cinéma aussi qui oblige à se refaire un regard en allant se faire voir ailleurs, notamment au Brésil avec Mata Atlantica (2016) et dans la jungle de Calais pour un diptyque de haute volée, L'Héroïque lande, la frontière brûle (2017) et Fugitif où cours-tu ? (2018). L'art contemporain abrite également des expérimentations atypiques, parmi lesquelles Collectif Ceremony (2013), qui préfigurent l'hybridation des travaux en cours d'un geste en constante recréation, un cinéma mutant à l'écoute hypersensible des failles et battements du monde.
L'époque contemporaine est celle d'un obscurcissement accentué, état d'exception sécuritaire qui est la règle d'une idéologie identitaire aussi destructrice qu'une maladie auto-immune pour le système immunitaire. Contre cela, les cinéastes travaillent à faire apparaître de nouvelles constellations, à faire émerger d'autres archipels. Leurs derniers films repoussent ainsi la frontière entre fiction et documentaire dans le soin donné à notre propre étrangeté dont les anges gardiens sont les étrangers. Ce soin qui caractérise des images comme autant de cristaux d'intensité, autant de poignées de mains échangées autour d'un braséro de fortune bricolé.
Nous disons révolution, nouvel opus épique tourné depuis six ans entre Brazzaville, Barcelone et Saõ Paulo et monté en Normandie est une cérémonie païenne et secrète, vaudouisme afro-futuriste. Projeté en ouverture de la rétrospective de Pompidou, ce long-métrage de 140 minutes suit à la trace les démons de l'esclavagisme et la colonisation au nom du génie créole des peuples transatlantiques. La poétique de Nous disons révolution ? Une cosmopolitique afropolitaine. La créolité chantée par la poésie d'Édouard Glissant y prend notamment le visage d'une petite gamine brésilienne, inoubliable. L'apparition tient de la surrection, du volcan naissant au milieu de l'océan. Cette petite fille, c'est Néfertiti, c'est Vénus, étoile du matin. C'est un soleil rimbaldien transfigurant la nuit de l'époque et le méridien qu'elle attrape du regard est fidèle à l'enfance nécessaire à refaire humanité, cette promesse qui est l'aurore que chacun-e porte en soi.
SC - 26/11/2021
Le mois du film documentaire
Nazim Djemaï, on ne sait pas
Naissance russe, enfance algéroise, formation aux Beaux-Arts, deux grands prix au FID-Marseille et Blois en dernière station : en juin 2021 un cinéaste est passé, il avait 44 ans, il est mort à bas bruit. Nazim Djemaï est un cinéaste qui compte et son importance n'avait d'égale que sa discrétion. En deux temps, notre participation au Mois du Film Documentaire lui rendra hommage. Arctique canadien, asile d'une psychothérapie alternative, jardins algériens : les rares films de Nazim Djemaï ont un tact fou, celui de prendre le temps qu'il faut pour le perdre en le redonnant au spectateur, dans la juste mesure entre le pas de l'irrémédiable et celui de l'indestructible.
Nawna (Je ne sais pas...) (2007, 113 min.)
Nazim Djemaï a 23 ans. Sur un coup de folie, il part dans l'arctique canadien. La Baie d'Hudson est une terre du milieu où un jeune homme refonde sa généalogie à équidistance de deux grands mythes, Uvajuq pour la mythologie inuit et Nanouk l'esquimau pour la cinéphilie. Les géants des cosmogonies originaires se sont endormis depuis et raconter leurs légendes promet de s'endormir un jour à leurs côtés. L'oncle Vania l'avait dit : nous nous reposerons, nous nous reposerons.Samedi 27 novembre à 16h :
A peine ombre (2012, 86 min.) + film surprise
Fondée par Jean Oury au début des années 50, la clinique La Borde abritant l'utopie concrète de la psychothérapie institutionnelle est un site du soin comme un trésor partagé, soignants et patients confondus. A bord d'une institution filmée comme un attracteur étrange, l'un de ses passagers écoute et regarde ses semblables qui lui rendent la pareille, qui est la folie. La folie, ce débord qui est là dehors, l'entour qui est notre jardin et notre souci. La schizophrénie qu'il nous reste à faire.Médiathèque Édouard Glissant
Rens. 01 48 14 22 09
This is Halloween !
C'est bientôt Halloween ! Préparez vos plus beaux déguisements pour faire la tournée des bonbons chez les voisins. Mais si vous voulez éviter de rencontrer le célèbre boogeyman Michael Myers en restant bien au chaud à la maison, la Médiathèque a pensé à vous en vous concoctant une liste de films à voir depuis notre plateforme numérique, la Médiathèque Numérique, frissons et sueurs froides garantis !
