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Supermarché nous plonge au cœur des favelas de Lomba do Pinheiro, un quartier de la ville brésilienne de Porto Allègre. Si leurs chemins mènent sur les côtes maritimes, ils menacent très vite d’offrir le ciel comme destination. Abandonnées à leur propre sort, les favelas se sont construites une effrayante réputation et abritent les habitants les plus pauvres du pays. Comme les personnages de son livre, José Falero y est né et y a grandi.
Pedro et Marques sont magasiniers dans un supermarché et perçoivent un salaire de misère. Un salaire qui ne permet pas à Pedro de changer la vieille serrure de la porte d’entrée de l’appartement qu’il partage avec sa mère. Un salaire qui ne permet pas à Marques d’accueillir joyeusement la future naissance de son second enfant.
Quand Pedro, qui lit dans le bus des livres empruntés au hasard à la bibliothèque, expose à Marques une théorie marxiste implacable sur la valeur du travail et l’exploitation, ce dernier prend conscience que sa condition n’est miteuse que pour enrichir les déjà riches.
Une entreprise marxiste de vente d’herbe
C’est sans hésiter que Marques adhère au plan de Pedro qui organise une entreprise de deal de marijuana difficile à trouver dans les favelas où les trafics qui se concentrent sur le caillou (crack) et la poudre (cocaïne) sont bien plus lucratifs. « J’ai déjà passé trop de temps de devoir choisir entre être bandit et être esclave », se justifie Pedro. Accolés de deux autres compères, ils vont vendre leur herbe à bas prix dans leur quartier et dix fois plus chère à la jeunesse dorée à l’or massif de Porto Allegre.
La seule condition de Pedro, cerveau de toute l’opération, est que les bénéfices soient partagés à part égale entre les quatre vendeurs. On est marxiste ou on ne l'est pas.
José Falero nous offre un livre savoureux, un roman picaresque à l’humour incisif, et une analyse sans concession de la société brésilienne et de ses inégalités sociales.
Françoise Oliva
Le genre est juste une case
Genre Queer, c'est l'histoire de Maïa, qui durant son parcours adolescent, s'affranchit progressivement de choisir : iel ne sera ni fille, ni garçon, iel sera quelqu'un.
Car ni les vêtements, ni les adjectifs, ni les activités ne peuvent déterminer qui iel est.
Un roman graphique très didactique, aux multiples récompenses, qui permet de mieux comprendre le combat des personnes trans ou non-binaires.
A ses parents : "Même si j'ai eu du mal à être votre fille, je suis très, très reconnaissant d'être votre enfant."
Mélanie Lesourd
Fin d’été
31 août 1997, c’est la fin de l’été dans ce quartier pavillonnaire où tout semble paisible. Sauf que là, une mère tente de préserver l’équilibre de sa famille alors que son mari n’est pas rentré de la nuit. Que sa fille, Cam, brûle au soleil afin de séduire le petit copain qu’elle garde secret. Et que son jeune fils, Lulu, se rêve petite sirène sauvant son prince charmant... Alors si cette journée va marquer Lulu et sa famille, ce n’est pas à cause de l’annonce de la mort de Lady Di qui circule sur tous les écrans de télévision, mais plutôt parce que pour eux, elle marque le début de grands bouleversements.
Une BD aux dessins pastel dont la douceur reflète parfaitement la tendresse de l’histoire.
Coup de cœur !
Aurélie Glever
La fée assassine
Une histoire touchante, émouvante, dramatique aussi sur la vie de deux jumelles vivant sans père et sous la tyrannie de leur mère. Ce lien fusionnel va pourtant leur permettre de supporter ce quotidien et notamment grâce à leurs oncle et tante qui leur donnent à chaque vacance, tout l'amour parental qui leur manque tant.
Une BD tragique mais très belle.
Dominique Mesans
Les médiathécaires vous conseillent
Une belle BD touchante, pleine d'aventure et de poésie
L'histoire de deux hommes, deux amis et voisins de longue date. Une histoire bouleversée lorsque l'un des deux décède et laisse un héritage sans testament.
Amédée, ancien notaire à la retraite, se met à remonter le passé de son ami Joseph à la recherche d'un fils hypothétique... Commence alors pour Amédée une quête difficile où sa ténacité va être mise à rude épreuve. Y parviendra t'il ? Lui qui voyageait en écoutant son ami narrer ses histoires, le voilà désormais à vivre sa propre aventure.
Dominique Mesans
La dignité des vaincus
« Face au malheur / Face à la mort / Face aux monstres / Face aux défaites / On se bat ou on abandonne / On munitionne on dégoupille / On prend de l'élan (…)
On est en armes. »
Sylvain Pattieu, historien et écrivain, consacre son premier recueil de poésie aux vaincus. En déposant ses tracts et reposant son corps, il nous offre la poésie comme arme et bouclier.
L’auteur part des mythes universels de l’Iliade dont il transpose l’histoire, faite d’amour et d’hubris, à notre monde actuel.
Quarante-neuf poèmes disent une histoire de la violence, une histoire des vaincus, de morts, de vivants et de la possibilité d’un monde meilleur.
Aux fantômes de l’histoire se mêlent des fantômes plus intimes : l’ami amoureux suicidé et Matthieu, mort au Bataclan, dont il reprend une partie de son poème. « Je t’imagine magnifique / Je viens m’excuser d’être là / Le bras armé / de fleurs du soir (…) / Je t’imagine magnifique / Et je m’en vais (…). »
Sidérés, désœuvrés, tristes parfois mais debout, nous disent les poèmes. C’est la dignité des vaincus. « On pleure mais on est là / On est dedans / On se bagarre / On donne les moyens / Coup pour coup autant qu’on peut.
On a nos corps qui bougent et nos mots qui résonnent. »
En armes toujours parce qu'il y a le sourire zapatiste de Fortino Sámano et les mésanges charbonnières de Rosa Luxembourg.
Françoise Oliva
Longtemps, on a pensé l'accident secondaire, une turbulence temporaire d'un ordre appelé forcément à restaurer son équilibre essentiel. Et puis il y a eu le progrès. Et, avec lui, ce paradoxe : le progrès est aussi celui de la catastrophe. L'accident est consubstantiel au progrès, et non son opposé.
Cela, Hannah Arendt l'avait pressenti quand, dans Condition de l'homme moderne (1958), elle écrit : « La catastrophe et le progrès sont l’avers et le revers d’une même médaille ». De cette intuition qui avait pour origine l'allégorie de son ami Walter Benjamin sur l'Ange de l'Histoire, Paul Virilio a tiré un chantier qui, à l'ère des crises cumulatives, crise économique et politique, crise sanitaire, environnementale et climatique, ne cesse pas de montrer le caractère brûlant de son actualité.
Accélération, disparition (dromologie)
Paul Virilio a une douzaine d'années lorsqu'il assiste aux bombardements de Nantes marquant la fin de la Seconde Guerre mondiale. On imagine aisément ce que cette expérience traumatique aura entraîné d'effet sur sa trajectoire intellectuelle. On évoquera entre autres l'assistanat de Serge Rezvani pour la réalisation des vitraux d'une église paroissiale du Doubs en 1956, l'étude phénoménologique des bunkers du Mur de l'Atlantique en 1958 et, en 1963, la création avec Claude Parent du groupe Architecte Principe, défenseur à l'école spéciale d'architecture (ESA) de la fonction oblique, respectueuse des dynamiques marquées par l'instabilité et le déséquilibre (Jean Nouvel a bénéficié de cet enseignement).
Au milieu des années 1970, Paul Virilio pose les premières bases d'une pensée originale qui a tenté d'évaluer les effets critiques, sur l'architecture et l'urbanisme, exercé par l'accélération des rythmes de vie. Il invente à cet effet le concept de « dromologie » afin de montrer que la révolution industrielle aura engagé aussi celle d'un nouveau rapport à l'espace et au temps, marqué par la course (dromos), le raccourcissement des délais et la fuite en avant. Le temps a longtemps été considéré sous le seul prisme de la durée. Il l'est désormais dans la perspective critique de l'accélération. Paul Virilio est alors raccord avec la théorie de la relativité.
La transmission accélérée fait gagner du temps mais pour quoi faire quand l'accélération de moyens de communication en arrive à faire disparaître ses objets ? L'obsolescence devient celle du genre humain quand il perd de vue le rapport des fins et des moyens. Ce qui survit à la disparition accélérée sont des ruines qui n'ont plus rien à voir avec les vestiges antiques, ruines du contemporain lui-même.
Civilisation moderne, société du risque
Un grand renversement a donc été accompli par Paul Virilio. Quand la métaphysique pose depuis Aristote que l'accident est relatif et contingent, et la substance absolue et nécessaire, Paul Virilio pose l'accident comme l'origine. Il pense l'accident comme intégral, l'intégrale de nos existences qui, dorénavant, se vivent sous le soleil aveuglant de la désintégration possible. La consubstantialité de l'accident est ce qu'il nous faut penser en rappelant que l'équilibre est toujours précaire, instable, jamais définitif, jamais gagné. Partir de la fin pour penser les commencements. La civilisation moderne est une société du risque intégral et de la catastrophe systémique et le plus grand des risques est celui de l'irréversibilité des effets de la catastrophe comme on le sait désormais avec le nucléaire.
Le progrès est religion laïque ou pure idéologie si l'on refuse de voir qu'il est aussi celui de la catastrophe, essentiellement de l'accident. C'est pourquoi Paul Virilio a pu écrire : « Le naufrage est l'invention du navire, le déraillement celle du train, le crash celle de l'avion, Tchernobyl celle de l'atome et une catastrophe issue de la génétique est prévisible. L'accident est ainsi caché dans la substance ».
La fin du monde est sans avenir
L'accident est ce dont nous partons et ce vers quoi nous allons. L'accident est ce qui arrive et nous arrive. Ce qui arrive, en latin, se dit d'ailleurs ainsi : accidens. La grande exposition réalisée en 2002-2003 à la Fondation Cartier aura exemplairement montré en quoi nos vies sont exposées à l'accident - surexposées. On aime lire Paul Virilio comme on aime revoir les films de Jean-Luc Godard et David Cronenberg, tous des hypersensibles à l'essentielle catastrophe de nos existences.
Aucun délire apocalyptique dans cette vision, même si Paul Virilio, avec un père communiste d'origine italienne et une mère bretonne et catholique, s'est tôt converti à la religion de cette dernière. La fin du monde est un concept sans avenir, disait-il sérieusement mais avec le rire en coin. Son catastrophisme est éclairé en ceci qu'il se décrit comme « une philosophie de l'eschatologie industrielle ». C'est-à-dire une science des fins que l'on oublie tragiquement dans nos moyens. Le trauma de notre finitude existentielle est le refoulé que l'accident ne cesse de faire revenir en l'exaspérant de manière panique.
La fin du monde est un concept sans avenir. Ce qui en a c'est la fin (par exemple de ce monde-ci), c'est l'angoissante finitude qu'offusque le gigantisme catastrophique de nos moyens.
Le destin de l'occident, qui a mondialisé la révolution industrielle dont le mythe est le progrès, est celui de l'accident. Nous qui sommes des accidentés de l'occident, des « occidentés » disait Lacan, n'oublions pas que si catastrophe vient du grec qui signifie le tournant (strophê) mais la tête en bas (katâ), « Une catastrophe / c'est la première strophe / d'un poème / d'amour » (Rainer Maria Rilke).
Saad Chakali
Une rencontre artistique et amoureuse
De Paris à Montréal, séparées par des milliers de kilomètres, deux artistes échangent. L'une souhaite dessiner un album jeunesse, l'autre est passionnée de photographie mais a mis au tiroir son appareil photo depuis longtemps.
Mais sur internet, les deux personnages vont s'inspirer mutuellement, et démarrer un projet commun. Une histoire d'amour va naître entre les deux jeunes femmes. Ni l'une ni l'autre ne pensent être homosexuelle, mais sur le web, avant de parler avec une fille, elles parlent avec quelqu'un. Les sentiments vont émerger malgré elles.
Une très belle histoire.
Mélanie Lesourd
Les médiathécaires vous conseillent
Pour futur lecteur de Tolkien
L'histoire raconte le combat de trois jeunes lapins, Podkin, Paz et Pook, contre un mal terrifiant : Les Gorm, des lapins de fer qui détruisent et colonisent le monde dans lequel nos jeunes héros vivent.
Les 3 tomes nous racontent les différentes confrontations de nos jeunes héros avec ces êtres maléfiques, jusqu'à la guerre finale où ils affronteront le chef des Gorm : Scramamashank.
Une trilogie bien rythmée, un texte facile à lire avec de courts chapitres. Dès 9 ans.
Isabelle Casalbi
Frontières
Hanna s'apprête à passer un bel été, comme tous les autres auparavant, en compagnie de sa copine Siv et de sa grande soeur Mette. Mais cette année, la saveur estivale a un autre goût : celui du passage à l'adolescence.
Un roman graphique juste et très frais qui nous replonge, pour certains, dans les tourments d'une période transitoire difficile et pour d'autres dans l'aventure vers l'âge adulte.
Un regard pas si insouciant vers l'enfance, des couleurs, un dessin modernes et plaisants. Une lecture très agréable, à partir de 12 ans.
Céline Nourbakhch
Prendre soin par les marges
Nous sommes malades d'Éros, nous sommes ivres d'amour. Vivre c'est avoir la maladie, c'est l'avoir à en crever. Les photographies de Nan Goldin sont comme la hache dont a parlé Franz Kafka, qui fend la glace qu'il y a en dedans de nous. Ses images sont le témoignage vacillant des intimités partagées et des amitiés dont le tremblé tempère les brûlures de l'obscénité. Beaucoup d'amis sont morts, la drogue, le sida. La beauté votive des images de Nan Goldin est le gage des souhaits exaucés : violentes et fugaces, ces vies auront malgré tout laissé des traces.
Dans la marge, dans les plis
Devenir sa blessure et tirer d'elle le don de double vue, en extraire le "pharmakon" nécessaire à continuer, en s'allégeant même comme si l'on avait des ailes : Nan Goldin a onze ans quand elle apprend le suicide sa sœur. La maladie mentale et l'hôpital psychiatrique fonctionnent alors comme un voile servant à étouffer les mots hurlant la violence des normes sexuelles, encore inaudibles socialement. Nan lit Vogue, s'initie toute seule à l'âge de quinze ans à la photographie, est familière des communautés gay et lesbienne du Massachusetts. Elle rencontre à Boston le photographe David Armstrong. Ils partagent les mêmes curiosités, Andy Warhol, Larry Clark et surtout Diane Arbus.
Nan Goldin s'installe à New York à la fin des années 70, elle a 25 ans. La jeune photographe habite le Bowery, cet îlot fracassé par la drogue et la pauvreté. Elle fréquente la mouvance post-punk dont l'un des abris, devenu mythique, est un club couru, le CBGB (ou CB's), où triomphent Patti Smith, les Talking Heads et Television. La jeune photographe commence alors à composer un grand album qu'elle mettra plus de dix ans à achever, "The Ballad of Sexual Dependency" (1981-1996). Le diaporama qui comprend 800 images peut être, à l'occasion de performances, couplé à des chansons comme celles du Velvet Underground, à des arias chantés par Maria Callas, à des transes de démon soul de James Brown. La photographe y apparaît souvent, notamment aux côtés de son amoureux d'alors, Brian, avec qui elle a vécu une relation qui a failli lui coûter un œil. Portraits et autoportraits, pris sur le vif ou à l'aide du déclencheur, arrachent aux vies précaires la composition qui leur manque, et que les photos leur redonnent parce qu'il en va de la vie même de Nan Goldin.
Dans les photographies de Nan Goldin, les lumières urbaines vacillent telles les galaxies aléatoires de la physique quantique. Les draps froissés sont tachetés d'étoilements organiques, pliés de secrets que la photographe se garde bien de percer. La vie dans les marges est la vie dans les plis.
Accros à la vie jusqu'à la toxicomanie
La vie dans les marges a des intensités équivoques, des frictions qui interrogent. Les incarnations douloureuses y voisinent à l'aise avec les expérimentations qui fichent la pagaille dans les gardiennages du genre. Les marges bricolent, les périphéries machinent, le désir partout électrique. Seule l'amitié a autorisé à avoir pu ainsi sonder les courants souterrains de formes d'existence qui sont un milieu charnel et sauvage, avec ses saillies vitales et ses ombres morbides, ses chairs sanguines ou blêmes, ses regards perdus et ses sourires malgré tout. La vie dans les marges est un dépli générique : la vie est addictive, une toxicomanie et c'est par manque ou overdose qu'arrive la mort.
L'intimité peut alors se retourner en exemplaire extimité. Devant un pareil regard, nous affrontons l'exhibition de nos propensions, ignorées ou inavouées, propres et impropres. Nous vivons ainsi sans l'admettre, nous nous aimons ainsi sans nous le dire, nous qui sommes les dépendants sexuels de la vie, nous ses accros, nous ses toxicos. Regarder les photographies de Nan Goldin, ce n'est donc pas seulement être interpellé par des formes d'existence marginales, précaires et violentes, c'est surtout tenir qu'il n'y a pas de vie commune soutenable sans une vraie politique de l'addiction.
L'érotisme du travail de Nan Goldin, malaisant jusqu'au désarmant, relève moins d'une pharmacie pour branchés de l'art qu'il plaide pour une pharmacologie du contemporain, qui est malade et dégoûtant au plus haut point. Nan Goldin est à sa façon une médecin de civilisation.
Saad Chakali
Sublime
Une BD sans texte. Une poursuite burlesque sous des traits à l'aquarelle de Lelis tout simplement sublimes !
Isabelle Tramoni
Les médiathécaires vous conseillent
L’amour est une drogue, la vie une maladie
« Si vous marchez dehors, à cette heure et en ce lieu, c'est que vous désirez quelque chose que vous n'avez pas, et cette chose, moi, je peux vous la fournir. » Ainsi commence Dans la solitude des champs de coton. La pièce de Bernard-Marie Koltès raconte en 60 pages diamantines la danse de vie et de mort entre un toxico et un dealer. Elle procède par taillades, desquame, elle opère à l'os : il n'y a pas une relation qui ne soit pas une affaire de pouvoir et de domination, il n'y a pas une demande de reconnaissance qui n'engage pas une situation de dépendance, il n'y a pas de dialectique sans qu'elle ne soit celle du maître et de l'esclave.
Le désir est toujours celui de l'autre, c'est une drogue, une came dont l'addiction a besoin pour abolir l'idée même de satisfaction.
La plantation qu’en soi nous portons
Pas de réalisme, pas de psychologisme : la relation est une mise à nu et le dénudement ausculte à vif le nerf de la guerre. La toxicomanie n'est pas une région marginale des affaires humaines, c'est un commerce dont les échanges ont une valeur de paradigme. La toxicomanie est l'exemple des exemples, celui qui les résume tous. Le théâtre est une drogue, le travail est une drogue, l'amour est une drogue. La langue de Bernard-Marie Koltès est fiévreuse, elle a la précision du coup de fouet qui n'appartient ni au maître ni à l'esclave mais à l'interzone de leurs relations. La réécriture de la dialectique du maître et de l'esclave conceptualisée par Hegel tient de la scarification, c'est un chant d'amour indiscernable d'un cri de haine parce que l'autre est le champ de qui l'on se remet à la fin. La remise de soi est non seulement abandon et déprise mais emprise de l'autre sur soi. Un empire.
Le champ de l'autre est un champ de coton, c'est l'esclavagisme profond des individus modernes qui se cherchent des maîtres pour être leurs esclaves, en n'ignorant jamais qu'ils sont les esclaves dont le maître a besoin comme d'une drogue pour tenir au rôle qui lui sied.
L'esclavage a créé le système plantationnaire et nous redécouvrons que tout un chacun en possède un à l'intérieur de soi. Nous qui sans fin désirons sommes les esclaves du désir dont l'autre détient la clé, qui est l'illusion de la satisfaction. Nous sommes à nous-mêmes nos propres colons et colonisés, toute une colonie, tout un colonialisme nécessaire à cultiver nos passions et propensions, sadisme et masochisme. Le pessimisme est d'une radicalité qui ne contrevient pourtant jamais à l'ivresse d'une mobilité dans le jeu des rapports, le toxico a besoin du dealer comme le dealer du toxico, moins une guerre de mouvement qu'une guerre de position. La vie est addictive, une toxicomanie.
L’autre dont j’ai besoin et qui, jamais, ne me donne satisfaction
La double dépendance avère la réciprocité de la toxicomanie. C'est un jeu de miroir avec toutes les virevoltes imaginables, tous les effets spéculaires possibles. L'autre est la came, il est détenteur de la dose espérée au risque de l'overdose. L'illusion est cependant un leurre nécessaire depuis que nous avons perdu le placenta. Dans la solitude des champs de coton est une érotique dont les mâchoires sont terribles en formant une grande bouche vorace. L'humanisme n'y résiste franchement pas, d'un côté dévoré par la zoologie (les personnages koltésiens sont des animaux de nuit, des chiens et des chats qui se partagent le gris), de l'autre profané par l'économie et son anthropologie (l'intérêt commande à l'équilibre des peines et des plaisirs, moins Mauss que Bentham).
Ce qui remue la scène jusqu'à l'évidement, c'est le renversement perpétuel de l'un et de l'autre, l'un qui est l'autre et l'autre qui est l'autre de l'un, une circulation des besoins épuisant tous leurs substituts parce qu'il n'y a que l'autre, dont j'ai besoin et qui ne me satisfait jamais. Bernard-Marie Koltès arrive tout juste après Rainer Werner Fassbinder et il partage avec lui la même anthropologie naturaliste.
J'ai besoin de toi et tu as besoin de moi, tu le sais bien, et notre tromperie réciproque est notre commerce, un jeu de stratégies et de faux-semblants à l'infini. Nous qui croyons avoir besoin désirons sans fin. Notre dur désir de durer est captif du désir de l'autre, c'est ainsi. Le théâtre doit en accueillir le destin, offert à la vie tragique, à la vie comme maladie dont seule la mort permet de guérir.
Bernard-Marie Koltès est mort en 1989 des conséquences du sida à l'âge de 41 ans. Il est l'auteur d'autres pièces qui appartiennent à la littérature importante de notre temps, La Nuit juste avant les forêts (1977), Combat de nègre et de chiens (1979), Quai Ouest (1985), Le Retour au désert et Roberto Zucco (1988). Dans la solitude des chants de coton a été créé par Patrice Chéreau au Théâtre des Amandiers à Nanterre en janvier 1987. Il remonte la pièce au Festival d'Avignon en 1988, puis à la Manufacture des Œillets à Ivry-sur-Seine en 1995. Et, contre l'avis de son auteur, le metteur en scène a interprété dans les deux reprises le rôle du dealer. Patrice Chéreau savait bien qu'il était aux Amandiers le premier pourvoyeur d'une drogue dont il était le premier des camés.
Saad Chakali
Percutant
J'ai totalement été cueillie par ce roman d'Amélie Antoine. Une histoire qui se lit en apnée. Amélie Antoine sait écrire les histoires, se glisser dans le quotidien et aller gratter le vernis... avec des mots percutants, tranchants... avant de nous envoyer au tapis.
Isabelle Tramoni
« Pourquoi tu pleures ? » est un thriller psychologique prenant, que l'on dévore de la première à la dernière page avec l'envie de connaitre la fin très rapidement. Un roman oppressant, dérangeant et glaçant au possible.
Dalila Mison
Waouh !
Tchac, wouch, cling ! Vêtus d’un kimono et brandissant leurs katanas, deux robots s'affrontent sous la pluie : la scène est digne d’un film de samouraïs dans un Japon post-apocalyptique. Puis notre Yojimbot découvre Hiro, un jeune garçon qu’il choisit de protéger contre les soldats et les drones qui le traquent. Comme dans un jeu vidéo, nos nouveaux alliés multiplient les rencontres avec des personnages étonnants.
Dans cette première BD, Sylvain Repos joue merveilleusement avec les effets de mouvement et les onomatopées. Les robots samouraïs sont super expressifs et les dessins hyper dynamiques. Un graphisme unique et absolument sensationnel ! Coup de cœur !
Aurélie Glever
Une simple histoire de famille
Les histoires de famille ne sont jamais simples. Il y a les non-dits, les mensonges et les secrets.
Un livre délicat et sensible.
Dalila Mison
Les médiathécaires vous conseillent
Un récit initiatique et fantastique
Tom a 13 ans et Emma 18 quand ils partent avec des copains de l'ainée passer des vacances dans le village de C. Passionné d’extérieur et de grand air, Tom s'enfonce dans les montagnes environnantes à la recherche de ces feux qu'il a vu s'allumer la veille au soir. Lors de sa randonnée, il découvre une clôture et un écriteau sur lequel est inscrit "Celui qui entre ici n'en revient pas". Tom décide de l'ignorer et ne revient pas. Deux ans plus tard, Emma revient sur les lieux où son frère a disparu pour poursuivre les recherches.
Un récit initiatique et fantastique. Entre découverte des émotions, des corps et le retour à la vie sauvage. Cette histoire décrit une société brutale où seul prédomine la violence et la loi du plus fort.
Isabelle Casalbi
L'amitié, la plus grande des aventures !
Bientôt la fin du collège pour Mikihiko et ses trois amies Keiko, Iyo et Miya. Ils décident de passer tous les quatre les examens d’entrée dans un lycée privé de Tokyo. Mais tout ne se passe pas si bien que prévu, et ils se perdent de vue. Au lycée, Keiko décide de retrouver ses amis et de reconstruire les liens.
Des personnages attachants et une belle histoire en deux tomes sur l’amitié et l’affirmation de soi !
Aurélie Glever
Emprise amoureuse
Un roman efficace et percutant sur le thème de l'emprise amoureuse.
Judith, 16 ans, rencontre un soir en boite de nuit, un homme qui a le double de son âge. Séduite par la maturité et le charme de Colin, la jeune fille ne voit pas le piège se refermer sur elle. Rêveuse, amoureuse et encore très jeune, elle se laisse berner par cet homme séduisant. Pourtant elle se rend compte, parfois, que la relation n'est pas saine entre eux mais pardonne et a du mal à le quitter.
Tout le monde peut être un jour concerné par ce sujet. Le parcours de Judith peut permettre à d'autres jeunes filles ou garçons de ne pas tomber dans le piège.
Isabelle Casalbi
Histoire d'envol
Tsurutama est une jeune fille au caractère bien trempé, malgré des blessures d’enfance. Quand elle arrive à l’université Aonagi, elle ne connaît personne : l’occasion idéale pour faire oublier son passé de grande sportive un brin garçon manqué et trouver un copain. Mais voilà qu’un incident la contraint de s’inscrire au club d’aéronautique. Ce n’est pas d’un garçon que s’éprend alors Tsurutama, mais du ciel !
Au fil des cinq tomes de la série, on voit évoluer avec bonheur les différents membres de l’équipe.
Un très beau manga qui, sous le prisme du vol en planeur, mêle humour, informations sur l’aviation et récit initiatique.
Coup de cœur !
Aurélie Glever
Thriller pour jeune public
Un roman jeunesse fantastique et qui fait peur, de quoi séduire les jeunes lecteurs (9/12 ans).
Elvira 12 ans part en colonie de vacances. Dès le début du séjour des incidents étranges vont se produire dans la chambre 213 qu'elle occupe avec Béa et Maje. Se passe-t-il réellement des choses surnaturelles ou bien est-ce une personne qui s'amuse à faire peur aux jeunes filles.
Le doute et l'origine du paranormal des événements est entretenu tout au long du récit. Les trois filles explorent de manière assez logique les pistes en cherchant une explication rationnelle aux événements qu'elles vivent.
Un roman qui tient en haleine.
Isabelle Casalbi
Une année riche en émotions !
Génial ! Demain, c'est la rentrée en 5ème pour Emma : elle va retrouver Bao et Linnéa ! Sauf que maintenant, Linnéa a un copain et qu'à cause de ça, Bao est fâchée. Entre ses deux meilleures amies, Emma ne sait plus où se situer. Et dans sa tête, les jeux d'enfance font place à d'autres préoccupations : comment savoir si on est amoureux ? Comment rester soi-même sans offenser les autres ou avoir l'air ridicule ? Et puis ça veut dire quoi, être mûr ?
Sentiments, homosexualité, apparence, musique, réseaux sociaux... Ce superbe roman graphique aborde un grand nombre de sujets dans lesquels beaucoup d'adolescents se retrouveront.
Avec sa forme originale entre journal intime et bande dessinée, il se lit avec délice.
Aurélie Glever
Les médiathécaires vous conseillent
Éblouissant
« La nuit, c’est ma couleur préférée ». Ainsi débute le journal « confident ciel » d’Élisa, une écolière souffrant de troubles du langage. Car quand les mots se bousculent et que l’incompréhension blesse, reste ce moment propice à la rêverie et à la sérénité. Une nuit magnifiée par l’imagination de celle que l’on surnomme « Zaza Bizar » et qui nous emporte avec elle dans son univers onirique. Une nuit teintée de poésie mais aussi d’espoir.
Rien de ténébreux dans ce roman graphique d’une beauté exceptionnelle. Un livre spécial, pour une jeune fille spatiale. À lire et à contempler, absolument.
Aurélie Glever
Liberté et civilisation, un roman d'anticipation
Trois époques, trois histoires où la forêt est omniprésente du début à la fin.
2022. Un universitaire anglais écrit un manifeste "Do not count on Us" : Ne comptez pas sur nous, qui va devenir immédiatement la bible des jeunes. L'idée est de rompre définitivement avec la société existante pour en construire une nouvelle dans les bois, se créer "des villages" sans chef dans lesquels le troc règne, ne plus acheter, ne plus consommer, revenir aux bases. Mais la rébellion n'est pas acceptée et la société s'organise pour créer des cités containers dans lesquelles la jeunesse et ses idéaux sera contenue, surveillée.
Trente-six ans plus tard, seule une poignée d'entre eux reste encore dans la forêt...
Ce roman nous pousse à réfléchir en se projetant dans un avenir possible en abordant les sujets tels que : l'écologie, l'éducation avec en point de mire, les risques d'excès des dirigeants. Cela nous pousse à se demander si ce futur est possible ou si l'illusion est trop forte. Ce roman est une vraie réflexion sur la liberté et la civilisation.
Un coup de cœur !
Isabelle Casalbi
Dystopie délirante sur la société de consommation
Everything, c'est l'histoire d'un centre commercial aux effets addictifs...
Si vous entrez dans ce géant magasin, alors tout devient facile ! Tout est magique ! Tout est beau, bien organisé, les vendeurs sont charmants, vous trouvez évidemment ce qu'il vous faut (même si vous l’ignoriez jusque-là...). Bref : vous êtes heureux.
Mais la magie n'opère pas sur tout le monde... et ceux qui sont malheureux meurent dans d'étranges conditions... Que cache vraiment le centre commercial Everything ? Les clients gardent-ils vraiment leur libre-arbitre une fois le sas d'entrée passé ?
Une dystopie délirante sur la société de consommation, un récit SF drôle et grinçant, dérangeant... Ça fonctionne. Un très bon Comic Book.
Mélanie Lesourd
Tel un enchantement
Née d’un père cherokee et d’une mère blanche au cœur de l’Amérique des années 1950, Betty connaît le rejet, l’humiliation et la solitude. Pire encore est la condition qu’elle partage avec sa mère et ses sœurs : naître fille, devenir femme et toujours devoir plier.
Un magnifique portrait masculin se détache pourtant, celui d’un père toujours relié à la nature, un père aimant dont les songes permettent à Betty de sublimer le réel.
Un pouvoir des mots plus fort que la brutale réalité, et que la Petite Indienne va manier à son tour à travers l’écriture. Sublime.
Aurélie Glever
Un premier roman autobiographique sur la quête des origines.
Un récit remarquable.
Dalila Mison
Les médiathécaires vous conseillent
Un récit poignant
Jeanne nous livre un roman coup de poing sur les violences intrafamiliales et ses répercussions. Un texte intense dès les premières pages. Un récit écrit avec colère et une sensibilité à fleur de peau. Une colère tenace depuis l'enfance, détruite pas la violence de son père.
« Je n'avais pas trente ans, j'étais en guerre. Depuis toujours. Pour toujours ».
Isabelle Tramoni
(Egalement disponible en livre numérique)
Noir, le zéro et l'infini
« Space is the place » a chanté Sun Ra en 1973. Le grand sorcier du jazz est un soleil noir parce qu'il a été l'annonciateur d’une promesse mythique dont l’afrofuturisme est l’arche poétique. L’outre-espace invite moins à fuir dans une rêverie de space opera qu'à la réinvention du vivant et celle-ci devra prendre connaissance que la fin du monde arrive moins qu'elle s'est toujours déjà produite, en Afrique avec la traite raciale et l’esclavage. C'est ce que montre Frédéric Neyrat dans un livre court qui a l'énergie d'une fusée éclairante : L'Ange noir de l'Histoire.
Afrofuturisme
Le terme d'afrofuturisme est apparu à la fin des années 90 quand des écrivains ont noté le recours toujours plus fréquent par des artistes africains et afro-descendants à la science-fiction, précédés par des musiciens durant les années 70. L'afrofuturisme s'abreuve à deux sources : l’Égypte ancienne et ses pyramides ; la science-fiction et ses voyages intersidéraux. L’imaginaire est non seulement hybride mais aussi dialectique. Le Noir y a une face solaire et égyptienne, une autre qui est interstellaire et technologique : c'est l'outre-noir des espaces infinis. L’avenir n'arrive qu'avec la restitution créole et créatrice du passé.
Les créations musicales et textuelles, sonores et visuelles de l’afrofuturisme sont des bâtons de dynamite qui font sauter le continuum de l’Histoire. Elles font émerger des alternatives depuis un fond obscur : la fin du monde devant nous s'est en fait toujours déjà jouée derrière nous.
Le Noir n'est dès lors plus un cas particulier de l’espèce humaine, mais son représentant dans son intégralité. L'archétype a ainsi cessé d'être une victime pour devenir une figure paradigmatique, un espoir de rédemption exemplaire parce qu'il a réchappé à l'impossible - le dépeçage de l'Afrique. L’avenir reste donc à écrire en relisant à nouveaux frais le passé. Le Noir est ainsi une variation possible de l’Ange de l’Histoire imaginé par Walter Benjamin, avec dans son dos les catastrophes accumulées, et une faible force messianique pour aller devant lui.
Icare noir(e)
Le jazz de Sun Ra en compagnie de son Arkhestra comme le funk de George Clinton, les chansons de Janelle Monae et les poèmes d'Alexis Pauline Gumbs, les peintures de Wangechi Mutu et les romans d'Octavia Butler sont de grandes inventions artistiques qui témoignent en faveur de la puissance esthétique de l'afrofuturisme. A l'inverse, un blockbuster comme Black Panther en trahit l'esprit en refoulant la catastrophe originaire dont le Noir est le porteur. D'un côté, les pyramides rédiment la mémoire des vaisseaux de la traite négrière, avec les cadavres jetés à l'eau dont la décomposition participe à la bioluminescence de l'océan. De l'autre, elles s'apparentent à de grandes arches intergalactiques qui refondent les conditions d'habilité de la Terre, une fois sortie de son axe à deux gonds, anthropocentrique (l'Homme est au centre du vivant) et géocentrique (la Terre est au centre de l'Univers).
Avec les pyramides, on redécouvre que l'espace est noir, et la matière noire plus grande encore qui échappe à la perception : l'espace qui est outre-espace comme le peintre Pierre Soulages travaillait le noir comme outre-noir.
Qui est l’étranger qui pourra donc nous rappeler à notre étrangeté originaire de vivant perdu dans l'univers ? Qui est l’alien qui pourra réussir à nous désaliéner ? C’est le Noir. L'Ange Noir est un nouvel Icare, attiré par le soleil sans oublier le noyau obscur logé dans son cœur depuis le désastre originaire du capital qui, d'emblée, naquit racial en extrayant du nègre le précieux métal nécessaire à battre ses monnaies.
Noir est la non-couleur de qui se soulève après avoir été nié dans son existence, promis à l'outre-espace qui n'est plus un programme de conquête spatiale mais l'aventure d'une bifurcation qui réinvente l'avenir en ramenant du passé ses potentialités oubliées.
Icare noir, homme ou femme, est la figure du grand voyage intersidéral qui nous attend, le zéro qui circule entre l'infini des étoiles, la grande médiatrice interstellaire d'une écologie qui devient cosmologie : « cosmmunisme ».
Saad Chakali
Pères et fils
Moïse est né au début du siècle dernier et en a traversé les grands drames. De cet homme froid et distant, son fils et son petit-fils Baptiste n’ont jamais connu l’histoire... Jusqu’à la découverte à sa mort de lettres adressées à une certaine Anne-Lise, que les deux hommes cherchent à retrouver.
Dominique Mermoux nous livre une magnifique adaptation du roman de Baptiste Beaulieu, Toutes les histoires d'amour du monde. Entre les lettres de Moïse assorties de dessins bichromatiques figurent des planches plus colorées qui nous racontent la relation entre Baptiste et son père dont la quête est aussi une tentative de se rapprocher.
Le réalisme et l’expressivité des mots et des images nous le rappellent : « il n’y a pas un mot de cette mystérieuse, extraordinaire et injuste histoire qui ne nous concerne pas. »
Aurélie Glever
Peter Pan aujourd'hui
Pleins phares sous la pluie. Wendy conduit, ses petits frères John et Michael à bord. Un moment d’inattention au passage d’un pont et c’est l’embardée. À son réveil, on annonce à la jeune fille que Michaël est mort. Mais Wendy n’y croit pas : elle l’a vu s’envoler vers le Pays Imaginaire. Mêlant réalité et illusions avec pour seul indice un usage subtil des couleurs, l’histoire nous emporte dans le monde de Wendy. Le Pays imaginaire existe-t-il vraiment ? S’agit-il d’une échappatoire permettant à l’adolescente de surmonter l’épreuve du deuil et de la culpabilité ?
Magnifique hommage à l’œuvre de James Matthew Barrie, cette bande dessinée rend à Peter Pan sa noirceur originelle et nous livre un conte résolument moderne.
Aurélie Glever
Les médiathécaires vous conseillent
Amour et handicap
Lors d’un dîner professionnel, Tsugumi croise de nouveau la route d’Hayukawa. Elle découvre que le jeune homme, dont elle était secrètement amoureuse au lycée, est maintenant en fauteuil roulant. Tous deux sauront-ils construire leur histoire, malgré l’émotivité de la jeune femme et la santé fragile d’Hayukawa ?
Un très beau shôjo qui aborde avec sensibilité le handicap et les répercussions que cela peut avoir sur les personnes touchées et leur entourage.
Profondément touchant !
Aurélie Glever
La télévision, remède et poison
Avant d'être un livre à quatre mains, Échographies de la télévision est un entretien filmé entre Jacques Derrida et Bernard Stiegler. Le premier est un philosophe reconnu, le second qui a été l'un de ses étudiants ne l'est pas encore. Ensemble, ils dialoguent et l'on sait que le dialogue sied à la philosophie depuis l'origine, sa naissance avec Socrate et son disciple Platon. Filmé, leur dialogue pense ainsi la condition technique de sa production. La télévision se présente alors comme un médium rappelant ce que l'on entend par déconstruction, qui n'est pas comme le disent les sots la destruction de la tradition, mais le spectral qui hante le vivant.
Télétechnologie
Avec le développement des médias et de ce que les auteurs nomment « télétechnologies », l'expérience du spectre, loin d'être dissipée comme on aurait pu le croire par la production industrielle des images, s'est au contraire accentuée comme jamais. Le spectral est une hantise que la métaphysique s'est par tradition efforcée de conjuguer, déjà en contestant l'écriture subordonnée à la primauté de la voix. La conjuration voudrait ainsi refouler le fait qu'il n'y a pas d'ontologie, qui est le discours de l'être, sans qu'elle soit aussi une « hantologie », qui est celui du fantôme.
L'écriture est en réalité toujours déjà télétechnologie, c'est-à-dire la production d'un discours qui exerce à distance, dans l'espace et le temps, des effets justement rendus possible par la technique. On comprendra mieux la réticence des premiers philosophes à l'égard de l'écriture considérée comme une mortification de la parole pleine et vivante, un remède (l'écriture est mémoire) qui peut être aussi un poison (c'est une mémoire morte). On saisit mieux les rigidités et critiques, y compris de la part des mieux inspirés comme Guy Debord qui à ce titre ne s'émancipe pas de Platon, face à l'empire croissant des images qui menacerait de faire basculer nos sociétés du côté des simulacres.
La question est alors, et non seulement, celle du pharmakon, reposée à nouveaux frais par Jacques Derrida, elle commence aussi à être ce que Bernard Stiegler développera plus tard en proposant une pharmacologie. Ce discours philosophique porte en effet sur le caractère ambivalent des techniques, des remèdes tirés de poisons, des soins dont la toxicité peut engager aussi des addictions nocives.
Exappropriation
La maîtrise dans l'appropriation des images et la circulation des signes est un fantasme antique et il est intensément débordé par ce que Bernard Stiegler et Jacques Derrida nomment une logique de l'« exappropriation ». Il s'agit d'accepter la dimension à la fois d'appropriation et d'expropriation des traces qui, toujours, vivent une vie qui est une « survie », au-delà de la différence catégorique entre la vie et la mort, émancipées de leurs auteurs. Se séparer du geste consistant à conserver les traces que l'on laisse derrière soi est un abandon consenti, une « maîtrise sans maîtrise », un consentement à ce qui arrive en rejoignant toujours le souci de justice d'une politique vraie de l'hospitalité.
C'est aussi une question de temporalité. L'actualité souvent illisible saturant la sphère médiatique exige des différés nécessaires, forcément aussi des événements intempestifs. Notre temps est ainsi celui d'une « artefactualité » accentuée, c'est-à-dire des faits qui sont des constructions sociales et matérielles, des productions artificielles et hyper-matérielles en circulant dans le monde que l'on dit « virtuel ». L'époque est donc aussi à une « actuvirtualité », une virtualisation de la parole publique qui invite autant à critiquer les modalités de la fabrique médiatique de l'opinion, qu'à se méfier d'une apologie du « direct ;» qui ne l'est en réalité jamais. Car comme il y a, toujours déjà à l'origine, trace et différé, il y a également et toujours déjà montage, qui est une autre nom pour l'écriture.
Devenir des praticiens
Bernard Stiegler et Jacques Derrida nous invitent ainsi à apprendre à discerner, dans les images qui nous arrivent, les montages dont elles sont l'agencement. Les images sont des archives dont nous héritons, et dont l'héritage engage également à choisir parmi les spectres qui en composent le legs.
Puisque les pouvoirs sont aussi des « télépouvoirs » qui composent une « télécratie », ils induisent toujours le risque de réduire l'exappropriation en expropriation pure et simple, vérifiée aujourd'hui dans le fait qu'en France neuf milliardaires contrôlent 90% des médias. La chose est d'autant plus accentuée avec Internet qui disloque les lieux d'exercice de la citoyenneté, liés encore aux nations. La remise en question de la « topolitique » est donc l'invitation à la création non seulement de nouveaux espaces de discussion démocratique, mais aussi à de nouveaux usages des télétechnologies.
S'ils désirent s'individuer en se singularisant, autrement dit s'ils désirent prendre soin d'eux alors qu'ils sont prolétarisés, les consommateurs de médias doivent alors en devenir les praticiens.
Saad Chakali
Le dernier voyage
Canada, dans la montagne sauvage. Franklin, jeune sang-mêlé élevé par sont tuteur Barry, quitte la ferme pour aller au chevet de son père mourant. Il découvre un alcoolique perdu, à l'histoire familiale bien compliquée. Et une histoire d'amour déchirante, celle de ses parents.
Une oeuvre pleine de grâce, de pudeur et de délicatesse aux couleurs de la nature environnante. Un récit initiatique inoubliable.
Magnifique BD adaptée du roman de Richard Wagamese, écrivain et journaliste ojibwé décédé en 2017. A partir de 14 ans.
Céline Nourbakhch
Manga coup de poing
Après avoir perdu son petit frère, Nidô a trouvé refuge dans la boxe qui l’a propulsé au sommet. Mais le voici de nouveau réduit à la misère depuis qu’il a été blessé lors d’une agression. Saura-t-il échapper au triste sort qui le menace ?
Une belle histoire sur le sentiment de culpabilité, le pardon et la résilience, racontée et illustrée avec une grande sensibilité.
Aurélie Glever
Les mediathécaires vous conseillent des livres pour la jeunesse
Incroyable ?
Jean-Loup ressemble autant à Einstein qu'au Petit Nicolas. Il est curieux, très intelligent, solitaire et plein de troubles obsessionnels. L’absence de ses parents et sa timidité transforment son quotidien en une véritable épopée, d’autant plus qu’il déborde d’imagination ! Et la tournure que prennent les événements va le pousser à surmonter ses angoisses.
Une BD initiatique tendre, poétique et fantaisiste !
Aurélie Glever
Chouette lecture
Puffy, petit chat noir à la queue blanche se demande qui va bien vouloir de lui...De son côté, Brunilde attend avec impatience son premier vol pour enfin devenir officiellement une sorcière. Il ne lui manque qu'une chose : un chat !
Mi-album, mi-roman, ce livre est très sympathique à lire ! il fourmille de détails, le suspense est à son comble et les illustrations conviennent bien au récit.
Isabelle Casalbi
Merci pour la tendresse !
« Tata m’emmène souvent au restaurant. Comme elle n’a pas d’enfants elle ne sait pas quoi faire. Et moi je n’ai pas de papa, donc c’est logique. C’est pour l’équilibre du monde. Sinon la vie elle pencherait trop d’un côté. »
À travers le regard d’une jeune héroïne espiègle et candide, ce roman graphique aborde avec légèreté un sujet sensible : la vie d’une enfant dont la maman sombre dans la dépression. Heureusement, «Doudou » peut compter sur sa tante et leur grande complicité !
Les illustrations à l’aquarelle ne manquent pas non plus d’humour ni de douceur.
Drôle, émouvant, bienveillant et lumineux, ce livre ne manquera pas d’attendrir les enfants comme les adultes. Coup de cœur !
Aurélie Glever
Faire entendre notre voix
Eliza a le journalisme chevillé au corps... Son rêve : être rédactrice en chef du journal de son lycée et cela tombe bien, elle est la seule à se présenter. Pourtant les élections ne vont pas se passer comme prévu.
La force de ce roman est qu'il est toute en nuances... Non, les mecs ne sont pas que des grosses brutes dénuées de sentiments ; non, les filles populaires ne sont pas toutes sans cervelle... Le roman explique bien ce qu'est, au fond, le féminisme : "ce n'est pas détester les hommes mais [...] c'est œuvrer ensemble pour plus d'égalités entre les sexes".
Avec justesse, ironie et malice, le roman nous démontre qu'on peut être ados et en avoir dans le ciboulot !
Isabelle Casalbi
Ados confinés
Un roman qui traite du confinement, du Covid et des ses impacts. Inaya adolescente en seconde dans un lycée de la région parisienne n'en peut plus de faire face à un second confinement qui vient bouleverser le déroulement de son adolescence. Elle se retrouve enfermée avec sa famille et suit des cours en visio qui l'ennuient. Sa vie sociale va se transposer, encore plus qu'a son habitude, sur les réseaux sociaux. Seul moyen pour elle de maintenir ses relations et même de faire une nouvelle rencontre. Ensemble, ils rient, papotent et commencent à s’inquiéter pour leur avenir.
Le récit se penche sur le mal être des adolescents fortement amplifié par le Covid. En abordant les thématiques du décrochage scolaire, les phobies et les réseaux sociaux sont à la fois un réconfort et un sujet de trahison dans cette histoire.
Isabelle Casalbi
Un album à savourer sans modération !
Prenez un personnage à peine mûr. Versez-y un premier rendez-vous et un zeste d’appréhension. Ajoutez quelques animaux croustillants et des illustrations piquantes. Mélangez. Saupoudrez de surprises étonnantes. Relevez le tout avec une écriture savoureuse et une bonne dose d’humour. Vous obtiendrez un album à croquer. Régalez-vous !
Pour tous les amateurs d'histoires épicées à partir de 3 ans.
Aurélie Glever
Les médiathécaires vous conseillent
Le désir jusqu'au sacrifice
Que voulons-nous dire quand nous parlons du désir ? Désirer tient-il d’une impulsion purement personnelle ou bien le désir met-il en jeu celui d’un autre ? Passer du chiffre deux au chiffre trois est ce qu’aura accompli René Girard dans sa théorie (du désir) mimétique, qui est aussi une théorie du sacrifice en montrant que le sacré s'est fondé sur l’expulsion de la victime émissaire.
Les "lois psychologiques" du désir
Dans son premier ouvrage, Mensonge romantique et Vérité romanesque (1961), René Girard relit de grands auteurs classiques, Cervantès et Stendhal, Flaubert et Dostoïevski et, repérant les mêmes logiques à l’œuvre, il fait alors une étonnante découverte. Pour le romantisme, le désir ne va pas plus loin que le bout de son deux : l’amour est la mimesis des amants. Entre eux, pas de tiers pour s'interposer. Pour les grands romanciers, le désir compte jusqu’à trois. Parce qu’il est imitatif, le désir est triangulaire. Le désirable est le désiré et l'autre est soit un modèle à imiter, soit un obstacle à éliminer. Je désire un autre parce qu'il est désiré par un autre et tous nous sommes des rivaux.
De la triangulation des désirs à l’imitation qui s'en déduit, surgissent les rivaux et les doubles, médiateurs externes (hors du monde, ils sont inaccessibles) ou internes (dans le monde, ils sont trop proches). Le désir mimétique est contagieux en étant sans objet propre : le désir l’est de lui-même.
Ces « lois psychologiques » comme les appelle Proust, celles du désir triangulaire et des rivalités mimétiques, René Girard les voit déjà dans l’analyse de Don Quichotte, Le Rouge et le Noir ou L’Éternel mari, à une époque marquée par les relectures de Hegel concernant la lutte pour la reconnaissance. Elles avaient déjà été relevées en philosophie par Aristote, Spinoza et Nietzsche, aussi par un sociologue et psychologue français un peu oublié de la seconde moitié du 19ème siècle, Gabriel Tarde.