Au programme : des zombis lents, des infectés rapides, des vampires, des créatures venues d'autres dimensions ou de l'espace, des enfants maléfiques, des aliénés baroques, des espaces bien confinés, des maisons gothiques et bien sûr des cimetières regorgeant de monstres à gogo !
Il y en aura pour tous les goûts !
AR - 29/10/2021
Regards sur le cinéma : Comédie !
Le rire est, dit-on, le propre de l'homme. Oui, mais de quoi l'espèce humaine peut-elle bien rire, sinon de sa fondamentale impropriété ? En trois HA HA HA privilégiés, Regards sur le cinéma interrogera ce qui nous fait rire à se décrocher la mâchoire, à gorge déployée ou à perdre haleine : les burlesques qui sont les gardiens de notre enfance ; les grands acteurs du cinéma français qui sont un trésor de tics et de mimiques ; les nanars qui sont le moyen trouvé par le spectateur pour sauver les mauvais films de leur statut de navet.

L'enfance, les burlesques
Mack Sennett et Fatty Arbuckle, Charlie Chaplin et Buster Keaton, Harry Langdon et Harold Lloyd, Stan Laurel et Oliver Hardy : les burlesques sont des enfants qui ont grandi trop vite, c'est pourquoi ils n'arrêtent pas de se taper dessus à coup de slapstick. Accouchés dans un hangar de la Keystone des flancs de l'antique vaudeville, les primitifs du cinéma comique sont les avortons d'une modernité impossible à innocenter. On aime tant les burlesques qui sont les gardiens de notre enfance cabossée. Mal nés, malformés, ils sont nos monstres préférés parce que nous les reconnaissons comme nos doubles, nos frères, nos jumeaux placentaires.Samedi 16 octobre à 16h à la médiathèque Édouard Glissant
Génie comique des acteurs français
Longtemps, le cinéma français s'est réduit à eux. On ne regardait pas le film de tel ou tel réalisateur mais un film de Louis de Funès ou de Fernandel, de Bourvil ou de Pierre Richard. Les mimiques du premier, les rires chevalins du deuxième, la voix éraillée du troisième et les maladresses du quatrième ont chatouillé notre enfance. Sans compter les seconds rôles qui en valent bien des premiers, de Paul Préboist à Darry Cowl. D'autres génies ont suivi depuis, plus discrets comme Claude Melki ou plus artistes comme Pierre Etaix et Jacques Tati. Le cinéma français fait moins rire avec ses comédies que grâce au génie de ses acteurs comiques.Samedi 8 janvier 2022 à 16h à la médiathèque Édouard Glissant
L'art du nanar
Nanar, qu'est-ce que c'est ? Le nanar est un dérivé de panard qui signifie vieux croûton. Le nanar c'est le film souvent fauché, toujours raté et dont la nullité enclenche cependant un rire qui finit par le rendre attachant. Le nanar est le film qui fait rigoler à ses dépens mais c'est ainsi qu'il est sauvé. Attention, le nanar ne doit pas être confondu avec le navet qui est le film nul de chez nul et, partant, insauvable. Le nanar a son génie qu'est Ed Wood, ses genres comme les séries Z de zombies et les films débiles de requins, ses vedettes tels Chuck Norris, Christophe Lambert et Steven Seagal, ses chefs-d'œuvre comme The Room ou Le Clandestin. Comme pour certains fromages, la croûte a du bon. Vive le nanar !
Samedi 29 janvier 2022 à 16 h à la médiathèque Édouard Glissant
Entrée libre
Du nouveau sur la médiathèque numérique
Le service vidéo à la demande enrichit son contenu avec l'arrivée de LaCinetek. Martin Scorsese, Agnès Varda, Cédric Klapisch, Naomi Kawase, Robert Guédiguian, Céline Sciamma, Bong Joon-Ho,… La Cinetek invite plus de 80 réalisateurs du monde entier à dresser la liste de leur cinémathèque idéale. Ils ont ainsi sélectionné leurs 50 films de chevet, ces œuvres incontournables pour eux, qui ont le plus inspiré leur carrière.
L'occasion de découvrir ou redécouvrir des œuvres cinématographiques d’exception, des grands classiques du cinéma ou des pépites cachées, au prisme des réalisateurs qui les ont sélectionnés. Un grand nombre des films composant les listes de LaCinetek sont déjà disponibles, ou le seront bientôt, en VOD sur la Médiathèque Numérique.
Connectez-vous et rendez-vous sous l'onglet LaCinetek de la Médiathèque Numérique pour découvrir la cinémathèque des réalisateurs.
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