René Girard va s'employer par la suite à étendre la compréhension de ces lois aux grands mythes fondateurs et aux grandes religions en concevant une théorie générale à portée anthropologique dont le centre rayonnant est le désir mimétique.
Du désir à la violence
Donc, il n’y a pas de désir en soi, de désir propre il n'y a pas. Le désir est triangulation et médiatisation, toujours déjà spéculaire. Tout désir est imitation du désir de l’autre, tout désir de l'autre est médiatisé par le désir d'un autre. Ce que l’on désire, au fond, c’est donc le désir lui-même, toujours mobile en étant pris au miroir de l’autre. Les premières études littéraires auront ainsi prédisposé René Girard à discuter les travaux des ethnologues, des mythologues et des anthropologues, même s’il reviendra plus tard à la littérature avec Shakespeare : les feux de l’envie (1990). L’auteur de Roméo et Juliette rejoindra ainsi le panthéon des écrivains ayant préféré au mensonge romantique la vérité romanesque du désir mimétique.
Avec La Violence et le Sacré (1972), René Girard peut désormais développer les linéaments de sa grande anthropologie mimétique. Le désir y reste au centre et son déchaînement dans la guerre des rivaux qui, tous, désirent ce qui est désiré par l'autre, est l’entropie contre quoi se protège la société.
Le sacré s’instituerait donc ainsi : dans l’expulsion collective d’une victime originaire, le tiers, le bouc émissaire requalifié en victime émissaire, le « tragos » de la tragédie grecque ou le « pharmakos » de Platon. De son expulsion originaire auraient ainsi découlé mythes, interdits et liturgies, ainsi que tous les rituels de substitution qui symbolisent l'origine d'un passage à l'acte réel. La crise mimétique se présente dès lors comme un préalable à l’institution du social, tandis que le sacré distingué du profane est le refoulement d’une opération d’expulsion dont le souvenir persiste dans les rituels de substitution.
Influencé par Georges Bataille, La Violence et le Sacré est un livre âprement discuté dans le monde entier. Il l'est notamment par les théoriciennes féministes comme Luce Irigaray qui relève à juste titre la méconnaissance d’un autre genre de victime sacrificielle, les mères oubliées par René Girard. Alors qu’il a cherché à se démarquer des thèses développées par Sigmund Freud avec le complexe d’Œdipe qui rabat le désir dans la figure de la mère, la théorie mimétique détachant pour sa part le désir de tout objet propre en étant non substantiel, René Girard retomberait malgré tout sur l'auteur de Totem et Tabou (1913), avec sa fiction anthropologique d’un meurtre originaire dont le refoulement mythique serait au fondement du sacré et de l'ordre symbolique des sociétés.
Victime émissaire et crise mimétique
Au début des années 70, René Girard est un contemporain de Jacques Lacan et de Claude-Lévi-Strauss, mais il conteste les apports respectifs de la psychanalyse comme du structuralisme. Ce qui fait pour lui la différence est l'analyse décisive du mécanisme victimaire ou de la victime émissaire. Surtout, il accorde une exception à sa grande théorie mimétique. Avec Des choses cachées depuis la fondation du monde (1978), René Girard crédite en effet le christianisme, particulièrement les récits néotestamentaires, d’une révélation gardée secrète par tous les autres mythes ou religions. Cette révélation est la suivante : le sacrifice de la victime émissaire, nécessaire pour sortir de la crise mimétique, est toujours celui d’un innocent.
Jésus représente en effet le dernier sacrifié et sa non culpabilité pourra ainsi dévoiler qu’il n’y a pas un sacrifice, qu'il n'y a pas un seul lynchage qui ne soit pas, fondamentalement, celui d’un innocent.
On a ainsi souvenir de toutes les séquences de lynchage dans les films de Fritz Lang, John Ford et Alfred Hitchcock, crises et rivalités mimétiques toujours déjà comprises comme les feux du sacrifice d'une victime émissaire. On pensera aux victimes des fanatiques d’extrême-droite dont l’intégrisme meurtrier revendiqué est un crime contre l’humanité, comme il l’est pour le Christ dont ils se prévalent.
René Girard reviendra plus tard, avec Celui par qui le scandale arrive (2001), sur la question, difficile, du sacrifice dans la Passion du Christ. Vingt ans auparavant, Le Bouc émissaire (1982) a proposé une lecture des textes de persécution des juifs du 13ème siècle, accusés alors de tous les maux, en montrant que le caractère mensonger des accusations peut aider à éclairer le fonctionnement même des mythes et du sacré. Achever Clausewitz (2007) est une nouvelle approche du grand théoricien de la guerre en montrant que le penseur prussien de la montée aux extrêmes était déjà hanté par l’idée de la rivalité mimétique.
Une spécificité de René Girard tient à ce qu’il a enseigné toute sa vie aux États-Unis avant d’être – tardivement – reconnu en France, élu à l’Académie française en 2005 (il est décédé en 2015 à l’âge de 91 ans). Sa théorie mimétique exerce encore une influence considérable dans plusieurs disciplines, psychologie et neurosciences (notamment avec les études sur les neurones miroirs), psychiatrie et économie (pour les théoriciens de la régulation et leurs héritiers comme Frédéric Lordon). Elle éclairerait aussi les difficultés inhérentes des sociétés modernes et démocratiques, où la compétition économique peut basculer en guerre de tous contre tous, et où la crise mimétique s’est dotée d’une nouvelle figure de victimaire émissaire, l’étranger.
Les critiques et détracteurs de René Girard, notamment René Pommier, insisteront, quant à eux, sur l’implicite d’une approche qui, biaisée par son privilège chrétien, serait au fond peu scientifique, davantage celle d’un exégète brillant et érudit que d’un anthropologue authentique.
Saad Chakali
Sa préférée
Des passages sublimes et poignants, un roman coup de poing.
Puissant et percutant.
A lire.
Dalila Mison
Un océan d'émotions
L’histoire merveilleuse d’une rencontre entre deux êtres : un postier maritime sur le point de devenir père et une baleine extraordinaire qui cache en son sein une bibliothèque.
Une ode à l’amitié entre l’homme et l’animal infiniment poétique !
Aurélie Glever
Tsunami 2004. Une BD bijou
Parfois on ne sait plus trop quoi lire. Pourtant les nouveautés foisonnent et les étagères sont bondées ! Mais non, les livres ne nous disent trop rien.
Alors on fouille un peu dans les "vieilleries" de la médiathèque. Et puis on tombe sur des petits bijoux.
C'est le cas de Tsunami. Une aquarelle magnifique au service d'un devoir de mémoire et d'une histoire sur la fraternité, les liens puissants d'un frère et d'une sœur que la catastrophe a séparé.
Se lit d'une traite. Une très belle BD.
Mélanie Lesourd
Les médiathécaires vous conseillent
"Entretien avec un vampire" est un roman d'Anne Rice publié en 1976 aux États-Unis, en France en 1978. Le roman est un classique du genre qui est aussi un héritier moderne de la littérature noire et gothique. C'est à la suite de la mort prématurée de sa fille, victime d'une leucémie, que l'idée d'une histoire de vampires émerge dans l'imaginaire de l'écrivaine sous la forme d'une nouvelle qui s'étoffera au fur et à mesure des années. Et c'est dans l'ambiance créole de La Nouvelle-Orléans où est d'ailleurs née Anne Rice en 1941, que l'inspiration se fera le plus fortement sentir (du moins pour la première partie d'un récit qui en compte quatre).
Louis de Pointe du Lac est l'anti-héros de ce récit-confession donné à un jeune journaliste de San Francisco. Celui-ci raconte sa vie de jeune propriétaire d'une plantation d'indigo du XVIIIème. Descendant d'aristocrates originaires de France, Louis est dévasté par la mort prématurée de son jeune frère. Attendant désespérément la mort, celle-ci se manifeste sous les traits d'un autre Français, le vampire Lestat de Lioncourt, qui répond à son appel et l'entraîne dans son monde de ténèbres et de sang. Rien ne se passe alors comme prévu : Louis ne supporte pas l'idée de tuer un être humain pour s'abreuver de son sang. Essayant de se raccrocher à sa vie d'autrefois, il aimerait comprendre sa nouvelle nature vampirique sans compter sur l'aide de son créateur - son saigneur. Et ce n'est pas l'arrivée de la jeune Claudia, une fillette de 6 ans fraichement transformée en vampire, qui va arranger les choses.
Vampirisme et humanisme
"Entretien avec un vampire" a fait date dans l'histoire littéraire du genre car c'est sans doute la première fois que l'on donne la parole à une créature de la nuit. C'est la dimension existentialiste du roman qui fait la différence. Le vampire est en effet celui qui doute en se posant des questions sur ses origines, tourmenté par le sentiment de ne plus appartenir à l'humanité. Le besoin de sang frais humain qui lui est devenu nécessaire ne cesse pas de lui faire horreur. Ses multiples voyages vont le conduire en Europe de l'est, là où tout aurait commencé, pour rencontrer ses ancêtres nosferatiens, des créatures sans âmes et perdues qui pourraient lui permettre d'assumer son destin. Ce sera une déception pour celui qui espérait de ses ascendants les raisons de sa disgrâce.
En humanisant une figure démoniaque, Anne Rice va ainsi imposer le canon du vampire amoureux, sensuel et torturé, repris avec plus ou moins de bonheur dans des œuvres qui s'inspireront de son roman : le film "Dracula" de Francis Ford Coppola, les séries TV "Buffy contre les vampires" de Joss Whedon et "True Blood" de Alan Ball, ou bien encore la saga de Stephenie Meyer, "Twilight".
Alexia Roux
A la mémoire de Gilles
C'était l'été 1976, lors de la canicule, les vacances familiales en roulotte se déroulaient sur les routes de Bretagne. Le narrateur, Jean Louis, 18 ans et insouciant, connait le plus grand drame de sa vie : la mort accidentelle de son petit frère à 11 ans.
Plus tard, devenue bédéaste, il raconte avec pudeur et émotion ce triste évènement qui a bouleversé toute la famille.
Un album autobiographique, au dessin réaliste et poignant. Le témoignage de Jean Louis Tripp honore la mémoire de ce petit Gilles disparu trop tôt et décrit, avec une sincérité bouleversante, l'impact du drame sur sa famille. A ne pas manquer.
Céline Nourbakhch
Le roman initie une véritable réflexion sur la parole de la victime et son écoute.
Un roman passionnant et intelligent qui force à réfléchir. (Egalement disponible en livre numérique)
Dalila Mison
Thriller sur fond de drame familial. Coup de coeur !
Shin, jeune adulte sur le point de devenir père, éprouve le besoin de rendre visite à son propre géniteur - en prison depuis 20 ans - accusé de la tuerie de masse qui a eu lieu dans les années 70 à Oto Usu. Une vingtaine d'enfants y ont perdu la vie.
Mais sur le chemin, Shin traverse une étrange brume et se retrouve plongé dans le passé.
Le voilà plusieurs années en arrière, quelques jours avant le drame. Il se retrouve face à son père, les deux hommes ont alors le même âge. Que s'est-il vraiment passé à Oto Usu ?
Toshiya Higashimoto nous offre un thriller sur fond de drame familial absolument passionnant.
Si le voyage dans le temps est un classique en littérature, le thème n'en est pas moins riche et questionne toujours autant : que faut-il changer du passé, au risque de chambouler tout ce qu'on a construit dans notre présent ?
Dans ce manga, est peinte l'histoire douloureuse d'une famille qui tente de se (re)construire. L'enquête sur la mort de ces enfants berce le récit, palpitant, émouvant et troublant.
Une vraie belle œuvre, un vrai, vrai coup de cœur.
Une série courte en 10 tomes. Je recommande, sans hésitation aucune !
Mélanie Lesourd
Les médiathécaires vous conseillent
Un été où tout bascule
C'est l'été de toutes les découvertes mais aussi de tous les dangers pour Tommy Henderson, le fils du sheriff, quatorze ans. Un été où tout va basculer pour Tommy et ses amis.
Un suicide, deux meurtres et un pervers en liberté, c'est beaucoup pour cette bande de copains.
Un très joli roman.
Isabelle Tramoni
Un huis clos dramatique
Amy, Leslie et leurs parents se sont enfermés pour survivre dans le sous-sol de leur maison suite à une catastrophe nucléaire. Les deux filles et leur mère sont emprisonnées dans ce "monde d'En-Bas" tandis que le père, lui, accède avec précaution à l'extérieur.
Suspense et tension jalonnent l'histoire de cette famille dysfonctionnelle.
Une "dystopie" déroutante, un page-turner efficace et noir, à lire à partir de 15 ans.
Céline Nourbakhch
Chaque fois unique, la fin du monde
Que s'est-il passé le 31 juillet 1918 ? La campagne vaudoise est d'ordinaire paisible. Pourtant, ça bruit, ça gronde du côté du Léman. Et le grondement a plus d'une source qui trouble les eaux frissonnantes du lac. Des nuages gros de grêle s'amoncellent, les ouvriers de la verrerie se mettent en grève, une maladie enfièvre les habitants de la région de Bière. Les esprits s'agitent quand un colporteur se présente à eux. Caille est son nom et il vient relayer les paroles de l'Apocalypse de Jean : les signes sont parmi nous. C'est le titre du neuvième roman de Charles Ferdinand Ramuz, l'un des plus beaux.
L'Apocalypse a eu lieu et n'a pas eu lieu
L'Apocalypse, certains y croient, d'autres n'y croient pas. Chacun de toute façon y va de son interprétation. Il se passe bien quelque chose, c'est indubitable. Mais quoi ? C'est qu'il y a un écart entre ce qui survient en provoquant l'inquiétude et le sens qui rédimerait les incertitudes de ce qui arrive. Un écart qui est un monde, et plus qu'un monde : une métaphysique. L'ouverture originaire que chacun d'entre nous partage, et qui constitue le partage même en condition de l'attente et de la tension caractérisant l'imprévisible.
D'un côté du lac, il y a les événements qui surgissent des frictions tectoniques de l'Histoire, avec les tranchées sanglantes de 1914, le grand soulèvement russe et rouge de 1917 et l'épidémie de grippe dite espagnole de 1918. De l'autre du lac, il y a celui qui vient en coiffant les faits du chapeau eschatologique. Caille, le vendeur de bibles qui fait du porte à porte, finit puni. On le chasse non pour avoir prédit que la fin du monde allait advenir, mais pour avoir déçu ceux-là mêmes qui croyaient qu'elle allait enfin arriver.
Le colporteur évangélique sanctionné pour la fin du monde qui n'est pas advenue est pourtant le prophète des temps nouveaux ouverts il y a un siècle, temps de l'incertitude sinon pour le monde qui finira par finir. L'époque inaugurée avec des bouleversements inédits, guerre totale et révolution mondiale, est celle qui débouche aujourd'hui sur la querelle des collapsologues (qui alertent du grand effondrement planétaire) et des catastrophistes (qui préviennent que la grande bifurcation écologique est encore possible). L'actualité de la fable concerne aussi la problématisation des grandes interprétations habituelles, entre mécréance et discrédit.
La 25ème heure, celle de l'éternel retour
La fable bucolique de Charles Ferdinand Ramuz, admiré par Paul Claudel et Louis-Ferdinand Céline, cité aussi par un autre vaudois, le cinéaste Jean-Luc Godard, est un conte étrange et prophétique, frotté des réalités et mythes de la paysannerie suisse romande. En 25 chapitres comme 25 heures d'une horloge suisse mais qui, contre toute mesure, ferait sortir le temps hors de ses gonds, l'auteur montre que le prophète est toujours celui qui déçoit, jamais entendu quand il devrait l'être ou bien incompris et puni pour s'être mal fait comprendre. La déception pouvant induire en effet sa mort. Le prophète n'est reconnu tel qu'après coup, toujours. C'est plus facile.
La parole prophétique est donc la source des plus grands malentendus quand les uns voulant la fin du monde sont déçus de ne pas l'avoir obtenue, tandis que les autres qui rient de voir que l'Apocalypse est un mythe pour crédules n'ont finalement pas compris qu'elle était en réalité bel et bien arrivée.
Les Signes parmi nous est la fable du grand malentendu, c'est-à-dire du sens et son risque qui est celui de la méprise parce que le sens est toujours ambivalent, hétérogène à l'attente qu'il suscite. Restent alors les signes, ce langage muet des choses qui finissent autant qu'elles recommencent. Le langage de l'éternel retour promet à chacun que sa fin sera, toujours unique, la fin du monde.
- J'ai peur.
- Peur de quoi ?
- Crois-tu que c'est la fin du monde ?
Il rit et il dit :
- C'est le recommencement du monde.
Saad Chakali
Saladin
Une BD pleine d'humour sur un fond historique au coeur des croisades.
Dominique Mesans
Les médiathécaires vous conseillent
Dans ce roman noir que l’auteur qualifie d’autofiction, Cesare Battisti met en scène Adriano, son double littéraire, extradé en Italie après de longues années d’exil, et incarcéré dans une prison de haute sécurité en Sardaigne.
De sa prison, Adriano défait le fil de ses dernières années de fuite : du Brésil de Bolsonaro à la Bolivie de Moralès, et s’interroge sur la trahison qui aura permis son arrestation.
Qui a trahi ? Un camarade ou bien un membre du gouvernement Moralès ? N’oublions pas que nous sommes en 2019. La Bolivie est sous tension à la veille des élections présidentielles et d’un coup d’État orchestré par les classes dominantes, soutenu par les États-Unis et le Brésil.
Qui a trahi ? n’est pas l’essentiel du roman. Ce qui l’est, ce sont les souvenirs d’Adriano, les souvenirs de celles et ceux qui l’ont aidé. Dans ce roman polyphonique, très beau sur le plan littéraire, on découvre des fragments de vie d’hommes et de femmes résistants qui tous s’interrogent sur la trahison.
En Bolivie, on suit Jonas, un autre exilé, Ramirez et Martìn qui travaillent pour le gouvernement et viennent demander des comptes à un député bolivien. On suit Jorgecito du mouvement des jeunes du parti au pouvoir (le MAS) qui ne supporte pas la moindre erreur de son gouvernement, On accompagne encore les associations d’indigènes et de paysans.
Un jour je reviendrai, et je serai des millions
Au Brésil, on est aux côtés d'Alfonso, Flora, Mariluz, qui avancent la peur au ventre, dans ce pays où la majorité des crimes restent impunis, mais animés par un désir révolutionnaire immense. Il y a aussi Freddy, la sœur transsexuelle de Mariluz, qui fricotait avec les militaires, assassinée par les mêmes militaires pour l’avoir protégée. Morte par amour. Freddy. Pour certains « un pédé », pour d’autres « une pute ». « Des mots rances, la haine de ceux qui ne savent pas ce que sont la tendresse et le pouvoir d’aimer ». Mariluz qui porte aussi le deuil de Cassia, son amie militante, imaginée par l’auteur. Sur les murs, il y a le portrait de Cassia dessinée au côté de celui de Mariele Franco, qui elle est bien réelle, la conseillère municipale de Rio, élevée dans les favelas et militante contre le racisme, l’homophobie et les violences policières.
Sous leur portrait est écrit Mariele e Cassiam vivem, alors Mariluz avance. Elle avance, elle et ses camarades, dans la douleur des révolutions échouées. Ils avancent parce que leur devenir est révolutionnaire.
On ne peut que penser aux mots de Tupac Katari, leader d’un mouvement de lutte Indigènes au XIXe siècle, prononcé juste avant sa mort : « Vous ne faites que me tuer ; un jour je reviendrai, et je serai des millions. »
Françoise Oliva
Judith, 16 ans, en première L à Marseille, vit sa première histoire d'amour avec le mystérieux Colin, 32 ans. Pensant cacher son âge en se présentant comme majeure, elle découvre un univers d'adulte et délaisse ses passions adolescentes comme la natation et sa meilleure amie. Elle se sent valorisée de savoir qu'un homme peut s’intéresser à elle : "Une part de moi est terrifiée à l'idée de devenir adulte sans quelqu'un qui m'aime et que j'aime en retour".
Progressivement cet homme a une emprise sur sa vie et devient jaloux, possessif, humiliant. Judith met sa vie entre parenthèses pendant que lui élève son fils et passe d'aventures en aventures.
Comment notre héroïne va-t-elle réussir à s'épanouir dans cette relation dysfonctionnelle ?
Ecrit à la première personne, ce roman réaliste retranscrit parfaitement la manipulation perfide de Colin. L'atmosphère du livre est oppressante. On ressent très bien l'enfermement de Judith. La relation toxique s'instaure rapidement sans que l'adolescente n'identifie le mécanisme. Heureusement l'entourage, famille et sa meilleure amie, est présent sans jugement mais essaie de lui faire réaliser ce qu'elle vit.
Différents thèmes sont abordés comme l'IVG, le consentement, la violence psychique.
La dédicace trahit peut-être ce récit autobiographique
A partir de 14 ans
Céline Nourbakhch et Dalila Mison
Une ode à l'amitié !
Brave garçon sans un sou, Billy rêve de devenir musicien. Il propose donc ses services afin de s’offrir le saxophone tant désiré. Mais il ne sait pas jouer ! Heureusement, son chemin croise celui d’un mélodieux oisillon qui l’accompagne jusqu’à la scène. Pris dans le tourbillon du succès, tombés sous la coupe d’un directeur cupide et tyrannique, sauront-ils trouver l’harmonie ?
Une BD muette aux dessins pastel pour tous les âges, conseillée aux amateurs de musique et de belles histoires !
Aurélie Glever
Quand tu écouteras cette chanson
Lola Lafon nous offre un très beau récit intime sur Anne Franck.
Elle remet les pendules à l'heure sur sa véritable histoire.
Dalila Mison
Egalement disponible en livre numérique
Les médiathécaires vous conseillent
Drôle d'oiseau !
Jean-Blaise, c’est le chat dont on rêve tous ! Démarche élégante, fourrure noire, pattes blanches, regard à tomber… Mais au fond de lui, Jean-Blaise se sent plutôt oiseau. Alors il déploie tous ses efforts pour prouver qu’il en est un ! Seulement voilà, avec sa voix de matou et son ventre rond, le résultat n’est pas tout à fait celui escompté… Heureusement, un ami inattendu aidera ce chat décidément pas comme les autres à s’accepter tel qu’il est.
Des péripéties jubilatoires, une fable attendrissante sur la construction de l’identité et des dessins au poil… À lire à tout âge !
Aurélie Glever
La condamnation des innocents
Cloé Korman part sur les traces de six petites filles, deux fois trois sœurs, qui, par leur destin commun, se nommeront les presque sœurs. Six fillettes raflées en 1942 qui iront de camps d’internement en foyers. Parmi elles, Mireille, Jacqueline et Henriette Korman, 10, 5 et 3 ans sont les « petites cousines » de l’autrice. Si les trois autres enfants, les sœurs Kaminsky, réussiront à s’échapper après avoir été séparées, les sœurs Korman seront déportées en 1944 dans le dernier convoi de Drancy vers Auschwitz.
Cloé Korman se rend sur les lieux où les fillettes ont été internées (Montargis, Beaune-la-Rolande, Paris), consulte des archives, recueille des témoignages notamment ceux des sœurs Kaminsky, des lettres, des objets et avec eux imagine le quotidien des enfants.
C’est avec retenue et pudeur soutenues par une écriture délicate que l’autrice nous permet d’entrer dans l’intimité des fillettes, leurs jeux, leurs joies, leurs terreurs. L’intimité d’enfants qui ne pensent qu’à retrouver leurs parents, leur écrivent des lettres ignorant qu’ils sont déjà orphelins quand d’autres craignent de grandir pensant que leurs parents ne les reconnaîtront pas. L’intimité d'enfants qui s'émerveillent d'un rien et dont l'innocence fait sourire.
Tout au long de son enquête, Cloé Korman interroge des faits historiques. Devant le camp de Beaune-la-Rolande, elle revoit la silhouette du gendarme français sur une photographie du film "Nuit et brouillard" d’Alain Resnais. "Cette photographie fut censurée à la sortie du film en 1956, afin de laisser croire que le camp était gardé par des Allemands". Elle songe aux familles enfermées au Vel d’Hiv et au sort des enfants qui n’était pas clair au début. "Dans un premier temps, contrairement à la demande de Pierre Laval, les Allemands ne voulaient pas convoyer les enfants", mais à l’arrivée des filles, le statut des enfants était réglé.
Ce récit est celui des 11 104 enfants juifs déportés depuis la France par le gouvernement de Vichy pour être assassinés dans les chambres à gaz ou les fours crématoires des centres d’extermination nazis.
L’impossible a eu lieu et c’est notre histoire.
Françoise Oliva
Une BD-Polar originale !
Entre Polar, BD documentaire et récit fantastique, voici une œuvre singulière.
Deux intrigues s'entremêlent : Le commissaire Bertille cherche la raison et le responsable d'une disparition inquiétante, alors qu'au même moment, une énorme boule rouge (digne d'un roman de Jules Verne) s'abat sur la ville de Paris et grossit de façon inquiétante, telle une Pêche Géante...
Une intrigue policière, un peu d'amour, un saut dans le temps et l'histoire, et un brin de rêve.
A découvrir.
Mélanie Lesourd
Les affres de l'adolescence
Dans cette dernière saison nous retrouvons la bande d’amis toujours à Bordeaux, passant les vacances en famille, sur les réseaux sociaux ou faisant la fête : Benjamine aime relever les défis postés sur INSTA et SNAP, Juliette et Pablo se réveillent un matin avec un trou noir. Que s’est-il passé ?
Chaque adolescent prend la parole et s’efforce de résoudre les problèmes rencontrés lors de ce dangereux été.
Un tome 4 écrit à quatre mains, accessible sans avoir lu les autres volumes.
Une narration simple, aux chapitres très courts, ponctués de SMS. Soulignons un vocabulaire assez particulier, beaucoup d’argot et de verlan, qui donne au texte une couleur contemporaine et lui confère un côté « destiné aux ados » très marqué.
Une vision réaliste, trop condensée, des problèmes liés à l’adolescence : viol, grossesse non désirée, drogue, dépendance et addiction au web, violences familiales …
Une belle image de l’amitié et de la cohésion entre amis.
En bref, une saga actuelle, très facile à lire, qui raconte les dangers auxquels sont confrontés les ados au temps des réseaux sociaux.
A partir de 15 ans.
Céline Nourbakhch
Les médiathécaires vous conseillent
Épidémie
Il y a d'abord Henri Sorge, jeune fonctionnaire sans histoire d'un pays jamais nommé mais qui ressemble au nôtre ou à un autre. Il y a aussi Pierre Bouxx, son voisin, un médecin qui cache en réalité le chef d'une organisation clandestine visant le renversement de l'État. Une épidémie se répand en donnant à la lutte révolutionnaire une occasion de s'intensifier. L'immeuble où vivent Sorge et Bouxx devient alors un hôpital. Le premier se jette dans l'insurrection, le second reste auprès des malades, malade lui-même. Et puis il y a une infirmière, Jeanne Galgat, attachée à Sorge avant de le tuer, en ayant à la fin reconnu en lui celui qu'elle nomme « le Très-Haut ».
Le Très-Haut de Maurice Blanchot est paru en 1948. Un an auparavant a été publié La Peste d'Albert Camus, et trois ans plus tard Le Hussard sur le toit de Jean Giono. Le point commun aux trois romans est le motif de l'épidémie dont le foyer infectieux est aussi celui d'une fièvre allégorique s'originant dans les années sombres de la guerre et de l'occupation. On remarque toutefois que si le mal est, chez Camus et Giono, respectivement nommé, peste et choléra, chez Maurice Blanchot, il ne l'est pas, restant indéterminé.
Il est question en effet d'une indétermination profonde, une zone grise où papillonne la nébuleuse clignotante des signes, ces lucioles. Et parmi elles celle de la rédemption d'un auteur ayant longtemps frayé avec l'Action française, cette autre fièvre dont l'aura soigné en juillet 1944 l'exécution par les occupants à laquelle il a pu réchapper. Cette sortie des folies meurtrières du nationalisme, l'amitié avec Emmanuel Levinas l'y avait préparé, dès la fin des années 1920, au temps de la lecture de Être et temps de Martin Heidegger. Cet événement qui a la valeur d'un sursaut et d'un salut, contingence élevée à hauteur des hasards qui font les destins, Blanchot n'en parlera qu'un demi-siècle plus tard, dans un récit court et saisissant, L'Instant de ma mort. La mort, ainsi qu'il l'a écrit, n'aura plus jamais cessé de l'accompagner. La mort qui l'aura invité à la réserve, au silence et au secret, à cette discrétion dont le dernier acte est son décès en 2003, survenu à l'âge de 95 ans.
L'instant de la mort de Maurice Blanchot, suspendu dans la grâce qui aura fait de l'accident un événement. La grâce du Très-Haut ?
"Je suis malade et je le sais"
Pour Maurice Blanchot, seule importe l'écriture qui est silence et solitude ; seul compte le livre, qui est indifférent à la question des genres littéraires. On peut cependant avancer l'idée que Le Très-Haut consisterait en une réécriture moderne du texte évangélique, comme le sont déjà Bartleby de Melville et L'Idiot de Dostoïevski. L'esprit de Dieu s'incarnant dans son fils qui dit la vérité à ses enfants n'y voyant que mensonges est devenu, avec la modernité, un idiot, soit l'ignorant de ce qu'il est. Intime de Georges Bataille pour qui l'expérience du monde invite à l'épreuve de l'hétérogène, Maurice Blanchot substitue cependant à la question de la transgression et ses excès celle du neutre et du désœuvrement. Le fantastique ou le surnaturel qui devraient triompher à la fin d'un récit allégorique en faisant converger rupture mystique et conversion politique (du nationalisme au communisme) sont alors comme désactivés. Le reste est précisément ce que se dit le Très-Haut.
L'infirmière qui reconnaît en Sorge le Très-Haut montre déjà tous les signes de la folie. Surtout, Sorge qui est le narrateur explique d'emblée qu'il est sorti d'une longue période de convalescence. Si la maladie a fait son œuvre, en annonçant d'ailleurs l'épidémie à venir, elle affecte aussi le crédit d'une narration imprégnée des délires de l'imagination du narrateur. On lui demande à deux reprises d'ailleurs si son exaltation n'est pas signe d'épilepsie. Sorge le reconnaît lui-même : « Je suis un malade, je le sais. Ce sont mes idées qui me surmènent : c’est-à-dire que je ne pense à rien, et pourtant je ne puis me débarrasser de ce que je pense. »
Penser à rien, c'est quand même penser. Quoi, sinon le rien ? Et si la santé mentale du narrateur s'effondre, pourquoi donc le monde dont il est le narrateur ne s'effondrerait-il pas à son tour ?
Tous délirants, tous désirant
Le désœuvrement de cette machine allégorique qu'est Le Très-Haut fait ainsi lever le brouillard d'une zone d'indiscernabilité où l'exercice de la seule et unique souveraineté revient au neutre, qui est l'écriture proprement littéraire, l'écriture la plus ouverte aux puissances de l'impropre comme de l'impersonnel. Le récit qui fait douter de son narrateur conduit là où métaphysique et délire psychotique coïncident. Jésus fou, Hölderlin fou, Nietzsche fou, Van Gogh fou, Artaud fou. Tous des schizophrènes, et Sorge aussi.
Tous schizophrènes, et nous aussi. Voilà notre souci qui rejoint celui, littéraire, du narrateur du Très-Haut qui est à la fois Sorge et Blanchot, son double, son frère. Sorge dit en allemand le souci qui consisterait à reconnaître que le monde est fragile et insensé, et à voir que les témoins de la démence d'être un être humain sont les idiots et les fous que nous sommes en l'ignorant.
La littérature ? Une maladie qui ne guérit pas des maux de l'époque, mais prend soin de ses malades, délirants parce que désirant. La littérature est la machination d'un désir, celui du neutre et non de la neutralité, d'une impropriété qui est la réserve de plus important que sa petite affaire : l'impersonnel. Impuissance qui est penser le rien : folie. Impuissance qui est puissance à consentir qu'il n'y a qu'à l'autre à qui l'on s'adresse et l'absence de sa réponse défait la volonté, celle d'une adéquate réciprocité, dont le ressentiment est un relent, un miasme infectieux. L'autre à qui l'on se dédie en écriture manque à sa place. L'autre c'est tantôt le narrateur qui est fou ou idiot, tantôt le lecteur ou la lectrice qui est n'importe qui, toujours un-e égal-e en commune folie : le Très-Haut.
Saad Chakali
"Si vous y croyez, n’est-ce pas tout ce qui compte ?"
C'est l'histoire d'une disparition. William a perdu sa fille Wendy dix ans auparavant. Mais un mystérieux coup de fil en pleine nuit va raviver sa souffrance et le perdre dans les rues de Toronto.
Dans ce roman graphique oscillant entre rêve, mythe et réalité, le fil rouge du pull de Wendy nous entraîne dans un vertigineux dédale d'émotions : l'amour, la perte, le deuil, le souvenir de l'être aimé. L'auteur témoigne de la difficulté pour un père, un couple, de traverser cette épreuve inhumaine.
Une écriture très sensible et un dessin en tension au service de l'histoire.
Parenthèse enchantée
Une jeune femme se retrouve isolée dans une maison en pleine forêt après son accident de moto. Elle nous conte sa vie passée, qu'elle a voulu fuir, une société consumériste. Deux femmes assez étranges vont l'aider à se rétablir.
Récit onirique, porté par la nature qui l'entoure.
Pascale Joseph
Le labyrinthe inachevé / un récit écrit et dessiné par Jeff Lemire
Roman graphique sur le deuil
Un homme semble avoir perdu sa fille, morte ou disparue ? On ne sait pas... Jusqu'à ce coup de téléphone : c'est elle, il en est sûr, elle l'appelle à l'aide et lui demande de venir la chercher.
A la frontière du fantastique, le scénariste Jeff Lemire raconte nos douleurs, évoque ces images délirantes qui nous traversent lors d'un épisode traumatique.
Un coup de maître. Coup de poing, coup de cœur.
Mélanie Lesourd
Les médiathécaires vous conseillent
Courir pour exister
Courir pour exister, courir pour oublier et fuir la douleur.
Victor, 17 ans, traverse Paris en grandes foulées. Sa course est un antidote à la souffrance.
Le rythme de ce premier roman est haletant, saccadé, urgent. Matthieu Zaccagna suit son personnage sans s'arrêter.
Un texte court et percutant
Céline Nourbakhch
Coup de coeur
Je referme ce roman les larmes aux yeux. Duchess nous embarque aux côtés de sa mère à la dérive, dans cette petite ville côtière de Cape Haven qui s'ouvre sur un drame...Duchess lutte sans compromis face à ce monde cruel tout en protégeant son petit frère. Un sublime récit qui ne laisse pas indemne.
Isabelle Tramoni
Enorme coup de cœur pour ce roman sombre et déchirant.
Un roman jalonné de drames et de tragédies mais aussi de force et d'amour.
Dalila Mison
Roman graphique sur le deuil
Un homme semble avoir perdu sa fille, morte ou disparue ? On ne sait pas... Jusqu'à ce coup de téléphone : c'est elle, il en est sûr, elle l'appelle à l'aide et lui demande de venir la chercher.
A la frontière du fantastique, le scénariste Jeff Lemire raconte nos douleurs, évoque ces images délirantes qui nous traversent lors d'un épisode traumatique.
Un coup de maître. Coup de poing, coup de coeur.
Mélanie Lesourd
Déracinements
1941. Lola, ses frères jumeaux de 8 ans, ses parents débarquent à Casablanca pour fuir Paris et les persécutions contre les juifs. Après une traversée rude, faite de promiscuité, de tempêtes, elle découvre l'atmosphère d'un pays, sa sensualité. Elle se lie avec une jeune marocaine de 12 ans, du même âge qu'elle, livrée à la prostitution, dans le quartier de Bousbir.
Très beau roman d'adolescence, très sensible, l'histoire d'une mue. Jolie plume, pleine de poésie.
Pascale Joseph
Les médiathécaires vous conseillent
Très belle fiction sur le réchauffement climatique
En l'an 2101, La chaleur a eu raison de la population mondiale. Une poignée d'individus a survécu, obligée de se terrer dans les sous-sols pour ne pas subir la violence du soleil.
Dans ce contexte, Elvi, petit bout de femme de 10 ans, et Flora, brillante scientifique d'une trentaine d'années, se battent pour trouver un vaccin.
Un roman graphique de plus de 200 pages, très émouvant. Elvi, jeune fille qui a grandi trop vite, incarne les craintes qu'a notre génération pour l'avenir de ses enfants face au changement climatique.
La trame est certes dramatique, mais l'œuvre est brillante car c'est aussi un roman post-apocalyptique plein d'aventures et parfois même très drôle.
Un petit bijou que je vous recommande.
Mélanie Lesourd
Impact
Toujours très bien documenté, mêlant fiction et réalité avec brio.
Impact est un roman avec quelques aspects policiers, mais c'est avant tout un documentaire-fiction.
A lire.
Dalila Mison
Un amour à travers l'Histoire
1939, deux amants, Anna future institutrice, serveuse chez son oncle et Jun, étudiant japonais, altiste au conservatoire de Paris, sont obligés de se séparer car la guerre est déclarée. Jun rentre à Tokyo sans savoir qu'il laisse Anna enceinte.
Belle plume avec un héros marqué par la guerre : atrocités commises par les japonais sur les chinois, scènes très violentes. Un beau roman sur la filiation, sur la musique.
Pascale Joseph
La nuit des pères
Après un coup de cœur pour "une longue impatience" , c'est avec une écriture pleine de sensibilité que l'auteur nous plonge dans l'intimité d'un foyer avec un père taiseux et coléreux.
"Tu ne seras jamais aimée de personne.
Tu m'as dit ça, un jour, mon père.
Tu vas rater ta vie...".
Dalila Mison
Disponible également en livre numérique
Watchmen, la fin est proche
Watchmen (1986-1987) d’Alan Moore, Dave Gibbons et John Higgins
Tic-tac
Watchmen est un comics signé du scénariste Alan Moore, du dessinateur Dave Gibbons et du coloriste John Higgins. 12 numéros ont paru entre 1986-1987, publiés en feuilleton par la maison DC Comics, comme les douze heures du cadran d’une horloge. En 1992, une première traduction française est assurée par le romancier Jean-Patrick Manchette. Watchmen est le premier roman graphique à obtenir le prestigieux prix Hugo en 1988, créé en 1953 aux États-Unis pour récompenser les œuvres de science-fiction. Watchmen représente pour la BD ce qu’est Citizen Kane d’Orson Welles pour le cinéma : un chef-d’œuvre de modernité critique.
Horloge de l’Apocalypse et carnaval tragique
Avec quelques autres chefs-d’œuvre, comme Maus d’Art Spiegelman, Watchmen a hissé la bande dessinée, et le comics en particulier, au rang d’art majeur. On parle alors de roman graphique et il est vrai qu’il y a dans celui-ci une densité romanesque frottée aux grandes expérimentations littéraires du roman américain, de John Dos Passos à William Faulkner. L’occasion offerte à l’auteur Alan Moore de recycler quelques héros poussiéreux et oubliés du catalogue DC est une revisitation radicale et critique de la figure du super-héros. Le vigilante iconique et costumé, double des super-héros connus comme Batman et Superman, est retourné comme un gant pour en faire un révélateur des perversités masquées de la pop culture, ainsi que des obscénités idéologiques accompagnant l’état d’exception imposé au reste du monde par les États-Unis durant tout le 20ème siècle.
Le carnaval dégorge une bouffonnerie tragique ayant pour moteur l’Horloge de l’Apocalypse, cette horloge conceptuelle inventée en 1947 par des scientifiques de Chicago pour vérifier si les conditions sont objectivement réunies pour la fin du monde. Nous étions à 23h53 en 1947, nous sommes à minuit moins 100 secondes aujourd’hui. Multiplier effets de parallaxe et de perspective autorise alors à fendre plus d’une coquille afin de montrer comment, si on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs, la question s’impose de savoir qui sont les œufs et qui est le cuisinier.
Car, comme l’a dit Jacques Lacan : à force de casser l’œuf, l’homme finit toujours en hommelette.
Les désaxés de la parallaxe
D’abord, considérons la question du genre, et même précisément des genres. Car il y a plus d’un genre dans Watchmen, le polar (avec Rorschach) et la science-fiction (avec le Docteur Manhattan), le tout subsumé sous le genre de l’uchronie (le Vietnam devient en 1971 le 51ème état des USA). La dimension carnavalesque, justifiant de parodier le super-héros en montrant comment il est une parodie de justice, montre qu’Alan Moore connaît William Shakespeare, Victor Hugo et, en cinéma, Orson Welles (le modèle de son histoire mêlant à l’enquête du détective la multiplication des points de vue et l’intercalation d’archives fictives est à l’évidence donné par Citizen Kane). C’est ainsi que s’impose le genre des genres, la tragi-comédie, mais à l’épreuve critique de la postmodernité caractéristique des années 80, avec son feuilleté référentiel et son jeu de simulacre et de massacre. L’écart entre modernité et postmodernité a pour hiatus la catastrophe du 2 novembre 1985, à la fois réelle (trois millions de morts à New York) et fallacieuse (une attaque extraterrestre cache un horrible calcul visant à neutraliser la montée en neige des rivalités mimétiques entre l’est et l’ouest).
Docteur Manhattan et le Vietnam.pdf
S’il y a horloge (de l’apocalypse), il y a parallaxe, c’est-à-dire un changement d’axe et de perspective indiquant la non-coïncidence du sujet observant et de l’objet regardé. L’horlogerie du récit, Alan Moore en démonte-remonte douze fois le ressort pour faire sortir le temps hors de ses gonds, comme dans Hamlet. Avec l’horloge devenue kaléidoscope, la chronologie linéaire éclate, les images comme des miroirs à retardement déformant l’Histoire pour en révéler les biais refoulés.
Le perspectivisme, qui est un baroquisme comme l’a montré le philosophe Gilles Deleuze relisant Borges via Leibniz, est une charge explosive à l’heure des années Reagan au cours desquelles le dernier acte de la guerre froide est une surenchère d’effets spéciaux inspirés des blockbusters hollywoodiens de l’époque comme Star Wars. Les effets de parallaxe se comprennent alors comme des écarts parallactiques qui fendent la coquille des masques cachant l’identité secrète des super-héros, d’abord la première génération des « Minutemen » entre 1939 et 1949 et la seconde, les « Crimebusters », entre 1966 et 1977. La loi morale des super-héros se divise entre gardiens d’un empire proto-totalitaire et, sous le masque, jouisseurs obscènes obéissant à l’injonction du surmoi.
Les écarts parallactiques caractérisant la narration de Watchmen débouchent sur le portrait éclaté d’une série de désaxés. La métaphysique à l’ère nouvelle de l’atome se double alors d’une psychopathologie des puissants. Ozymandias, qui s’est donné pour modèle Alexandre le Grand et Ramsès II, figure l’alliance de la loi morale et de la volonté de puissance qui retourne Kant contre lui-même. Doc Manhattan, cet homme devenu à la suite d’un accident nucléaire un quasi-dieu, incarne l’indifférence zen en accueillant les souvenirs mêlés de l’Homme de Vitruve de Léonard de Vinci, l’Urna des bouddhistes qui se confond avec la représentation probabiliste de l’atome d’hydrogène, et la fleur bleue de Novalis (c’est un sentimental). Et le premier arrive à circonvenir le second en donnant un nouveau tour d’écrou à la morale jésuitique de la fin qui justifie les moyens.
La morale a une image culinaire connue, celle des œufs bons pour faire des omelettes. C’est Rorschach qui en parle ainsi, le solitaire psychopathe dont la logorrhée réactionnaire, comme son masque, est une autre coquille qui se brise en ouvrant sur une éthique de la vérité et sa publicité (il a compris ce qui s’est passé, et meurt en faisant le pari que son journal témoignera pour lui). Face à lui, Ozymandias impose un simulacre (un calamar de SF projeté sur New York) afin d’en finir avec le risque de la 3ème guerre mondiale (son idée fait d’ailleurs triplement référence au canular d’Orson Welles d’après H.G. Wells, Cthulhu de Lovecraft et un épisode de la série Au-delà du réel).
« Quis custodiet ipsos custodes ? »
Penser par parallaxe, c’est tirer des fils d’une pensée latérale, parallèles et perpendiculaires, des diagonales aussi qui sont des tentacules (de Jules Verne à H. P. Lovecraft) dont les nœuds s’apparentent au fameux nœud gordien que l’on ne peut que trancher par l’épée (Alexandre le Grand). D’un côté, Alan Moore s’amuse avec son complices, Dave Gibbons, de jeux de miroir et de palindromes (le chapitre 5, intitulé « Terrible symétrie », est dédié au personnage de Rorschach). De l’autre, il s’agit de relire à nouveaux frais une citation du satiriste latin Juvénal : « Quis custodiet ispos custodes ? ». Relire la citation, c’est la comprendre dans les deux sens, ruban de Moebius, autre parallaxe : qui protège les gardiens ? Mais qui les surveille aussi ? Qui nous garde d’eux ?
Quand la postmodernité cherche à forclore la contradiction, noyau de la pensée dialectique, au nom de la relativisation ludique et parodique des enjeux, la modernité a pour nucléus l’antagonisme qui redonne à la parodie son sens originel, celui qui consiste à tenir à distance un réel traumatique. La machine parallactique qu’est Watchmen fendille ainsi la coquille carnavalesque et parodique des héros masqués et costumés pour dénuder leurs contradictions, qui sont celles de l’état d’exception devenu la règle. L’antagonisme se joue dans la figure, iconique et marchande, du super-héros, avec l’obsédé sexuel (le Comédien, bouffon cynique), la femme érotisée (la première Spectre Soyeux, violée), le psychopathe réactionnaire (Rorschach, anarchiste réac et tragique), le quasi-dieu surimpuissant et impuissant (Doc Manhattan), l’homme de bien dont la loi morale coïncide avec le mal radical (Ozymandias/Adrian Veidt), le supplétif grotesque du capital bancaire (Dollar Bill), etc.
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Avec la fêlure des super-héros, la perversité est un chemin oblique pour interroger deux autres régimes de l’antagonisme. D’abord celui logé dans le libéralisme : le champion étasunien de la démocratie montre en effet des propensions totalitaires vérifiées avec le projet Manhattan et la bombe A, le maccarthysme et le Vietnam (Watchmen partage le constat de deux films de Stanley Kubrick, Docteur Folamour et Orange mécanique). Ensuite, l’antagonisme se joue dans la justice qui ne coïncide ni avec le droit ni avec la morale individuelle. Quand l’état d’exception est devenu la règle, doté de suppléments obscènes, la justice est l’exception, seulement une exception qui est l’acte éthique, solitaire et fou, d’un homme qui doit au nom de la vérité oser sortir de sa coquille.
Watchmen : les vigilants sont les gardiens du temps (watch dit la montre aussi) qu’un horloger détraque et remonte pour témoigner, à l’aide d’effets de parallaxe et autres écarts parallactiques comme des aiguillons, que le super-héros est le vigile costumé d’une loi qui parodie la justice.
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Hommes et omelettes,
smiley et œufs qui se rebiffent
Watchmen propose enfin une réflexion philosophique globale sur une formule proverbiale, attestée pour la première fois chez Honoré de Balzac et son roman Adieu (1830) : « On ne fait pas d’omelette sans casser les œufs ». Un premier symbole ovoïde est ici le smiley arboré par le Comédien, indice d’une violence qui persévère, malgré le règne bariolé du ludisme. Le fun rappelle alors au ketchup qu’il a encore le goût du sang, comme une aiguille marquant à l’Horloge de l’Apocalypse (Doomsday Clock) qu’il est minuit moins 100 secondes, juste avant la fin du monde.
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La formule proverbiale est en fait une reformulation culinaire d’une morale bien connue et immorale, la morale moins paradoxale qu’aporétique de la fin qui justifie les moyens. Si Eugène Sue en a rappelé l’origine jésuitique, Umberto Eco a montré dans Le Pendule de Foucault (1988) qu’elle caractérise le premier faux antisémite de l’histoire moderne, Les Protocole des Sages de Sion, écrit par la police secrète du tsar en 1903. La formule aura notamment été citée par Lénine après la prise du Palais d’Hiver en 1917. Deux réponses existent, qui représentent d’autres effets de parallaxe. La première réponse appartient au communiste turc Panaït Istrati visitant l’URSS durant les années 30, et qui a dit devant un responsable soviétique lui citant justement Lénine : « Très bien, je vois les œufs cassés, mais où sont les omelettes ? ». La philosophe Hannah Arendt y a répondu également en 1951, avec un poème de son traducteur Randall Jarrell : « Les œufs se rebiffent ».
L’adaptation cinématographique du roman graphique d’Alan Moore et Dave Gibbons, réalisée par Zack Snyder en 2009, si elle est riche de qualités indéniables (des effets spéciaux numériques justifiés, des citations musicales bienvenues, un générique-début génial), s’autorise des libertés finalement bien convenues (la fin), en ratant surtout le sens profond de l’œuvre. On est infiniment plus sensible à l’extension originale proposée par Damon Lindelof dans le cadre d’une mini-série de neuf épisodes tournée pour HBO en 2019. On retrouve en effet avec Watchmen ce que l’on a aimé dans d’autres séries du même narrateur, Lost et The Leftovers. Les mondes y sont toujours des sphères brisées par un événement comme une coquille d’œuf (l’aventure est existentielle en étant « naissancielle »). Des sphères comme des horloges excédées par des effets de parallaxe (la stratégie du perspectivisme narratif). Comme des climatiseurs asphyxiants avec la répression de la structure dyadique propre à l’être humain (la critique d’une civilisation du nihilisme placentaire).
La dernière phrase de Watchmen aura été traduite par Jean-Patrick Manchette ainsi : « C’est entre tes mains ». Quoi ? Les œufs, bien sûr, mais pas que. On n’apprendra jamais à retrouver notre souffle si l’on continue d’ignorer, comme on le fait encore, de quelles omelettes nos vies sont faites.
Saad Chakali et Alexia Roux, le 11/10/2022
Les médiathécaires vous conseillent
Comme il est loin, le temps des grands romans, Les Enfants Tanner (1907), L'Homme à tout faire (1908) et L'Institut Benjamenta (1909). L'admiration nourrie de Hermann Hesse et Stefan Zweig, de Robert Musil et Walter Benjamin, les lectures passionnées de Franz Kafka et Max Brod n'y auront rien changé. Pourtant, l'écrivain suisse originaire de Bienne, qui a d'abord tenté sa chance à Zurich, puis à Munich et enfin à Berlin n'a pas cessé d'écrire mais c'est une œuvre en miettes, éparpillée, crayonnée, le crayon préféré au stylo plume. Un poudroiement stellaire - les "microgrammes" - que l'on n'a commencé à découvrir qu'après sa mort.
Robert Walser revient dans la ville natale en 1913, s'établit à Berne en 1921, s'effondre en 1929, cesse d'écrire en 1933.
Le souffle léger, le soufle coupé
Noël 1956, Robert Walser part pour l'une de ses promenades. La neige est abondante, il s'y enfonce jusqu'à l'épuisement. Et meurt à l'âge de 78 ans. Disparaître dans le blanc pour l'auteur d'une variation magnifique de Blanche-Neige, parce que la littérature est blanche et parce que la blancheur est neige. Disparaître parce qu'il n'y a que l'écriture pour faire valoir les droits de l'impersonnel.
L'écriture de Robert Walser s'est vouée à se perdre dans la vraie vie des choses minuscules, dévouée à la chair quelconque du détail singulier, aux aguets des ténuités qui font la douleur éternelle des choses ineffables. Dans la plus grande impuissance, la puissance est à l'abandon aux mouvements moléculaires du vivant mêlé du sentiment. Les textes courts du recueil ultime intitulé La Rose (1925), nouvelles frôlant l'épigramme, rencontres fortuites, notes de lecture teintées d'ironie ou souvenirs sauvant des naufrages du temps passé l'inoublié du temps qui reste, sont des mystères. Les promenades d'une conscience dont la légèreté est la politesse rendue à l'asphyxie, notre hantise, indifférente à la tyrannie de la profondeur parce que la préférence se donne aux affleurements.
Lisant Robert Walser, on se dit qu'un écrivain comme lui n'a écrit que le souffle léger. Que l'on n'écrit que le souffle coupé.
Caresses et tremblements
L'écriture n'est pas une prise mais une déprise, plus retenue que rétention, soustraction jusqu'à l'effacement. Un désœuvrement. Les mots ont alors la pudeur des caresses en relève d'intimes tremblements. Walser, un désœuvré du littéraire.
Comme Hölderlin, Robert Walser est un ange pour avoir fait bon accueil au dehors qui est folie. Comme Muychkine et Bartleby, ses amis, il est un double placentaire, l'accompagnateur dont le lecteur que nous sommes a besoin quand la conscience est si vive de se savoir passants et passagers. Une page de lui tournée, c'est toujours se rappeler que nous ne sommes que de passage sur Terre.
Saad Chakali
Histoire d'amour à rebours
Histoire d'amour à rebours d'Anna et Zeno. Le "truc" : on remonte le temps. On remonte leur vie parallèle, leur histoire, leur moment manqué jusqu'à la rencontre. Un joli principe pour comprendre leur complicité, leur façon de penser. Très beau dessins et de très beaux moments.
Isabelle Casalbi
Glasgow 1972
Ian Rankin a accepté la périlleuse mission d'achever le manuscrit de William McIlvanney, décédé en 2015.
Un membre d'un gang est retrouvé poignardé dans une ruelle devant un pub appartenant à un gang rival. L'enquête est menée par Laidlaw, singulier policier qui suit ses propres voies.
Bon polar, rythme efficace dicté par l'époque. Nous somme à Glasgow en 1972.
Pascale Joseph
Dans les brumes de Capelans
Une intrigue haletante et bien ficelée avec une ambiance pesante, amplifié par le climat austère.
Gros coup coeur.
Dalila Mison
Les médiathécaires vous conseillent
Un manga poétique sur le passage entre la vie et la mort
Seiko Erisawa rédige ici un manga très touchant.
Les employés d'un petit magasin perdu au milieu de nulle part, accueillent ceux dont l'âme est entre la vie et la mort. Les clients achètent alors la petite gourmandise qui leur fait du bien, les cigarettes qu'ils n'osaient pas fumer, le jeu à gratter qu'ils n'osaient pas acheter...
Certains d'entre eux ont l’opportunité de retourner dans le monde des vivants, à condition peut-être de prendre conscience de la préciosité du temps qui passe et de la vie elle-même.
Un univers fantastique et lunaire ; une très belle fable, qui se conclura en 2 tomes.
Mélanie Lesourd
North End, quartier défavorisé de Winnipeg. Deux bandes rivales au sein de la communauté amérindienne. Stella assiste, une nuit à une violente agression, certainement un viol, depuis sa fenêtre, sans oser intervenir. La police appelée par elle ne trouve que du sang sur la neige.
Point de départ d'un roman où 10 voix vont se faire entendre : Emily, la victime, ses tantes Paulina et Louisa, sa grand-mère Cheryl, Lorraine la sœur de Cheryl décédée, Kookoom l'arrière-grand-mère, un policier Tommy.
Le nombre de personnages est déroutant mais très vite nous rentrons dans cette communauté de femmes qui ne peuvent compter que sur elles-mêmes.
Récit percutant et très touchant. Une voix à suivre.
Pascale Joseph
Merci, grazie, thank you
Un livre plein de tendresse, agréable.
Une plume tendre et des personnages touchants.
On y aborde l'amour, l'homosexualité, la transmission ainsi que les évènements historiques sur l'immigration italienne en France à la fin du XIXe siècle.
Dalila Mison
Biographie de Georges Bizet romancée
Biographie de Georges Bizet, romancée et de son opéra Carmen, surtout de son amour pour la cantatrice Célestine Galli-Marié.
Comment nait un chef d'œuvre ? Ce roman y répond à travers la brève existence du compositeur, mort à 36 ans.
Beau roman, bien documenté qui se lit d'une traite.
Pascale Joseph
Les médiathécaires vous conseillent
Mars 1976, Saint Sauveur, en Arizona, trois adolescents disparaissent mystérieusement. Alors qu'une communauté de marginaux est mise en cause, le sherif Liam Golden et son adjoint Jim Evans tentent de faire la lumière sur cette affaire qui attise la haine des habitants.
Une belle plume et des personnages attachants. L'enquête est prenante et la fin inattendue fait de ce roman une belle découverte.
Pascale Joseph
L'amour c'est pour les loosers
Un roman drôle et touchant, qui traite de thèmes adolescents comme la première histoire d'amour, le début de la sexualité, les liens familiaux, les amitiés et le deuil.
Dalila Mison
Dénonciations
Rome, années 2000, près du lac de Bracciano. Gaïa grandit dans une famille pauvre, entre un demi-frère Mariano, deux frères jumeaux, son père en fauteuil roulant suite à un accident de chantier et sa mère Antonia, la rousse, figure omniprésente de cette famille qui assume toutes les charges.
Elle envoie sa fille dans un collège fréquenté par des gosses de riches pour la sortir de sa condition.
Style alerte, plein d'humour, écriture vivante. Mais au delà de ce roman ce sont des questions de société qui sont posées : pollution de l'eau, insalubrité, inégalités économiques, pédophilie, chômage des jeunes, absence de politiques sociales...
Pascale Joseph
Le grand monde : les années glorieuses
Un roman qui parvient à maintenir une tension et un intérêt pour tous les personnages réunis par un secret de famille.
Je n'ai qu'une hâte, c'est la sortie du second tome.
Dalila Mison
Les médiathécaires vous conseillent
Que se passe-t-il quand je vois un film au cinéma ? Quelle est mon expérience de spectateur quand, assis devant le grand écran, un film est projeté à mon intention ? Que fait sur moi la projection, que m'arrive-t-il ? Suis-je toujours le même ou, au contraire, le dispositif m'altère-t-il ? C'est à ces questions que s'est confronté Christian Metz dans un essai qui a fait date à sa sortie en 1977.
Je sais bien mais quand même
L'alliance de la sémiologie, qui est la science étudiant les systèmes de signe, et de la psychanalyse structurale introduit une théorie de la machine cinéma comme du spectateur qui en est le sujet. Le cinéma a d'abord cette spécificité d'être le premier art industriel. Les rapports de production qui s'y jouent sont lourds et complexes. La technique de la reproduction des images mobiles y est placée sous l'empire de la fétichisation. Cela veut dire que la représentation arrive à faire oublier l'absence de l'objet représenté, d'autant plus désirable que son manque est masqué. Rien à voir, donc, avec le théâtre qui est un art de la présence, celui des corps coprésents, acteurs et spectateurs. Avec l'impression de réalité provoquée, le spectateur de cinéma en vient à halluciner le réel.
Le cinéma est par conséquent une machine qui fonctionne sur deux plans, l'un matériel et objectif, l'autre imaginaire et subjectif. L'adhésion requise du spectateur témoigne que l'économie du cinéma est également libidinale. Le spectateur fantasme mais le fantasme n'est pas le sien, déstabilisé qu'il est par le chevauchement de trois types d'impression : rêve, rêverie éveillée et réalité.
Au cinéma, la question de la croyance se pose avec une intensité renouvelée. Une coexistence entre des régimes opposés de croyance y est attestée. Je sais bien que l'histoire racontée est une fiction, j'y crois pourtant. Le clivage vécu par le spectateur invite autant au leurre qu'à sa révélation, au fétichisme autant qu'à la distanciation. Au cinéma, on croit par dénégation (je sais bien mais quand même) et par délégation (avec l'identification). La croyance est clivée et le spectateur est un sujet divisé, balançant entre incroyance (je sais bien) et croyance (mais quand même), ainsi disposé au désaveu fétichiste. La projection n'est pas un rêve mais le spectateur fait comme si c'était vrai. Son expérience reposant sur l'inhibition de l'action s'apparente alors à un « petit sommeil ».
Moyennant quoi, Christian Metz pose que tout film, même sans scénario ainsi que peuvent l'être les films documentaires, sont des films de fiction. Relayant les arts classiques de la représentation, diégèse et mimesis, le cinéma est un jeu avec le signifiant, même si ses figures sont toujours des poussées pouvant bousculer le discours en l'excédant par la production de leur propre défiguration. Le cinéma tient alors du signifiant imaginaire, c'est-à-dire que l'imaginaire est codé, construit, soutenu par un jeu, subtil dans le meilleur des cas, des pulsions scopiques et invocantes, désirs de voir et d'entendre qui entretiennent un manque sans comblement.
Au bout du point de fuite, hors-champ, le spectateur
Le cinéma organise matériellement la confrontation imaginaire entre différents codes symboliques, multipliant les clichés tout en participant à les désagréger. On admet qu'il est une institution proposant une fiction acceptable, avec sa règle du jeu le distinguant de l'arbitraire du rêve. Le spectateur adhère au film parce que la machine cinéma joue avec son désir et les fantasmes qui y sont associés. Il s'agit pour le spectateur devenu un pur regard, quasi-transcendantal, de jouir d'un bon objet même si la relation d'objet repose sur la suspension de ses investissements de désir habituels, comme sur l'absence d'une maîtrise concernant la projection.
D'où le rôle déterminant du hors-champ qui accueille les projections mentales du spectateur comme autant de lignes de fuite. Le spectateur est le point de fuite de la perspective monoculaire tracée par l'objectif de la caméra, occupant le foyer de toute vision.
Avec le hors-champ, le cinéma montre qu'il est, dans la lignée du théâtre classique comme du roman moderne, une pratique d'assouvissement affectif dont la dimension hallucinatoire peut flatter les fantasmes ou les décevoir, qu'ils soient conscients ou inconscients. Le film qui est une réalité extérieure est dévolu au fantasme d'autrui ressenti comme une réalité qui peut troubler. C'est que le spectateur est en effet un voyeur solitaire ne pouvant entrer en relation avec l'objet perçu, étant absent. Le cinéma est à cet égard une machine carburant à la transgression qu'elle institutionnalise, toujours un peu honteuse, forcément œdipienne.
Appareil offert aux investissements fantasmatiques et affectifs de l'individu privé des sociétés entrées dans l'âge du capitalisme planétaire, le cinéma est une machine de vision participant au réglage institué de ses désirs, y compris les plus pervers. D'où son affinité avec l'adolescence, âge charnière différant celui des responsabilités. On ajoutera que tous les grands films organisent, avec la jouissance du leurre et son savoir sur lui, une sortie des jouissances de l'adolescence, pour l'adulte et l'enfant qu'il aura été.
Saad Chakali
Angoisses
Roman assez effrayant quand au questionnement de notre société, son devenir si une catastrophe survient (une pandémie, une guerre...). A travers ce roman policier très noir beaucoup d'interrogations. Les thèmes d'actualités abordés nous frappent de plein fouet.
Lecture fluide, style percutant, nerveux. A lire !
Angoissant !
Pascale Joseph
Un roman époustouflant
Dramatique, poignant et bouleversant.
Je vous le conseille.
Dalila Mison
Rechercher l'amour
Eva travaille pour Chloé, une jeune entrepreneuse ambitieuse. Elle invite Eva pour son anniversaire et lui présente son frère. Nous sommes en plein confinement et Eva se retrouve au chômage partiel avec Jimmy, dans son propre appartement. Sans nouvelles d'elle, la famille d'Eva, alerte la police.
Belle écriture, sensible où l'on découvre que la solitude peu-être une armure contre les proches qui ne vous voient pas.
Pascale Joseph
Les médiathécaires vous conseillent
Kentucky sous haute tension
Mick Hardin, enquêteur dans l'armée, revient en permission dans son Kentucky natal et constate la fin de son mariage, sa femme l'ayant trompé et attendant un enfant. Sa sœur Linda, shérif du comté, lui demande son aide pour résoudre le meurtre d'une jeune veuve afin d'empêcher les habitants de faire justice eux-mêmes.
Roman noir en contrepoids de la beauté sauvage des Appalaches. Nous sommes transportés dans une époque que l'on pense dépassée : gens parlant peu, violence subite dès que l'on s'attaque à eux, à leur famille.
Pascale Joseph
En une seconde, la totalité des hommes sur terre décède, sauf un : Yorick, dit Y.
Les cartes du pouvoir sont redistribuées aux femmes, mais tout est loin d'être rose bonbon...
Ce récit ultra dynamique survole tous les genres : du thriller psychologique au récit d'aventure, sur fond de conte philosophique...
Brian K. Vaughan nous tient en haleine tout du long. Quelle est l'origine du fléau, et pourquoi Yorick a-t-il été épargné ?
Les dessins de Pia Guerra, vifs, aux traits super expressionnistes, percutent.
Une réédition d'un classique Comic Books.
Coup de cœur.
Mélanie Lesourd
Les rêves échoués
Un roman sensible avec des mots durs et crus.
Sur l'absence parentale durant l'adolescence et les fragilités psychologiques.
Dalila Mison
Une enquête à haut risque
Aurora et sa sœur Isafold sont de père islandais et de mère anglaise. Aurora est enquêtrice financière. Sa mère fait appel à elle pour retrouver sa sœur qui ne répond plus à personne. Elle se rend en Islande où Isafold vit avec Bjorn, son compagnon brutal, qui l'a souvent gravement blessée mais sans toutefois la quitter.
Nouvelle figure du polar islandais à suivre et qui livre un portrait sans concession de la société moderne islandaise.
Pascale Joseph
Les couleurs du silence
Un roman doux tout en nuances.
Avec amour, suspense et secrets de famille au rendez-vous.
Dalila Mison
Les médiathécaires vous conseillent
BD autobiographique de David Sala sur l'héroïsme de ses deux grands-pères espagnols, marqués par la guerre, la résistance et la déportation : un lourd héritage pour Dave.
Un album aux illustrations et décors très colorés, typiques des années 60-70.
Plus que des planches, de véritables tableaux !
Claire Gillet et Céline Nourbakhch
Un peintre dans la BD
Autobiographie dans laquelle l'auteur rend hommage à ses deux grands pères qui sont pour lui des héros. C'est un motif de fierté mais aussi un poids car on se réfère souvent aux grands hommes dans la famille et l'on sait bien que l'on ne sera jamais tout à fait digne, "c'est ça le poids des héros".
Les planches sont d'une beauté rare.
Isabelle Casalbi
Ou comment s'inventer
Sylvie, mère de deux fils, Alexis, 11 ans et Maxence, 15 ans, manquant de confiance en elle, en surpoids, en charge de son mari dépressif à la suite de son licenciement, assure un travail de secrétaire.
Suite à une humiliation de trop, elle va écrire et s'inventer. Son héroïne, Charlotte, est son opposé : elle mène une vie trépidante.
Une écriture fluide qui nous entraîne dans une double histoire, celle de Charlotte et de Sylvie, qui devient un auteur de Best-sellers. Un roman positif, lumineux mais pas mièvre.
Pascale Joseph
Original
Un bon premier roman, original et très bien écrit.
Un peu de positivé fait du bien.
Antiphilosophe et mystique
Le Tractatus logico-philosophicus est un bien étrange livre. L'ouvrage est court, moins de cent pages, écrit en Angleterre mais en allemand par un ingénieur d'origine autrichienne qui se vantait alors de n'avoir lu aucun philosophe. Le Tractatus est une série d'aphorismes dont l'architectonique est un montage ayant suscité de multiples interprétations, parfois antithétiques. Après plusieurs années de silence, Wittgenstein revient en 1929 à Cambridge comme à la philosophie. Il abandonnera par la suite la plupart des thèses qu'il défendait alors, ne retenant que l'atomisme et la logique comme le meilleur des langages à représenter le monde.
L'objet du Tractatus est simple, son ambition est immense, soutenue par une écriture purifiée à l'extrême : tracer les limites du sens. S'en déduit une ontologie de type atomistique : le monde n'est pas composé de choses mais se décompose en faits, c'est-à-dire en particuliers, leurs relations et leurs propriétés. L'ontologie des faits induit ainsi celle des multiplicités et de leur complexité.
LA CRITIQUE RADICALE D'UN JEU DE LANGAGE
Ludwig Wittgenstein a été éclaireur pendant la guerre de 14-18. Il l'aura également été en philosophie puisque son approche consiste en la rigoureuse clarification des propositions philosophiques. Avec lui, la philosophie se voit frappée de disqualification parce que la plupart de ses énoncés sont absurdes, n'ont aucun sens. La critique radicale de la philosophie est une antiphilosophie comme l'a fait remarquer Alain Badiou. Cette critique propose en effet de revenir au rapport des actes de parole et des conventions langagières. La philosophie n'est autrement dit qu'un jeu de langage comme il en existe dans d'autres sphères de la vie sociale.
La conception wittgensteinienne de la philosophie est volontairement restrictive, celle d'un écrivain satiriste et pince-sans-rire réfutant même aux mathématiques qu'elles soient considérées comme de la pensée. C'est également une pragmatique proche de de la position nietzschéenne ayant consisté en la déconstruction généalogique de la religion et de la métaphysique, ces jumelles.
Donner un nom aux faits n'équivaut donc pas à penser, mais invite seulement à ne pas se tromper en basculant dans l'impossible qu'est la non pensée. La philosophie est si radicalement critiquée qu'elle n'est pas loin alors de s'apparenter à une pathologie.
L'INDICIBLE, VÉRITÉ DU MYSTIQUE
La philosophie n'est pas une pensée, donc, mais une activité langagière, obscurcie par les absurdités accumulées par une vieille tradition. Wittgenstein répond aux bavardages de la philosophie par le silence. C'est le noyau mystique de son approche, qui l'est de l'indicible. Le monde est un mystère dont l'expérience échappe aux mots. Le contemporain de la Grande Guerre l'est aussi de Fernando Pessoa dont la poétique, par le biais de l'un de ses hétéronymes nommé Alberto Caeiro, se formule ainsi : « L’unique signification intime des choses, / c’est le fait qu’elles n’aient aucune intime signification ».
Clarifier le dicible indique avec l'indicible qu'il y a de l'informulable, c'est-à-dire de l'impensable. Une ligne de démarcation est ainsi tracée entre pensée et non-pensée.
La dimension mystique de Ludwig Wittgenstein le rapproche forcément de la religion, notamment dans ses versions littéraires ou philosophiques hétérodoxes, celles de Kierkegaard, Tolstoï et Dostoïevski. Dieu devient alors le nom donné au sens du monde. Le sens et non la vérité, qui est le refuge dogmatique d'une philosophie dont l'antique tradition est fautive, ayant accumulé tant d’absurdités. Le sens invite, lui, à la morale ou, mieux, à ajointer éthique et esthétique.
L'antiphilosophe est un sophiste qui désire affronter logiquement la contingence du monde dont le sens, parce qu'il nous échappe, ouvre au risque de dire n'importe quoi.
(L'AMOUR ET LE SILENCE)
« Sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence ». C'est le dernier aphorisme du Tractatus logico-philosophicus et nous sommes quelques-uns à suivre la proposition du philosophe slovène Slavoj Žižek quand il estime que cette formule, exemplaire du mystique qu'aura été Ludwig Wittgenstein, serait aussi la meilleure définition existante de l'amour, qui a besoin de silence pour se dire.
Saad Chakali
Une série superbe sur la Rome Antique , magnifiquement illustrée, que je recommande à tout lecteur fan du genre.
Dominique Mesans
Une vie assumée
Mary Reynolds, américaine, figure marquante du Paris bohème de Montparnasse, compagne de Marcel Duchamp, peintre plasticienne et relieuse de grand talent, voit sa vie chamboulée pendant la 2e guerre mondiale en intégrant un réseau de résistance.
Vie romancée avec beaucoup de brio où l'auteur nous plonge dans une vie mouvementée, pleine de rencontres d'artistes, d'amitié (Beckett, Picabia...).
Pascale Joseph
Les médiathécaires vous conseillent
"Certains lieux parlent la langue du souvenir"
Naja quitte avec sa famille l'Algérie pour la France, en espérant trouver un eldorado au sein d'une cité HLM. Exil, déracinement, intégration et courage ponctuent la vie quotidienne de ces habitants.
Amir et Daniel, cousins inséparables, se confrontent à leur destinée particulière liée à un secret inavouable.
Chaque chapitre de ce roman retrace la mémoire géographique de la banlieue parisienne des années 60 aux années 80, son évolution et sa décrépitude.
Avec lucidité et poésie, Lilia Hassaine décrit l'immigration et ses rêves, ses désillusions également, sous un soleil âpre et douloureux.
Si vous avez aimé, je vous conseille La Discrétion de Faïza Guène.
(Egalement disponible en livre numérique).
Céline Nourbakhch
BD historique sur "les émeutes du pain" en Tunisie
Inspirée de faits réels, cette BD de Aymen Mbarek retrace l'histoire de Chbaya, qui signifie "fantôme" en tunisien.
Alors qu'un soulèvement populaire éclate en 1984 suite à l'augmentation drastique du prix du pain, un mystérieux auditeur surnommé Chbaya pirate les fréquences radios de la police et diffuse de fausses informations aux forces de l'ordre : émeutes inexistantes, blagues, farces... Le Casper tunisien s'est efforcé de faire rire la population pendant cette période trouble.
Malgré des dessins parfois un peu grossiers, c'est une œuvre touchante et intéressante.
A découvrir.
Mélanie Lesourd
Les Contes du Korrigan
Une belle série superbement illustrée sur les contes et légendes de Bretagne.
A découvrir sans attendre...
Dominique Mesans
Un mariage sous haute tension
Abigail, employée d'une petite maison d'édition et Bruce, surdoué de l'informatique et des affaires, partent en voyage de noces sur une île, au large de la côte du Maine. Tout n'est pas si rose que ça.
Peter Swanson sait distiller l'angoisse, la peur.
Pascale Joseph
"Il faut accompagner pour mieux mourir"
Estelle est infirmière dans une maison de retraite. Entourée d'une équipe bienveillante, elle prend soin de nos aînés, confrontée à leur vieillesse, leurs maladies et régulièrement leur décès. Elle accompagne ainsi chaque résident en douceur avec compassion vers la fin de vie, un quotidien éprouvant rempli de tendresse.
On retrouve la grande sensibilité de Quention Zuttion (Appelez-moi Nathan, Touchées) tant dans la thématique que dans les dessins et les couleurs. Un album sans pathos, à l'écoute des patients et des soignants, d'une remarquable humanité.
Céline Nourbakhch
Les médiathécaires vous conseillent
Esclavage moderne au Moyen-Orient. A partir de 13 ans
A 45 ans Nada Chamoul relate son adolescence à Beyrouth dans les années 1990 entourée de sa mère Diana, son petit frère Habib et sa grand-mère Albertine.
Cette famille très pieuse, dont le père est parti trop tôt, pratique la coutume de la Kafala, une procédure d'adoption spécifique au droit musulman, correspondant à une tutelle sans filiation. Ainsi, comme de nombreuses autres familles libanaises, la maisonnée adopte une "petite bonne", Ife, venue d'Ethiopie. Le racisme et la suffisance de la grand-mère heurtent progressivement son entourage. L'existence de cette domestique va en effet bouleverser la vie des habitants de la demeure familiale et du quartier.
Nada, 17ans en 1993, est une jeune fille naïve encore très enfantine et soumise aux règles édictées par sa mère et sa grand-mère. L'arrivée de la "petite bonne" Ife va déclencher chez elle une prise de conscience du statut particulier de la jeune éthiopienne, du personnel de maison et plus largement de la situation sociale des femmes au Liban.
Jean-François Chabas est un auteur majeur de la littérature jeunesse. Très talentueux et grand voyageur, spécialisé dans les romans à base ethnologique, son écriture est délicate, poétique et parfois magique. Ici, dans ce roman très réaliste, il s'indigne contre cette tradition décrite comme une forme d'esclavage moderne pratiqué au Moyen-Orient.
Si vous aimez ou voulez découvrir cet auteur, nous vous conseillons également Prières (2008) et la Terre de l'impiété (2012).
Céline Nourbakhch
L'homme devenu acteur de sa propre vie
Dans La conférence, adaptée d'une nouvelle de Kafka, le scénariste Mahi Grand questionne le bien-fondé de l'évolution de l'homme, du singe à l'espèce humaine telle qu'on la connait aujourd'hui.
Sommes-nous plus heureux maintenant ? Ou notre quotidien n'est-il qu'une pantomime grotesque sur laquelle se serait greffé le langage ?
Nous sommes-nous auto-domestiqués, et finalement ôtés toute énergie primitive et jouissive ? Nous sommes-nous fondus dans une masse confortable mais dépourvue de vérité ?
Une BD qui ouvre beaucoup de débats sur la nature humaine et le "theatrum mundi".
On aurait souhaité un peu plus de pages et de développement ! Mais cela reste une oeuvre intéressante à découvrir.
Mélanie Lesourd
Un scénario très bien construit qui réserve son lot de surprises. Les illustrations sont sublimes. Une grande réussite ! Cela me donne envie de me plonger dans le premier album "Béatrice" du même auteur, tant j'ai aimé celui-ci.
Isabelle Tramoni
Polar urbain
Énorme coup de cœur pour cette BD. J'ai adoré autant son histoire que les dessins d'un réalisme troublant.
Isabelle Casalbi
Le siècle Morin
Edgar Morin est un jeune homme de 101 ans. Sa jeunesse a tant d'histoires à nous raconter, l'enfance parisienne dans une famille juive laïque originaire de Salonique, le militantisme antifasciste à l'époque de la guerre civile espagnole, la résistance antinazie aux côtés des partisans communistes, l'exclusion du PCF et l'animation du Comité contre la guerre d'Algérie, la fondation de la revue Arguments aux éditions de Minuit, la sociologie originale des vedettes de cinéma et l'introduction de l'ethnologie portant sur la France contemporaine, la participation au film de Jean Rouch Chronique d'un été qui introduit dans le documentaire français la pratique nouvelle du cinéma direct, la direction de recherche émérite au CNRS en 1993 et le soutien indéfectible aux étudiants de Mai 68, au chef Raoni, aux lanceurs d'alerte et aux Palestiniens.
Edgar Morin est un grand contemporain, le promoteur ardent d'une pensée complexe défendue sur plus d'une centaine d'ouvrages.
La reliance
Sociologue, philosophe, incroyant radical, Edgar Morin est l'un des derniers intellectuels engagés. Sa pensée est une vaste anthropologie ayant pour architectonique l'idée générale d'une reliance. La pensée du vivant relie par confrontation et coopération, concurrence et complémentarité. Le carré de la reliance autorise sept principes : organisationnel ou systémique (le tout est à la fois plus et moins que la somme de ses parties), hologrammatique (dans chaque partie du tout il y a tout), de boucle rétroactive (l'effet agit sur la cause), de boucle récursive (les produits sont producteurs de ce qui les produit), d'autonomie depuis l'hétéronomie (le vivant est auto-producteur, c'est l'auto-éco-organisation malgré la dépendance énergétique au milieu), dialogique (avec l'union des contraires) et de réintroduction (du connaissant dans la connaissance qui est toujours reconstruction, traduction et retraduction).
Edgar Morin invite donc à actualiser un humanisme ressaisi par une complexité dont les pôles opposés sont la nature et la culture. On comprendra pourquoi le penseur a toujours défendu le cinéma, art complexe par excellence parce qu'il est celui du montage. L'humanisme revu et corrigé ainsi rappelle également à homo sapiens qu'il a un frère jumeau, son double obscur : homo demens.
La complexité
La complexité est un concept déterminant dans la pensée d'Edgar Morin. Le complexe dit à l'origine ce qui est tissé (plexus) ensemble (cum). Si la pensée complexe a d'abord été conceptualisée par le neurobiologiste Henri Laborit, elle a été reprise et amplifiée par un homme ayant toujours persévéré à tenir ensemble et faire communiquer science et philosophie, dialogiquement. La complexité engage ainsi une dynamique de transdisciplinarité dont Le Paradigme perdu (1973) est l'une des illustrations, issu d'un colloque organisé conjointement avec des biologistes (comme Jacques Monod), des anthropologues et des mathématiciens.
Sous-titré La Nature humaine, Le Paradigme perdu en appelle à cesser de dissocier nature et culture (l'une est dans l'autre et réciproquement) afin de passer enfin d'une conception insulaire de l'Homme à une conception péninsulaire de l'espèce humaine.
La pensée complexe est une pensée à la fois critique, responsable et créative. Son architecture repose d'abord sur trois piliers théoriques : la théorie de l'information, la théorie des systèmes et la cybernétique. Elle a ensuite pour couche intermédiaire la notion d'incertitude obligeant à repenser les équilibres métastables entre ordre et désordre afin de renouveler l'idée d'auto-organisation. Elle se donne enfin pour sommet le triangle des principes déjà énoncés, hologrammatique, récursif et dialogique.
Cela donne une œuvre-somme, La Méthode publiée en six volumes entre 1977 et 2004 : La Nature de la nature, La Vie de la vie, La Connaissance de la connaissance, Les Idées, L'Humanité de l'humanité et, pour conclure significativement, L'Éthique.
Une politique de civilisation
Au début des années 90, Edgar Morin invite à une « politique de civilisation » qui doit remettre l'humain au centre de l'économie en posant que la nouvelle urgence est planétaire et écologique. La crise environnementale est non seulement une crise de civilisation globale, elle est également une crise générale du vivant dont la causalité humaine, auto-générée et générative, est auto-circulaire.
Les deux derniers ouvrages en date d'Edgar Morin, publiés par Denoël, ont pour titre Leçons d'un siècle de vie et Réveillons-nous !
Saad Chakali
Les médiathécaires vous conseillent
L'usine à privilèges
Washington, une famille d'industriels aisée (mère, père, fille et leur employée) est sauvagement assassinée. L'auteur faisait partie de ces privilégiés.
Les apparences priment sur tout le reste. Il faut surveiller les fréquentations des enfants, leur avenir est tracé. Quelques adolescents, Billy, Bunny, Marty vont se risquer à briser ce cercle.
Une très bonne analyse psychologique des différents personnages est peinte. Une écriture fluide, un rythme soutenu font de ce roman un récit édifiant et intéressant.
Pascal Joseph
Nos âmes au diable
Un roman noir et intense qui explore l'obscurité de l'âme humaine. Dur et troublant. A lire.
Isabelle Tramoni
L'Autre Amérique
Brosser l'histoire à rebrousse-poil consiste à l'ôter des mains des vainqueurs pour voir comment, dans son dos, elle s'est écrite aussi du côté des vaincus qui en sont les oubliés et à qui l'historien authentique doit rendre justice : à contretemps et contrepied.
Howard Zinn est un historien, un vrai, et son Histoire populaire des États-Unis, un livre important qui a la vertu de répondre à son titre jusqu'au bout. Il est vrai que cette histoire populaire est un livre populaire, enseigné dans les écoles qui continuent encore d'en relayer la générosité. L'opus magnum frôle les mille pages mais il est pourtant écrit dans une langue alerte et amicale qui fourmille d'anecdotes. L'écriture fleuve est ainsi capable de passer en revue plus de cinq siècles au cours desquels un pays nouveau aura émergé sur la carte du monde. Un pays sans nom propre n'est toutefois pas un pays sans histoire(s), grandes et petites, majuscules et minuscules. Le rayonnement étasunien se comprend alors comme ambivalent, sombre en étant celui d'un empire brûlant l'universel sur l'autel de ses intérêts particuliers, lumineux quand il est celui des luttes populaires qui sont des créations immortelles de l'esprit.
C'est pourquoi le point de vue adopté par Howard Zinn est critique en étant anti-académique. Avec la perspective d'une contre-histoire ou d'une histoire alternative, la promesse est celle d'effets de parallaxe inattendus. Cette histoire contraire en étant racontée du côté des minoritaires a été récompensée par le prix National Book Award en 1980. Traduite en français en 2003 grâce aux Amis du Monde diplomatique, Une histoire populaire des États-Unis s'est vendue à plus de deux millions d'exemplaires dans le monde entier.
Saad Chakali
Un tesson d'éternité
Un roman percutant, effroyable d'une grande intensité.
Avec une fin remarquable.
A lire.
Dalila Mison
L' un des nôtres
1951. Dakota du Nord, Dalton. Margaret et George Blackledge, partent dans Montana pour récupérer leur petit-fils Jimmy et leur belle-fille, remariée à Donnie Weboy, qu'ils soupçonnent de maltraitances.
Ils vont se retrouver face à un clan redoutable, qui ne veut pas relâcher Jimmy.
Pascal Joseph
Les médiathécaires vous conseillent
1973, Paris, Simon Kaspar travaille à la brigade mondaine, pour pouvoir aussi résoudre le meurtre de sa mère, morte il y a 20 ans, menant une vie dissolue. Un nouveau meurtre d'une prostituée, est l'occasion pour lui de pénétrer le milieu des proxénètes.
Sur fond historique, on entre dans les arcanes du pouvoir, dans les secrets d'alcôves.
Belle écriture. Histoire prenante. Plongée fascinante dans la France de Pompidou.
Pascale Joseph
Salut, frère
Il aura fallu attendre 60 ans pour que Le visage de pierre soit traduit et publié en France ; 60 ans après les événements qui constituent le fil de ce roman : le massacre des Algériens à Paris le 17 octobre 1961.
William Gardner Smith est un journaliste et romancier noir américain, expatrié en France dans les années 50 où il rejoint James Baldwin et Richard Wright. Il travaille pour l’AFP, est correspondant dans plusieurs pays africains et œuvre sur la question du racisme et de la colonisation.
Son héros, Simeon, journaliste et peintre, quitte lui aussi les Etats-Unis pour Paris, fuyant le racisme et pour « s’empêcher de tuer quelqu’un ». Le visage de pierre qu’il représente sur une toile est tout à la fois celui du chef de gang blanc qui lui a arraché son œil, du policier qui l’a torturé dans un commissariat, des marins blancs qui l’on battu sans raison dans un café. « C’était un visage inhumain, la face d’un non-homme, le masque de la discorde et de la destruction ».
Simeon profite de la vie parisienne avec la diaspora américaine. Il ne subit pas le racisme réservé aux Africains des colonies et aux Arabes. Clubs de jazz, terrasses de café, amis, amours, Simeon ne veut pas voir ce qui se joue à ses côtés. Sur un malentendu, il se retrouve au poste de police avec Hossein, un algérien. Toute la ségrégation qu’il a connu lui revient mais les rôles ont changé. Lui est vouvoyé, l’autre tutoyé, lui est relâché, l’autre restera. Le lendemain Hossein lui lancera « Ça te fait quoi, d’être Blanc pour changer ? (…) Ici, c’est nous, les négros ! (…) Bicot, melon, raton, nor’af. Ça veut dire négro en français ».
La vision de Simeon change. C’est le cheminement de cet homme que raconte le roman ; le titre des parties le signifie : Le fugitif, L’homme blanc, le frère. Avec la réprobation de sa communauté, Il se lie d’amitié avec des algériens, voit les bidonvilles, les ghettos, la répression, la France coloniale et son cortège de mépris et de haine.
William Gardner Smith pose la question du bonheur. Fermer les yeux et être heureux dans le Paris de la fête et des clubs de jazz, être heureux quand des gens sont violentés, être heureux quand, de l’autre côté de l’Atlantique, des enfants noirs qui ont accès pour la première fois à l’école des Blancs sont humiliés ? Simeon ne l’est pas.
Puis arrive la journée du 17 octobre 1961 et du massacre des algériens venus manifester pour protester contre le couvre-feu qui leur était imposé. Nous comprenons pourquoi ce livre qui est le premier à relater cette histoire, sorti aux Etats-Unis en 1963, n’a pas été immédiatement traduit et publié en France comme les autres œuvres de Gardner Smith, alors que le nombre de morts officiel est passé de quelques dizaines à plusieurs centaines au fil des années et du travail des historiens.
L’auteur livre une description précise et documentée, un quasi-reportage. « Simeon vit des vieillards matraqués après qu’ils furent tombés à terre, parfois par cinq ou six policiers en même temps ; il vit des corps sans vie qu’on continuait de frapper, encore et encore (…) des femmes enceintes matraquées au ventre (…). Le long de la Seine, les policiers soulevèrent des Algériens inconscients et les lancèrent dans le fleuve. » Et la ville dansait dans le Club privé de Saint-Germain-des-Prés, à l’Épi—Club ou chez Régine. Simeon pleurait.
Après avoir frappé un policier qui s’acharnait sur une femme et son enfant, il est arrêté et se retrouve au stade Coubertin où l’on avait entassé les Algériens. On lui souriait, il n’était plus « Blanc ». « Salut, frère », dit un homme. « Salut, mon frère ».
Françoise Oliva
Littérature Junky
Le Festin nu n’est pas un livre, c’est un insecte mutant issu d’une galaxie inconnue, une machine à écrire dont le métal est de chair, les touches des dents et l’encre du sang. Les pages du Festin nu sont comme des rapports fragmentaires, rédigés dans le désordre par un agent aux multiples identités, parano et schizo, perdu dans l’Interzone dont le dédale recoupe son cerveau. On y perd son latin, la langue gonfle sous l’action d’une pharmacie de survie, le fatras est digne de notre chaos. Grillé par les psychotropes, le cerveau s’immunise toutefois contre la propagande d’État, overdose fatale.
William S. Burroughs pratique la littérature comme alors il l’expérimente dans sa chair : la quintessence de la came dont l’écrivain est autant pour nous le dealer que pour lui le junky.
Le Festin nu fait avec les lambeaux de son temps, maccarthysme et paranoïa du temps de la guerre froide, haine des homos, des arabes et des junkies. Il triture aussi ceux qui dominent plus que jamais notre époque droguée à la pornographie des industries pharmaceutiques disséquée par un écrivain comme Paul B. Preciado. Pour soigner nos toxicomanies, on peut lire ou relire Le Festin nu.
On peut regarder aussi le film extraordinaire qu’en a tiré David Cronenberg en 1991 qui rend compte avec une émouvante proximité de l’épaisseur avec laquelle l’auteur du Festin nu n’a pas écrit ce livre mais en a vécu dans sa chair les métamorphoses, qui sont devenues depuis celles de ses lecteurs.
Saad Chakali
Dernier épisode d'une série que j'ai adoré , du bon...du très bon Loisel en collaboration avec Tripp.
Une histoire émouvante, attachante, pleine d'humour dans un petit village du Quèbec.
Je la recommande vivement.
Je recommande également une autre série magnifique de Loisel en 7 tomes : Le grand mort.
Les médiathécaires vous conseillent
Dans l'Ouest américain, les destins de cinq femmes vont s'entrecroiser... L'une esclave, l'autre bourgeoise européenne, l'une institutrice, celle-ci indienne et la dernière ancienne prostituée. Des personnalités déjantées, mais aussi des femmes toutes victimes de machisme.
D'une façon absolument burlesque et sexy, elles vont "dézinguer" un peu malgré elles tous les hommes de main du shérif... Les aventurières vont alors se retrouver dans une course poursuite haletante.
Drôle, émouvant, féministe ! Une BD d'aventure qui fait du bien et se lit d'une traite.
Boulversant de vérité
Ete 1940, sur l'ile de Jersey. Histoire vraie, romancée d'Hedwig Bercu, jeune juive qui se retrouve piégée lors de l'invasion allemande.
Elle ne devra sa survie qu'à un jeune officier allemand, épris d'elle, et d'une habitante de l'ile qui la cachera.
Roman sous haute tension car nous ressentons, grâce à l'écriture de l'auteur, la menace qui pèse sur les différents protagonistes. Roman bouleversant de vérité.
Pascale Joseph
Dès qu'il y a pouvoir, il y a résistance
La question de la philosophie, disait Michel Foucault, est celle du présent en tant qu'il est ce que nous sommes. C'est pourquoi la philosophie est intégralement politique en ayant la préoccupation de l'histoire parce que l'histoire est indispensable à la politique.
Une archéologie des discours, des représentations et des savoirs
Durant les années 60, Foucault impose sa voix. Sa thèse d'État consacrée à la folie à l'âge classique et publiée en 1961 soulève de grandes discussions, notamment par Jacques Derrida qui conteste moins l'événement de l'internement des fous que l'exclusion de la folie du cogito cartésien. Ce travail inaugural se poursuit en 1963 avec Naissance de la clinique, une épistémologie de la médecine qui se veut également une archéologie du pouvoir médical. En 1966, il participe avec Gilles Deleuze à la publication des œuvres complètes de Nietzsche. La même année, il publie Les Mots et les choses, un ouvrage décisif, contemporain de l'effervescence structuraliste. Le geste archéologique, concentré sur les conditions d'apparition des discours et les discontinuités historiques qui les caractérisent, concerne désormais les sciences humaines en montrant que l'âge classique (1600-1800) est celui de la représentation.
Les grands concepts molaires de la métaphysique, comme l'Homme et le Sujet, n'y apparaissent plus que comme les effets circonstanciés des discours. L'Archéologie des savoirs (1969) clôt ainsi une décennie placée sous les auspices d'une critique radicale des épistémès dont le concept nomme les conditions historiques de possibilité et de vérité des formations discursives, des savoirs et des énoncés.
Michel Foucault enseigne au Collège de France de 1971 jusqu'à sa mort en 1984. Il est titulaire d'une nouvelle chaire intitulée Histoire des systèmes de pensée. Les cours font salle comble, les auditeurs séduits par la parole vive d'un chercheur qui construit ses objets d'étude en rapport avec l'actualité. L'analyse de la volonté de savoir et les institutions qu'elle se dote, institutions pénales et normes psychiatriques, débouche sur la question plus générale de la gouvernementalité qui voit le pouvoir non seulement dans l'État et ses pouvoirs disciplinaires, mais également dans le jeu de ses normes policières (s'impose alors le concept de bio-pouvoir).
La critique radicale de l'Homme aura cependant conduit progressivement Michel Foucault à une herméneutique du sujet, au nom d'un souci de soi et les techniques nécessaires à l'étayer, comme d'un courage de la vérité dont la philosophie grecque est le foyer.
De la politique à la biopolitique
Le cours de l'année 1976 a pour titre : « Il faut défendre la société ». C'est une leçon majeure qui commence déjà par s'émanciper de l'idée d'une souveraineté positive et juridique des individus au nom d'une compréhension fine des rapports de pouvoir. Le sujet n'apparaît qu'en conséquence de relations d'assujettissement préalables. Si le pouvoir est un rapport de force, son paradigme est-il donné par la guerre ? Michel Foucault peut ainsi renverser la définition célèbre de Clausewitz en posant que si la guerre est la politique continuée par d'autres moyens, la politique ne serait pas moins aussi une guerre que d'autres moyens perpétuent.
Sur le plan historique, on a vu depuis le Moyen Âge une concentration des pratiques de la guerre qui a participé à la consécration de l'État moderne, centralisateur et militaire en ayant expurgé la société des rapports guerriers qui, jusqu'à présent, la constituaient. Pourtant, fait paradoxal, un discours nouveau apparaît à l'âge classique. Tenu par Henri de Boulainvilliers (1658-1722), celui-ci insiste pour dire que l'on doit la naissance des États modernes à la guerre, qui caractérise en permanence tout fait social et dont il faudrait se faire les maîtres pour gagner sur le camp adverse des victoires nécessaires. L'historien qui parle ainsi, loin d'être un juge de paix universel, se jette au contraire dans une bataille au nom d'une vérité qui ne s'établit qu'en triomphant de son ennemi.
Le discours prôné par Boulainvilliers en France et quelques autres, en Angleterre notamment, s'oppose d'évidence à celui de Thomas Hobbes dont la représentation d'un homme qui est un loup pour l'homme sert à l'établissement d'un État Léviathan, moins belliqueux que pacificateur. Le contexte des guerres de religion et de la contre-réforme, mais aussi des impérialismes et des premières vagues de colonisation, alimente la représentation d'une guerre primordiale entre deux races hostiles depuis l'origine. La Révolution française qui consacre la victoire politique du tiers-état ne se comprend ici que comme la bataille provisoire remportée par l'une des deux races sur l'autre. Dans la perspective aristocratique, la promotion d'origines germaniques servait à rappeler le monarque à ses obligations à l'époque de sa mise en défaut provoquée par la bourgeoisie rapportée, elle, à ses origines gallo-romaines.
On l'aura compris : la lutte des classes connaît sa première retraduction historique en duel des races, avant de connaître de nouveaux développements dans le courant des siècles suivants. A l'époque du discours hégémonique sur le totalitarisme, Michel Foucault montre les affinités structurelles entre le libéralisme, qui devient la philosophie politique officielle au 19ème siècle, et le racisme dont le terrain expérimental est colonial. La politique qui se mue en biopolitique quand le sujet du droit s'identifie à une vie nue n'est pas une invention du nazisme et du stalinisme, c'est une production monarchique issue du droit romain dont l'exacerbation a été pratiquée à l'extrême par ces deux régimes.
La leçon foucaldienne est si nouvelle qu'elle a ébranlé beaucoup de certitudes en offrant un grand terrain de pensée critique des soubassements de la modernité. Cette leçon archéologique a connu depuis d'importants développements avec Giorgio Agamben.
Dès qu'il y a pouvoir, il y a résistance
Le cœur du travail philosophique de Michel Foucault aura consisté à produire une histoire des différents modes de subjectivation. C'est pourquoi il a renouvelé notre vision du pouvoir en en détaillant les productions, disciplines et institutions, dispositifs et normes. Il a ainsi donné les linéaments d'une généalogie du discours de la lutte des classes dont l'origine est aristocratique et sa modalité raciale, avant d'être reprise ensuite par le libéralisme et ses avatars. La critique qui s'en déduit est celle d'un droit indifférent jusqu'à la cécité aux rapports de pouvoir, aussi des Lumières qui ne sont pas immunisées contre le pire du déraisonnable, encore de l'Histoire sous capture hypnotique d'un historicisme qui n'est rien d'autre que l'écriture d'un discours de légitimation des vainqueurs.
Rien de plus actuel, alors, qu'une leçon portant sur le recours biaisé à l'Histoire afin d'orienter, dans une perspective de guerre civile raciale, une lutte des classes risquant toujours d'être défavorable à ceux qui l'ont initiée pour en tirer les plus grands profits.
Rien de plus contemporain, enfin, qu'une philosophie qui voit, à chaque segment d'un rapport de pouvoir, un rapport de résistance lui rappelant qu'il n'est ni omniscient, ni omnipotent : « On est partout en lutte (...) et, à chaque instant, on va de rébellion en domination, de domination en rébellion, et c'est toute cette agitation perpétuelle que je voudrais essayer de faire apparaître ».
Saad Chakali
- Une mystérieuse maladie, "Le Fléau", se répand dans le monde entier, ne tuant que les hommes. Ce sont les femmes qui le propagent. La recherche médicale se met en route.
Haute tension pour trouver le remède. Plusieurs femmes se font entendre : Amanda, médecin urgentiste qui alerte la première, des scientifiques cherchant un vaccin.
Des voix, des tranches de vie qui tiennent en haleine. Nous sommes en état d'urgence pour connaître le déroulé jusqu'à la phase finale du roman.
Pascale Joseph
Les médiathécaires vous conseillent
Sylvain / Lucie Albrecht
Une BD réaliste et touchante
Qui est Sylvain ? C'est le prénom que Charlotte, jeune youtubeuse, a donné dans ses posts au cancer du sein de sa maman.
On découvre sa vie de famille avec sa soeur aînée, son père, et le Manque.
Cette BD émouvante, tout en nuances de gris, pourra aider certains à faire leur deuil.
Claire et Céline
La politique, un art d'affecter
Frédéric Lordon a été économiste, longtemps, de sa thèse d'État soutenue à l'EHESS en 1993 à ses travaux à l'OFCE et à l'IEP. Il l'est toujours en fait, même s'il est passé en 2012 de l'économie à la philosophie au sein du CNRS. Frédéric Lordon est précisément un économiste hétérodoxe, participant aux « Rencontres déconnomiques » et membre du collectif des Économistes atterrés, autant qu'un chercheur engagé à critiquer le néolibéralisme, notamment depuis Nuit Debout et dans les pages du Monde diplomatique. Surtout, Frédéric Lordon développe depuis une quinzaine d'années une puissante anthropologie économique alliant Marx à Spinoza.
Un structuralisme des passions
Lire Marx avec Spinoza et vice-versa c'est marcher sur deux pieds, celui des structures économiques du capitalisme et l'autre d'une anthropologie des servitudes passionnelles. Un structuralisme des passions, voilà ce que propose Frédéric Lordon en allant chercher la dimension affective du rapport social qu'est le capital en condition de sa reproduction. Ce que capte un patron, ce n'est pas seulement la valeur produite par le travailleur qu'il exploite, c'est aussi sa puissance d'agir, c'est son désir qu'il enrôle au profit du sien en tentant de rendre l'enrôlement désirable. En lecteur d'Émile Durkheim, Pierre Bourdieu et Michel Foucault, Frédéric Lordon étaie une théorie plus générale des institutions et de l'État, qui nomment dispositifs et régimes dont se dotent les multitudes pour organiser collectivement leur puissance (l'imperium), au risque d'un renversement de leur souveraineté en servitude.
L'anthropologie sous la dominante économique affronte son versant politique avec Les Affects de la politique, afin de rendre gorge en particulier à la fausse antinomie existant entre l'affect et l'idée. Attention, l'affect au sens spinoziste n'est pas l'émotion, mais l'effet suivant l'exercice d'une puissance extérieure sur notre désir de persévérer dans notre être (le conatus). Ce que désire notre être sont les affects qui augmentent ses puissances et non qui les diminuent, puissances d'agir et de sentir, non moins puissances de penser. Ensuite, les affects qui constituent la matière même du social trament forcément l'étoffe des investissements politiques.
La bonne idée politique nous affecte positivement : c'est, fameux exemple, l'enthousiasme kantien lors de la Révolution française. On n'agit pas, et pas davantage politiquement, sans avoir été touché, autrement dit affecté, sinon c'est l'indifférence. L'idée politique ne s'oppose donc pas à l'affect puisqu'elle est au contraire chargée d'affects capables d'atteindre notre complexion affective personnelle faite de plis communs et de nouages idiosyncrasiques (l'ingenium), pour la soulever ou l'accabler. La politique organise et conforme, elle oriente et discipline les affects de la multitude. La politique ? Un art d'affecter le plus grand nombre.
Si la masse ne craint pas, elle terrorise
Aucune antinomie, donc, entre l'idéel et le matériel, mais le choc réitéré des complexions individuelles et des multitudes affectées par des investissements politiques antagoniques. Sont prises en considération par l'analyse les institutions qui participent à l'orientation des affections. La médiatisation des événements participe ainsi de façon différenciée, et toujours intéressée, à peser sur la mobilisation des désirs. Les politiques publiques recourent également à toute une batterie symbolique, notamment technocratique et statistique, visant à ranger la variété des désirs des multitudes sous la bannière d'un consensus pouvant servir au maintien de leur servitude. La sédition et l'insurrection s'éclairent alors d'un nouveau jour quand entrent en jeu les affects dont sont vectrices les idées politiques.
Le structuralisme des passions peaufiné par Frédéric Lordon est une anthropologie deux fois concrète, avec l'analyse des structures économiques du capitalisme, et avec la compréhension des passions politiques des multitudes. Comme on est loin, alors, des abstractions schématiques d'un individualisme méthodologique qui réduit l'individu à la figure de l'homo œconomicus quand il est en réalité mû par des affects dont la discipline raisonnée peut l'orienter vers la formation politique adéquate, qui est la démocratie.
Comme l'écrit Spinoza dans L'Éthique (IV, proposition 54, scolie) : « Terret vulgus, nisi metuat ». Avec la traduction d’Étienne Balibar dans La Crainte des masses (1997), cela donne quelque chose comme ceci : « Si la masse ne craint pas, elle terrorise ».
Saad Chakali
Usual victims : polar / Gilles Vincent
Prenant et réalite
A Tarbes, 4 femmes sont retrouvées mortes dans les locaux de Titania, géant du commerce en ligne. Le capitaine Delbard, Clémentine Roche, sa collègue lieutenante et Stéphane Brindille, jeune stagiaire mènent l'enquête sur cette série de suicides ou plutôt victimes d'un serial killer très spécial sur le dark web.
Ecriture fluide, prenante, très réaliste, digne d'un scénario cinématographique.
Pascale Joseph
Que sur toi se lamente le Tigre : roman / Emilienne Malfatto
Fulgurant
Un récit fulgurant, court, éloquent, terrible et inoubliable.
« Nous naissons dans le sang, devenons femmes dans le sang, nous enfantons dans le sang...…La première fois que le monde est devenu rouge, j'avais neuf ans. »
Dalila Mison
Liberata / Gail Reitano
Tout en finesse
Emancipation de Marie Genovese, fille d'immigrés italiens, dans l'Amérique des années 30, en pleine dépression, à la veille de la seconde guerre mondiale, à la montée du fascisme et de l'antisémitisme.
Roman tout en finesse pour décrire les sentiments, l'atmosphère. A lire.
Pascale Joseph
Les médiathécaires vous conseillent
L’Anti-Œdipe / Gilles Deleuze, Félix Guattari
Le désir, ça se machine
Après Mai 68, ceux qui voulaient poursuivre la lutte continuaient de souffler sur les braises en citant Marx et Freud à tour de bras, le premier pour son analyse à la fois conceptuelle et critique du capitalisme, le second pour sa plongée méta-psychologique dans les investissements de l'inconscient. Cependant, une question demeurait : pourquoi donc la révolution n'était-elle pas advenue ? Le philosophe Gilles Deleuze et le psychanalyste Félix Guattari ont avancé en 1972 les linéaments d'une réponse qui consiste, en fait, à avoir révolutionné le champ d'une pensée dont le désir consiste à machiner un au-delà du capitalisme en passant par l'inconscient.
L'Anti-Œdipe est un monument de la philosophie, grandiose. C'est un bloc de pensées dont la puissance conceptuelle est sensationnelle comme il y a chez Franz Kafka non pas des souvenirs mais des blocs d'enfance. C'est un monument écrit à quatre mains dans le courant désirant d'une écriture constitutive d'une nouvelle subjectivité, un nouvel agencement de la fonction auteur, un composé en sédiments de pensées dont le devenir est incessant en faisant des spirales toujours plus extensives autour d'un concept décisif et renouvelé, celui de désir. L'Anti-Œdipe est un monstre, une machine anthropologique-cosmique qui opère des montages étourdissants entre la littérature et l'histoire, d'autres inouïs entre la clinique et l'ethnologie, en établissant que c'est par la schizoïdie que l'on fera un sort à la schizophrénie générée par le capitalisme, ses délires qui font la répression de nos désirs.
Désirer c'est fuir et faire fuir, c'est tracer des lignes de fuite ; c'est fuguer c'est fuiter pour trouver en chemin quoi, sinon une arme.
Contre la normativité psychanalytique qui tient que le désir est l'affaire d'un manque ayant pour foyer la famille, Deleuze-Guattari insistent à l'inverse pour montrer que le désir est partout en circulation dans la société. Le désir n'a pas d'objet, il circule partout en établissant des connexions et en connectant des ensembles. Le désir est production et coproduction, agencement et machination, propagation de flux et émissions de particules : le désir, qui est d'abord inconscient, est toujours machinique. Dès qu'il y a du désir, il y a de la machine, il y a des flux inconscients qui coulent et dont la machine, qui est montage d'éléments hétérogènes, organise la captation consciente et la codification signifiante. L'approche est ici positivement vitaliste et constructiviste, en s'opposant à la conception platonicienne (Éros est fils de Poros soit l'expédient et Penia qui dit la pauvreté), pour se rapprocher davantage de l'ontologie de Spinoza : le désir c'est l'inconscient qui flue et fuit de partout et son écoulement s'organise, bouches, tuyaux et trous.
On voit que le désir en tant qu'il ne découle d'aucun manque doit se distinguer radicalement, aussi bien du plaisir (qui l'interrompt) que du besoin (qui en dérive). Le désir considéré à partir de ses plans d'immanence n'est dès lors plus du tout circonscrit dans le registre familial où Freud l'aura abusivement cantonné. Le freudisme est un familialisme qui a érigé avec la figure d'Œdipe un théâtre s'apparentant à bien des égards au théâtre antique et sa version moderne et bourgeoise, avec papa-maman et le fils tiraillé entre les deux comme l'est le mari entre son épouse et sa maîtresse. Le désir agence des scènes qui ne se réduisent pas au théâtre familial parce qu'il est une usine, avec sa division du travail, ses chaînes de montage, et ses rapports de production. Les scènes du désir soutiennent alors l'expression de ses délires car désirer c'est toujours délirer. Ainsi, familles et sociétés, classes et races, tribus et nations sont d'autres machines, des machines de machines, machines de production et de répression des désirs.
Contre la psychanalyse, son petit théâtre bourgeois et son platonisme, Deleuze-Guattari inventent et promeuvent une schizo-analyse qui arrache le désir du manque et de la famille en le voyant partout, schizophrénique, particulièrement dans le capitalisme.
Même rénovée à l'école de l'éthique lacanienne, la psychanalyse prend très cher, mais non moins un marxisme qui a puisé dans le freudisme des idées sans les critiquer. Deleuze-Guattari vont en fait plus loin que Wilhelm Reich qui s'y était déjà essayé durant les années 30, et Herbert Marcuse après lui dans les années 60. Ils analysent comment le capitalisme consiste en une étonnante machine de déterritorialisation des flux, avec l'argent posé en équivalent général et le travail concret devenant abstrait afin de participer à la valorisation du capital. Le capital saute sur tout ce qui bouge, c'est une puissance parasitaire et métabolique qui casse les codes et transgresse les frontières au nom d'un écoulement généralisé des flux, argent, travail, marchandise. Le capital est devenu la matière quasi-divine d'une annexion de tous les désirs au nom du sien, ne consistant qu'en sa reproduction élargie.
La déterritorialisation capitaliste est gigantesque comme un tsunami, porteuse d'une immense schizophrénie que connaissent bien les travailleurs quand ils se retrouvent divisés entre un statut de consommateur et celui de propriétaire dont les intérêts toujours se contredisent. En face du capital déchaîné, il existe des opérations de re-territorialisation, autrement dit de régulation, par exemple étatiques et nationales, dont on sait qu'elles peuvent connaître également un certain raidissement despotique, nationaliste et fasciste. Le capitalisme est un écoulement de flux visant, avec la liquidation de toutes les limites, à l'engloutissement planétaire dont le réchauffement climatique est l'un des signaux d'alerte. C'est la fin cauchemardesque de l'Histoire, à moins de relever le pari de notre schizophrénie, celle qu'il nous reste à faire en désirant produire de nouveaux agencements avec le vivant. Pour rester vivants.
Saad Chakali
La prommesse
Une famille blanche sud-africaine, les Swart vont enterrer 4 des leurs entre 1986 et 2018 : Rachel, la mère en 1986, le père en 1996, Astrid, leur aînée et Anton, leur fils. La famille se retrouve à la ferme familiale, proche de Pretoria. C'est Amor, la cadette, 13 ans en 1986, qui revient sur la question du legs de cette ferme faite par sa mère Rachel à Salomé, leur domestique noire.
Prétexte pour analyser l'égoïsme des personnages. A découvrir.
Pascale Joseph
Chair vive : poésies complètes / Grisélidis Réal
D’amour et de sang
ÉCRIVAIN – PEINTRE – PROSTITUÉE sont les mots gravés sur la tombe de Grisélidis Réal. Ajoutons-y poète. Car celle que l’on surnommait la passionaria des prostituées dans les années 70 a laissé une centaine de poèmes, pour beaucoup inédits, réunis pour la première fois dans ce recueil augmenté d’une préface attachante de Nancy Huston.
Grisélidis Réal se révèle être une grande poétesse. Serpent, sang, méduse, autant de figures et matières qui reviennent souvent dans ses poèmes qui évoquent la prison, la violence, la prostitution, la mort, la beauté et l’amour beaucoup. Le corps est là, tout le temps, un corps autant aimé que maltraité, désirant, maternel, revendiqué et meurtri par la maladie.
Comment mettre ces blessures en poésie. Comment une femme qui a connu les abysses de la rue peut-elle écrire des poèmes d’une telle force. Grisélidis est issue d’une famille cultivée, de deux parents littéraires, a étudié et beaucoup lu - on sent l’influence de Baudelaire. Ainsi, elle maîtrise la langue et les formes poétiques. Alexandrins, quatrains, octosyllabes, odes, hymnes, chants, des formes classiques qui s’entrechoquent avec les mots et le propos très transgressifs.
C’est dans l’enfermement que Grisélidis Réal écrit, au sanatorium, en prison, à l’hôpital. Emprisonnée pour trafic de stupéfiants sous l’influence d’un de ses grands amours, Rodwell, elle y compose une grande partie de ses poèmes qu’elle lit à ses sœurs de geôle au moment de la promenade. Des poèmes qui leur sont dédiés : « Pour nous la Nuit / Est devenue blessure /Notre sang s’est pétrifié / Et de sombres fleurs / À l’odeur de mort / Fleurissent et se taisent / Dans nos rêves ».
Sortie de prison, elle s’adresse à Rodwell dans des poèmes passionnés : « Je viens vers toi sur les pas de la neige / Je multiplie mes gestes dans les vagues de l’eau / Je viens vers toi sur l’aile des oiseaux / Je suis leur chute verticale et sanglante / Quand par tes yeux d’un seul regard blessée / Je m’abats à tes pieds je suis Ta proie » et érotiques : « Par la morsure de ton miel / Dans la corolle de ma fleur / Sous le troupeau de tes caresses / Piétinée et criant de joie / Je suis ta terre dévastée ».
De nombreux poèmes dédiés aux prostituées, « sœurs de Trottoir tant aimées ». le sont avec la générosité et l’empathie qui caractérise Grisélidis Réal. Elle fait du droit des prostituées et de leur reconnaissance son combat qui l’accapare du début des années 70 à 2003. La poétesse s’arrête d’écrire jusqu’à son entrée à l’hôpital où elle s’adresse à celles et ceux qu’elle a aimé. Chimiothérapie, perfusion, vomissement entrent dans sa poésie : Grisélidis fait de la beauté avec du malheur.
« Chantez l’immaculée / Peau de marbre inhumaine / Figée d’éternité / Sous l’or des encensoirs / Jetez votre oraison / Aux gorges du silence ». C’est en poétesse que le cancer emportera Grisélidis au milieu d’un poème inachevé.
Françoise Oliva
Souveraines. 1 / Laura Sebastian
Souveraines
J'ai adoré découvrir ce roman avec une intrigue royale, aux jeux de pouvoirs et aux enjeux politiques.
Hâte de lire la suite.
Dalila Mison
Ce qui vient après / JoAnne Tompkins
Ce qui vient après
Dans l'Etat de Washington, Daniel est tué par son meilleur ami Jonah qui se suicide peu de temps après. Le père de Daniel, Isaac, divorcé, et Lorrie, la mère de Jonah, veuve, s’effondrent. Très amis, ils s’évitent. Il faudra l'arrivée d'Evangeline, une sans-abri de 16 ans, enceinte, qui a fréquenté ces deux adolescents, pour comprendre ces drames.
L’écriture est sensible, pleine de poésie malgré les épreuves que vont traverser les protagonistes. Un roman qui redonne foi en l'humanité.
Pascale Joseph
Les médiathécaires vous conseillent
Un long, si long après-midi
1959, un quartier de Los Angeles, une jeune femme disparait, ne laissant qu'une flaque de sang. Ruby, sa femme de ménage noire est suspectée. Mais l'envers du décor s'avère tout autre, cet American way of life et ses non-dits.
L'atmosphère très bien décrite, avec de multiples rebondissements et surprises et un écriture fluide qui happe le lecteur.
Pascale Joseph
L'autre est premier sur l'être
Rompre avec la totalité dont l'horizon est la guerre en tant qu'elle abolit avec la distance l'idée même d'extérieur ; renouveler de fond en comble la métaphysique qui s'est imposée à la philosophie en imposant avec la question de l'être le primat sur l'autre du même : Emmanuel Levinas est le grand penseur de l'éthique à l'époque moderne, en redonnant à l'autre une priorité radicale.
Totalité et infini est l'ouvrage ramassant toute la pensée d'Emmanuel Levinas. Le philosophe s'y montre alors un penseur de l'être qui se comprend comme du temps, toujours à venir (c'est sa fécondité) ; il l'est aussi du désir qui n'est pas un manque à satisfaire mais l'infini qui se manifeste dans le fini (la jouissance est toujours de l'inutile, jouir se fait en pure perte) ; il l'est encore du visage dont l'épiphanie rappelle qu'il y a, avant l'être dont la métaphysique est la clairière, l'autre dont l'éthique est le royaume (le visage indique l'interdit mosaïque du meurtre, sa nudité même expose l'énigme d'une ouverture qui est une limite, désir et responsabilité).
Avec l'éthique, l'exigence est celle de la justice que l'on reconnaît à autrui dont le visage est la première des interpellations. La justice oblige, elle juge, c'est un préalable, un transcendantal. Le visage est une invitation sans échappatoire à la responsabilité, en débordant même le cadre de la loi. Autrui est la condition de l'être en tant qu'il s'ouvre à l'extériorité radicale qu'il nous faut respecter en la laissant être. La passivité fondamentale devant autrui est un don, l'abandon devant le visage et le face-à-face qu'il réclame. Le visage est une surface sensible autant qu'un trou dans l'être, celui d'une extériorité radicale dont l'interpellation est un débordement exigeant qu'on le parle et le pense. Qu'on le sente aussi avec la caresse, qui est l'intense contraction du présent, la sensibilité toujours se dépassant dans le désir de ce qui n'est pas encore, ce qui demeure insaisissable et, toujours, se dérobe.
L'éthique est donc aussi, ce qui n'est pas paradoxal, une érotique ayant l'équivoque pour balancier incessant. Le versant érotique de l'éthique balance en effet entre l'amour qui est la visée d'autrui en tant qu'il est faible et que sa vulnérabilité s'expose et se donne dans la caresse, et la sexualité qui est la profanation voluptueuse d'un intime caché mettant en rapport avec l'absolument autre.
Autrui, autrement dit l'autre en tant qu'il est autre absolument, est l'étranger qui nous rappelle à notre propre étrangeté. Il est l'instance infinie d'une extériorité radicale dont le visage montre la nudité du sens, et dont le désir soutient le langage de sa vérité.
L'autre est donc premier, non second. Autrui promet alors l'au-delà de l'être qui, sinon, serait pareil au mal. C'est pourquoi, malgré une culture phénoménologique partagée, l'éthique d'Emmanuel Levinas s'est rigoureusement opposée à l'ontologie de Martin Heidegger qui subordonne l'étant de l'autre sur l'être, tout en donnant une forme philosophique sécularisée à l'héritage judaïque.
L'éthique levinassienne est puissante, séduisante mais discutable : d'abord par son ami Jacques Derrida qui a déconstruit ses liens encore trop étroits avec la métaphysique classique (sur le versant animal et féminin notamment) ; par Judith Butler, qui a montré les limites politiques d'une éthique concernant la question palestinienne qui aurait dû intéresser l'ami d'Israël qu'il a été ; par Alain Badiou qui y a reconnu non seulement un reste de religion, mais une expression de la morale humanitaire des temps consensuels.
Cela est vrai, mais n'empêche pas l'éthique d'être un grand appel inconditionnel à la responsabilité et l'hospitalité, mais à la seule condition de l'arrivant, l'étranger qui vient et nous oblige en reconnaissant en lui l'énigme radicale de notre propre étrangeté.
Saad Chakali
Une dose de rage
A travers l’enquête de Jaimie et Daunis, on découvre les traditions et coutumes de cette communauté, les fêtes, les cérémonies, la vie sociale et politique. La nature est omniprésente et on vit au rythme des saisons et des rites.
Le roman nous tient en haleine jusqu’au bout, l’enquête est très prenante, l’écriture est dynamique.
Une belle lecture que je conseille.
Dalila Mison
Une chance insolente
Londres. Kurt O'Reilly, expert en statistiques, est marié à une auteur à succès. Tout lui réussit. Il va chercher des solutions pour sortir de cette vie trop belle en voyant des gourous, des psys, des chamans...
Roman drôle, ironique, bien écrit. Détente garantie !
Pascale Joseph
La déraison
Un récit à deux voix sur l'amour fou, fulgurant et destructeur.
Je recommande ce roman qui est une ode à la vie.
Dalila Mison
Les médiathécaires vous conseillent
Recoudre les fragments du monde
Dans « Le pas d’Isis », Jeanne Benameur, née d’un père algéro-tunisien et d’une mère italienne, raconte son enfance, le départ précipité d’Algérie de sa famille, en 1958. Jeanne a 5 ans lorsque le bateau de l’exil les dépose en France.
Ce long poème servi par une écriture économe et peuplée de silences est adressé à la déesse de l’Égypte antique, Isis, qui a rassemblé les membres épars de son époux Osiris et reconstitué son corps. « Isis est ma sœur / comme elle je ne sais pas / comme elle j’avance / quand même / elle ramasse ce qui n’appartient plus / des fragments ».
Ce sont les « membres épars / d’une famille perdue / d’un pays perdu » que recherche l’autrice, d’ «une famille cerf-volant / dont plus aucune main ne tenait le fil ». C’est dans la littérature et l’écriture qu’elle trouve enfin sa place au monde, dans son monde fragmenté et reconstitué.
Dans sa longue quête, Jeanne rencontre d’autres doubles. Antigone, « nous avions quitté / un pays où l’on n’enterrait plus / j’ai appris trop tôt le regard d’Antigone / sur le monde » et Phèdre, non pour ses tourments, mais pour l’intensité de sa douleur. « j’ai reconnu la folie et la souffrance / et de les reconnaître / portée par des mots justes / un rythme qui me soulevait / j’ai su / que je n’étais ni folle ni seule / parce qu’un autre être humain les avait écrits / sans en mourir ».
Quand emplie de ce long voyage aux côtés d’Isis, Jeanne rentre chez elle, c’est le silence de la pensée et l’écriture qu’elle retrouve. « c’est la nuit ou le matin qu’importe / il me faut écouter / maintenant / le poème de chaque vie / en moi / et l’écrire ».
Françoise Oliva
Iron widow
Un mélange de culture chinoise et de SF.
Une action bien présente et des personnages poussés dans leurs retranchements. On assiste à une révolution brutale. Un très bon premier tome qui donne clairement envie de poursuivre l'aventure.
A partir de 15 ans.
Dalila Mison
Être cyborg plutôt que déesse
C'est dans le Manifeste cyborg de Donna Haraway, publié pour la première fois en 1984 et traduit en français en 2002, que l'on peut lire la phrase suivante, aussi fameuse qu'énigmatique : « Je préfère être cyborg que déesse ». Le cyberféminisme y aura trouvé son mantra, plaidant pour une « politique des affinités » opposable à la politique identitaire propre au féminisme traditionnel.
Sous-titré Science, technologie et féminisme socialiste à la fin du XXe siècle, l'essai de Donna Haraway est une machine expérimentale. Sa lecture est parfois difficile, mais suffisamment intrigante pour nourrir le désir de poursuivre en examinant ce que ses agencements hétérodoxes cachent sous le capot. Il faut d'abord partir de ce constat : l'un des mythes du 20ème siècle est celui du cyborg dont le cinéma reste encore si friand, notamment celui de science-fiction. Contraction de « cybernetic organism », le cyborg désigne un hybride d'humain et de mécanique, un mixte d'organique et d'inorganique. Avec le cyborg, l'être humain assume avec ses extensions prothétiques sa propension machinique. Le verrou distinguant naturel et artificiel a ainsi définitivement sauté.
On rappellera que Donna Haraway, avant de devenir une figure de premier plan de la philosophie contemporaine, est diplômée de zoologie en ayant soutenu une thèse sur l'usage de la métaphore et son influence sur la recherche en biologie environnementale.
Mieux, le cyborg brouille tous les dualismes catégoriques, caractéristiques de la pensée systématique et de la métaphysique, culture/nature, homme/femme, vrai/faux, humain/animal, etc. Les dualités servent en réalité à instruire la domination de l'Un sur l'Autre dont le racisme, le sexisme et le spécisme sont des modalités trop bien connues. En finir avec l'essentialisme ou le naturalisme qui fige la réalité en termes séparés, notamment la grammaire qui, écrit-elle, est « la continuation de la politique par d'autres moyens », c'est coller au réel des processus, évolutif et imprévisible. C'est suivre alors la ligne de fuite des agencements et des appariements, des affinités et des amitiés, inter-espèces comprises, décisives dans la phylogenèse de l'espèce humaine.
La théorie cyborg tient donc à la fois d'une ontologie du multiple et d'un constructivisme des multiplicités. Son parti pris est celui du mélange des genres et du brouillage des identités. Avec Donna Haraway, le monstrueux n'est pas l'anomalie sauvage qu'il faut ségréguer, mais le destin d'un vivant mutilé et incompréhensible si on le sépare de ses mutabilités. Et le mutant d'entre les mutants n'est autre que l'humain lui-même, ouvert sur la réserve indéterminée de potentialités promises par son inachèvement néoténique.
La notion de transhumanisme est souvent associée à Donna Haraway mais elle est par trop restrictive et polémique, empêchant de voir comment son travail milite pour l'égalité entre hommes et femmes et une écologie politique respectueuse de la biodiversité.
Avec Donna Haraway, qui par certains aspects poursuit le vitalisme constructiviste de Gilles Deleuze et Félix Guattari, nous nous découvrons tels que nous sommes ou, plutôt, tels que nous devenons ce que nous sommes à l'époque critique de la technoscience, du numérique et des débordements zoonotiques. Nous sommes des mutants expérimentant que nos vies ne sont pas faites que d'organicité, mais de réciprocités inter-espèces et d'alliances machiniques - la « nouvelle chair » des films de David Cronenberg.
Saad Chakali
Les médiathécaires vous conseillent
L'Homme submergé par ses erreurs
Un récit d'anticipation fin et poétique, où la France est littéralement submergée par les eaux.
Les quelques rescapés installés sur des baraquements flottants survivent péniblement. L'essence, la nourriture, ou toutes autres matières premières, se font rares.
Au milieu du chaos, qui de mieux qu'un chien pour percevoir dans ses chairs la dégradation de cet environnement ? Qui de mieux placé pour sentir la nature muter ?
Une très belle BD, sur fond de réchauffement climatique, où la bienveillance humaine est magnifiée.
Mélanie Lesourd
Une radicalité saxifrage
La radicalité est un terme farci de mésusages qui détournent d'un sens premier qu'il y a tout intérêt à retrouver. Un éloge astringent de la radicalité, voilà ce que propose Marie-José Mondzain avec Confiscation. L'éloge consiste précisément à retirer le temps de son essai une expression réifiée par ses captures idéologiques pour la restituer dans la langue commune avec ses puissances refondées. Des puissances originaires qui appellent à penser et repenser depuis une tradition philosophique qui commence avec Platon pour se poursuivre avec Kant, Hannah Arendt et Chantal Mouffe, Cornelius Castoriadis et Jacques Rancière.
La confiscation dont il est question ici concerne un terme dont la relève théorique engage sa restitution non seulement philosophique mais politique. C'est, en passant, une caractéristique du pouvoir que d'organiser la confiscation des mots. La culture souffre également du même arraisonnement que le mot de radicalité, évidée de la conflictualité constitutive de ses montages. Le travail fondateur mené au CNRS sur les sources byzantines de l'imaginaire contemporain demeure à cet égard un préalable décisif.
En s'aidant également de films questionnant la représentation au carrefour de l'art et de la politique, Ici et ailleurs (1974) de Jean-Luc Godard et Anne-Marie Miéville et Nashville (1975) de Robert Altman, Marie José Mondzain fait la critique de l'empire des visibilités, ces médias dont les dispositifs, dits « iconocratiques », écrasent les images par suraccumulation de marchandises audiovisuelles. Les images, elles, toujours balancent entre absence et présence, mettant en rapport ce qui semblerait n'en avoir pas, inventant avec de nouvelles formes de nouvelles relations entre elles. Parce que, écrit-elle ainsi, l'image n'est pas un règne en préférant le tracé d'un écart, la zone d'une indétermination radicale.
A la racine, une liberté radicale
La radicalité appelle ainsi un régime spécifique d'affects, les affects politiques. Radicaux sont les enthousiasmes qui font appel à l'imagination créatrice et au courage des ruptures constructives, à l'opposé, donc, des gestes meurtriers dont les auteurs sont abusivement qualifiés de radicalisés. C'est que l'on confond extrémité et radicalité alors que les notions sont antinomiques. Être radical consiste, Marx en a rappelé l'étymologie, à prendre les choses à leur racine. En revenir à la racine, alors que Gilles Deleuze lui a substitué le concept plus horizontal et ouvert au multiple qu'est le rhizome, c'est renouer avec les puissances inaugurales dont l'être humain est porteur, ces forces natives du commencement et du recommencement soulignées dans la suite de Hannah Arendt.
Les décharges pulsionnelles accomplies par les extrémismes mimétiques, les uns intégristes et les autres fondamentalistes, qui usent par ailleurs des relais médiatiques pour en renforcer l'onde de choc traumatique, sont capables d'extrémités qui témoignent d'une absence d'imagination et de liberté. Une banalité hier stigmatisée par Hannah Arendt qui n'oubliait pas que le mal est ce dont n'importe qui est capable quand celui-ci fait de sa morale personnelle une loi universelle. La radicalité invente au contraire les jeux de l'esprit et autant de non-lieux attestant la dignité de la pensée et de la liberté d'agir des acteurs dans la cité. Parmi ces non-lieux il y a les images, soit les « opérations imageantes » menées par des artistes funambules qui ne craignent pas la dépossession en faisant le pari de bouger entre les places. Le pari de changer de place sans la prendre à quiconque est celui d'une mobilité contre toutes les pressions à l'assignation à résidence, un mouvement diagonal qui tient à la fois de la circonscription et de l'illimitation.
L'image, les images sont ainsi le site d'une absolue indétermination, le site inassignable qui met en rapport ce qui est sans rapport.
L'énergie saxifrage des images
C'est pourquoi, dans la relecture du Timée de Platon, Marie José Mondzain tourne autour du mystère de la notion grecque de chôra en avançant le concept de zone qui lui permet de penser les images à partir du hors-champ qui en est à la fois le dehors et la condition. L'image devient ainsi zonarde quand elle s'ouvre à l'intervalle entre le sensible et l'intelligible qu'il y a en elle. L'invisible en condition du visible est cet écart matriciel et nourricier, ce site intermédiaire, une troisième aire qui s'est appelée le diaphane avec Aristote, et dont le terme aura été repris par les premiers Pères de l'Église pour qualifier, dans l'économie naissante du christianisme, la Vierge Marie.
Entrer dans la zone, c'est alors expérimenter avec les images un site d'inconditionnelle hospitalité, déliée des nécessités et donnée à l'imagination pour penser les conditions de possibilité de notre subjectivité, avec ses expérimentations et ses novations, ses commencements et ses recommencements, ses insurrections et ses résurrections. C'est l'énergie saxifrage des images qui, si fragiles, arrivent à fracturer la pierre dans la durée.
La radicalité soulève nos rires et avivent nos joies quand elle dit l'hospitalité faite à ce et ceux qui arrive, par exemple les étrangers qui s'exposent devant nous en gardiens de notre étrangeté. Nous, les zonards, sommes alors les hôtes turbulents de l'à-venir.
Saad Chakali
Les fossoyeurs
Un livre qui fait peur. Il concerne des familles qui ont cru bien faire en emmenant leurs ainés finir leur vie en enfer.
Nul ne pouvait deviner à quel point le système était perverti.
Marche ou crève pourrait être leur devise.
A lire !
Dalila Mison
Les médiathécaires vous conseillent
Expérimenter le monde à travers le regard d'un robot, telle est la première ambition de Kazuo Ishiguro dans son huitième roman, "Klara et le soleil". La narratrice s'appelle Klara et c'est une gynoïde de type B2, attendant sagement dans un magasin d'être vendue comme AA (Amie Artificielle). Ce n'est pas le dernier modèle équipé de toutes les technologies dernier cri mais selon la gérante, elle possède quelque chose qui la rend unique : un don d'observation et d'analyse qui lui permet de mieux comprendre son environnement et faire par la suite les meilleurs choix pour l'humain qui la commandera.
Klara puise son énergie directement à la lumière du soleil, source inépuisable et tellement chaleureuse que la gynoïde va lui prêter des propriétés curatives miraculeuses.
Tous les jours, exposée dans la vitrine, elle regarde la rue, analyse le comportement des passants et partage ses réflexions avec sa binôme Rosa. Un jour, une fillette (Josie) passant dans la rue avec sa mère aperçoit Klara et décide que ce sera son AA. Et c'est ce qui va se passer. Accueillie dans un univers nouveau, Klara devra s'adapter aux usages de la maison et composer avec la maladie de Josie, maladie qui affaiblit la fillette au point qu'elle doit garder le lit. Peut-être que le soleil pourrait faire quelque chose...
Nous percevons le monde du point de vue de Klara, nouvelle gynoïde fraichement mise en circuit. Il faut donc qu'elle puisse dans un premier temps comprendre ce qui se passe autour d'elle pour nous le retransmettre avec ses propres mots. L'écriture même est impactée, simplifiée en fonction des concepts maîtrisés par l'Intelligence Artificielle. Nous ne saurons jamais vraiment tout de ce monde, nous aurons accès à simplement quelques bribes d'informations nous faisant comprendre que c'est une dystopie. Les écarts entre les classes sociales sont encore plus importants rendant par exemple encore plus inégalitaires l'accès aux universités des étudiants riches et pauvres.
Être du point de vue de Klara, c'est accepter de ne pas tout savoir mais surtout de partager ses croyances proches du mysticisme concernant le soleil. Elle est en adoration devant lui et devant ses propriétés curatives exceptionnelles, modifiant de manière significative sa perception du monde l'entourant. C'est d'ailleurs un point fort du roman : ce ne sont plus les êtres humains qui sont habités par un sentiment religieux mais les êtres artificiels.
Le cinéma s'est très tôt approprié ces questions-là, notamment deux films : "A.I. : Intelligence Artificielle" de Steven Spielberg et "Sayonara" de Kôji Fukada.
"Klara et le soleil" est aussi un roman sur les relations entre parents et enfants (surtout entre mères et enfants), sur la perte d'un enfant ou d'un parent (le roman est dédié à la mère de l'auteur disparue en 2019) mais aussi, comme tout bon roman de science-fiction qui se respecte (c'est presque un passage obligé), sur l'humanité des androïdes exacerbée par l'inhumanité de leurs créateurs.
Alexia Roux
Un père Bill, professeur de mathématiques et ses 2 jumeaux adultes Al et Trig, 27 ans se retrouvent après 2 ans sans se voir, pour une dernière aventure. Ils partent sillonner en canoë les lacs du Canada en plein mois de novembre froid et venteux.
Très belles descriptions des paysages. Personnages attachants où l'on découvre au fil de ces 450 pages, les liens qui les unissent malgré la séparation des parents.
Pascale Joseph
Le pessimisme est ce qui s'organise
En 1975, neuf mois avant sa mort par assassinat, le poète et cinéaste italien Pier Paolo Pasolini remarque que les lucioles de son enfance ont tendance à disparaître. La pollution industrielle n'est pas seule en cause. La catastrophe est plus grave, elle est même anthropologique. La dévastation nouvelle découle d'un néofascisme reposant sur l'incorporation du désir de tous dans un consumérisme qui, relayé par la télévision, impose l'extermination des cultures et des traditions. La parade nuptiale des lampyres qui illuminent la nuit de clignotements en écho aux étoiles s'est effacée en laissant un champ de ruines exemplifié par la figure médiatique et démagogique de Berlusconi. La prophétie pasolinienne demande cependant à être nuancée et c'est ce à quoi s'essaie l'historien de l'art Georges Didi-Huberman en renouvelant l'approche d'un concept important pour son travail, celui de survivance.
Le constat de la destruction de l'expérience avait déjà été dressé par Walter Benjamin et Giorgio Agamben, qui est un grand lecteur de ce dernier en ayant été l'ami de Pasolini, en accentue aujourd'hui la vision dans le sens d'un pessimisme apparemment dogmatique. Si « le cours de l'expérience a chuté » depuis un siècle d'après Benjamin, la destruction qui est réellement en cours n'a toujours pas connue son terme définitif. Amorcée par la reproductibilité technique de l'œuvre d'art, les industries culturelles et les loisirs de masse, la destruction de l'aura qui fait lever les yeux, comme les étoiles ou les lucioles, n'est ni totale, ni achevée.
Georges Didi-Huberman, s'il reprend les linéaments d'une critique de la modernité qui se retourne contre elle-même en exterminant le vivant, refuse d'en partager le pessimisme absolu. Au contraire, la radicalité critique doit accueillir la possibilité des bifurcations et des surprises. Les éclairages surpuissants des médias aveuglent, sans pour autant anéantir la nuit nécessaire aux lueurs plus douces du rêve et de la pensée. L'inespéré est la survenue fragile et fugitive de l'inconnu qui n'a pas été anticipé par les désespérés, aussi lucides soient-ils. Le pessimisme est une nécessité qui ne clôt jamais le surgissement des images dialectiques défiant la fin des temps, comme des boules de feu qui fulgurent en franchissant l'horizon, autrement dit en s'affranchissant de lui.
Images dialectiques, de rêve, de pensée et de souhait
D'un côté, le concept d'image dialectique repris de Benjamin fait disjoncter les continuités en faisant voir dans l'espace nouveau qu'elle crée ce qui passe et ce qui demeure, ce qui revient comme ce qui arrive de loin. L'image dialectique est une luciole qui fait voir par fulgurance avant de disparaître dans le noir du temps. Intermittente, minuscule, mouvante, elle donne à voir dans le proche le plus lointain ; c'est un montage qui tient à la fois du démontage et du remontage d'éléments hétérogènes. C'est pourquoi le contemporain n'est pas le lieu de la coïncidence parfaite mais du déphasage, anachronisme et hétérochronie. Dès qu'il y a image, apparaissante et disparaissante comme une luciole, il y a le symptôme d'une crise qui attend qu'on en relève le sens.
De l'autre, l'image dialectique est une survivance, elle témoigne pour l'expérience en tant qu'elle possède un noyau d'indestructible. La destruction est là mais les images qui, comme les vivants (les lucioles rejoignent chez Didi-Huberman les phasmes et les phalènes), sont mortelles ont la garde de ce qui se conserve et revient. L'horizon immobilisant les potentialités est ce contre quoi luttent les images qui passent et repassent. Des survivances de temps éloignés avérant avec leur remémoration la proximité. Des restes dont le retour fait disjoncter l'horreur de la répétition en créant des brèches pour retrouver des promesses oubliées.
Le pessimisme est donc ce qu'il faut savoir organiser en construisant les montages qui s'affranchissent des transcendances et des horizons, dans une immanence qui refuse les pièges de l'attente messianique et du dogme apocalyptique. La discussion est passionnante même si elle procède parfois par simplification concernant les auteurs cités, Pier Paolo Pasolini, Jacques Derrida et Giorgio Agamben, auxquels Georges Didi-Huberman leur préfère ses auteurs de prédilection, Aby Warburg, Walter Benjamin et Georges Bataille. La survivance des lucioles désire cependant témoigner des expériences qui marquent des ruptures d'horizon en ayant le désir pour condition de ses réinventions. Des images de rêve, de pensée et de souhait qui redonnent de l'avenir au passé.
Saad Chakali
Une belle lecture menée par des personnages hauts en couleur que je vous recommande.
Hâte de lire la suite.
Dalila Mison
Les médiathécaires vous conseillent
Fantastique Palestine
Le faire-part de décès d’une tante inconnue pousse Faysal à quitter sans un mot l’Europe et son amant avec qui il vit depuis 10 ans, pour retourner dans son village de Palestine, Jabalayn, le Palais des deux collines. « Je n’aurai jamais pu t’expliquer que je savais être né pour constater l’extinction de ma race ». De la grande maison familiale vide, peuplée de souvenirs, de secrets et de fantômes, Faysal écrit une longue lettre à son compagnon et reconstitue sa famille et son monde détruits.
Karim Kattan, jeune auteur franco-palestinien, mène le lecteur là où il ne s’attend pas quand il s’agit de parler de la Palestine : dans un monde magique, avec ses sorcières, ses fantômes, ses « wiswis, murmures démoniaques » qui portent le roman à la frontière du fantastique.
D’une écriture subtile et merveilleusement poétique, l’auteur raconte des intimités palestiniennes, celles d’une famille bourgeoise prise dans ses contradictions et dans ses secrets parfois inavouables : le grand-père qui a bâti le palais grâce à « ses petites affaires » avec les colons, Ayoub, l’oncle adoré amoureux de Joséphine, la « sorcière » ainsi nommée pour être trop libre, Nawal, la grand-mère, suicidée de n’avoir pu prendre les armes. La voix du fantôme de Nawal, résistante et vengeresse de la Palestine hante le palais et se mêle à celle de Faysal.
La colère contenue du roman porte le héros sur les rives de l’espoir et du désespoir. A la vue d’une affiche annonçant l’ouverture d’un musée de culture palestinienne, « ils nous ont posés derrière des vitres avec des robes brodées et un pressoir à olives. Ils ont réussi leur tour de magie : nous sommes vraiment devenus des êtres de fiction ».
Mais les souvenirs reviennent avec ces gens qui « ont le parler maritime. Dans leurs syllabes il y a le fracas des vagues et dans leur rire l’écume et même quand ils toussent (…) c’est l’insondable océan qui jaillit de leur gorge ».
Avec eux l’espoir. « Je vis dans l’avenir quand nos mondes seront réparés, quand le pays sera rendu à la pureté d’un matin qui palpite. ». Un espoir qu’aucune entreprise coloniale ne pourra détruire.
Françoise Oliva
L'héritage sans testament
Pour Hannah Arendt, la crise de la culture est une affaire pressante qui s'apprécie par huit côtés, tradition et histoire, autorité et liberté, éducation et politique, humanisme et progrès scientifique. Écrits entre 1961 et 1968, les textes composant le recueil justement intitulé La Crise de la culture explore ce que la modernité inflige à la tradition. Au nom du progrès qui se confond avec l'extension du capitalisme et la rivalité des totalitarismes, la modernité discrédite les autorités établies en marquant une rupture dans la transmission des savoirs. Remplaçant la culture par le loisir, la modernité promeut ainsi une complexité de moins en moins pensable en développant des processus scientifiques déliés de toute fondation, sans orientation ni destination : en toute cécité.
La crise de la culture induit une critique ayant valeur de diagnostic qui a trouvé son premier postulat dans un aphorisme de René Char extrait des Feuillets d'Hypnos : « Notre héritage n'est précédé d'aucun testament ». La situation de l'individu moderne consiste en effet à ce qu'il puisse faire toujours plus de choses sans comprendre ce qu'elles sont vraiment. L'animal politique qu'est l'humain à l'époque d'Aristote s'est transmué depuis en homo faber puis en animal laborans. La liberté d'agir valorisée par la modernité se perd alors dans une incertitude qui, découlant du déclenchement d'actions irrémédiables et irréversibles, produisent de nouveaux risques, notamment dans le rapport à l'environnement. Le déchaînement des puissances matérielles est tel qu'il en vient à bouleverser radicalement les conditions d'existence. C'est pourquoi le progrès est aussi un exil quand devient impossible d'en saisir la complexité. Cette impossibilité de penser la modernité s'accompagne notamment de la production industrielle de marchandises de masse dont la consommation est antithétique avec la culture qui repose, elle, sur des œuvres qui durent en résistant au temps.
Les autorités traditionnelles sont alors disqualifiées, non seulement parce que leurs représentants seraient autoritaires, mais parce que la modernité ouvre une brèche dans le temps en empêchant de construire des rapports de continuité entre l'avenir et le passé.
Hannah Arendt emploie alors une parabole chère à Franz Kafka, celle de l'homme en lutte contre deux mouvements contraires, celui qui le pousse à aller de l'avant et l'autre qui lui barre la route, rêvant alors d'occuper la position de l'arbitre. Le fractionnement incessant du temps est vécu par nous qui, toujours, vivons sur la brèche, dans l'intervalle entre deux élans dont la tradition proposait une forme symbolique qui a sauté comme un verrou avec la modernité. C'est à cet endroit qu'intervient la question politique, qui nous rappelle à notre liberté radicale de choisir notre destin, en s'exerçant y compris dans le domaine du goût. Car cultiver son goût, même le plus subjectivement, c'est toujours discuter avec autrui du beau dans une discussion rationnelle qui a pour fond esthétique un monde commun sensible. A ce titre, Hannah Arendt continue de penser dans la perspective philosophique d'Emmanuel Kant et sa Faculté de juger, en rappelant qu'il était un contemporain des Lumières comme de la Révolution française.
Autorité, il faut y revenir et préciser car le mot, victime de préjugés, est décisif dans la vision défendue par Hannah Arendt. Issue de la tradition romaine, l'autorité consiste à augmenter les fondations et les traditions dont nous héritons. La philosophe fait à ce propos remarquer que les grands penseurs modernes comme Marx et Kierkegaard, Nietzsche et Freud, ont tous désiré créer une rupture dans la tradition, mais sans jamais vouloir l'abolir comme le font les États en conjuguant leurs forces avec celles du marché. L'autorité, l'authentique, ne fonctionne donc jamais par la force et la manipulation, mais toujours par reconnaissance de sa justesse et de sa légitimité. Sans autorité, les individus vivent alors dans une autonomie faussée dont les abus lèsent les parents en profitant à tous les groupes tyranniques. Le totalitarisme est à cet égard un produit de la modernité poussée à son extrémité parce qu'y règne un arbitraire terrifiant, celui d'un « tout est possible », annulant la nécessité même de toute délibération politique.
De cela, Hannah Arendt est la philosophe et son existence même peut en témoigner : militante contre le nazisme en France entre 1933 et 1940, emprisonnée dans le camp de Gurs avant de s'en évader, témoin des procès de Martin Heidegger (dont elle a été son étudiante et son amante) et Adolf Eichmann (le nazi incarne à ses yeux non seulement le mal radical mais sa banalité même, qui n'est sa banalisation qu'en tant qu'elle est critiquée par une femme n'ayant jamais cédé sur la tradition du paria et des opprimés).
Chaque être humain qui naît commence en recommençant toute l'humanité. La lectrice de Kant l'est aussi de saint Augustin. Le monde a beau être de plus en plus désorienté, soumis à l'automatisation de processus techniques aux conséquences imprévisibles, il est peuplé d'êtres humains qui sont capables de liberté. Ce don divin qui n'est d'aucun dieu est celui qui leur permet de commencer et recommencer. Ce don qu'est l'enfant que chacun d'entre nous aura été, et dont il nous faut prendre soin.
Saad Chakali
Les choses humaines
Un roman qui décrit, décortique et fait réfléchir sans jamais tomber dans la caricature.
Beaucoup de psychologie.
A lire.
Dalila Mison
Les médiathécaires vous conseillent
Tonino n'aime pas l'école. Pour éviter le destin médiocre de petit émigré italien peu instruit, il s'engouffre dans son rêve "fabricant de succès" et réussit à être publié chez Gallimard dans la collection "série noire".
Souvenirs, souvenirs. Une belle autobiographie.
Pascale Joseph
La vie que je mène, la vie qui me mène
En 1990, Judith Butler publie aux États-Unis Gender Trouble, traduit en français en 2005 sous le titre Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l'identité. L'ouvrage, difficile d'accès, est un événement pour la pensée qui aura mis 25 ans à nous arriver alors qu'il engage une discussion approfondie avec des intellectuels français de premier plan ayant émergé dans les années 60, en particulier Jacques Lacan pour la psychanalyse et Michel Foucault pour la philosophie. La discontinuité radicale entre le sexe (qui est une réalité anatomique répondant à des critères biologiques) et le genre (qui est une construction sociale soumise à des variations culturelles et historiques) ne consiste jamais à abolir le couple masculin-féminin mais, loin des polémiques sociétales qui témoignent des résistances à la dénaturalisation, à investir les interstices politiques qui en réinventent la partition et la hiérarchie.
Le genre est une fiction régulatrice au service de la reproduction des structures de domination. Il s'agit d'un style corporel réitéré par autant d'actes performatifs afin de lui donner une consistance symbolique qu'il n'a pas par nature ou essence. Les rapports de genre qui se déduisent d'un faire en recouvrant un ensemble non clos de pratiques relèvent ainsi d'une comédie dont la parodie est assumée par les minorités qui surenchérissent sur le carnaval des identités, dans l'exigence légitime de la liberté et de l'égalité.
Judith Butler est une philosophe, c'est-à-dire une amie de la vérité. Comme son maître Socrate, elle est du côté de l'universelle vérité en se refusant à abonder le commerce des opinions dont les sophistes, adversaires des philosophes, se font les champions intéressés. Il ne faudrait cependant pas réduire la philosophe à la prêtresse du genre dont le concept est obscurci par l'hystérie médiatique de ses exagérations hyperboliques. Judith Butler travaille en effet sur la vie psychique du pouvoir et le pouvoir performatif des mots. Elle repense aussi le désir à l'aune d'une critique des normes en sollicitant la figure tragique d'Antigone. Elle réinterroge encore le corps afin de sonder les effets concrets de la subalternité et de la précarité. Judith Butler mobilise également le legs du judaïsme afin de comprendre le rapport que l'État d'Israël entretient avec son Autre qu'est pour lui le peuple palestinien.
En 2012, Judith Butler, qui enseigne à l'université de Berkeley et dont le travail est traduit dans le monde entier, reçoit le prestigieux Prix Adorno. La réception du prix invite son récipiendaire à tenir un discours qui, ici, s'appuie justement sur une formule du philosophe allemand Theodor Adorno qui résume une large part de la sagesse antique : « Peut-on mener une vie bonne dans une mauvaise vie ? ». Judith Butler profite ainsi de l'occasion pour affronter la dimension éthique de sa pensée. Une vie bonne appelle la question du pouvoir nécessaire à ce qu'elle puisse être ainsi. Comme Rousseau, elle pense que morale et politique, si leurs sphères sont distinctes, ne sont cependant pas séparables. Ce faisant, elle s'oppose au dernier Foucault qui théorise le concept d'un souci de soi délié de toute finalité politique. Elle s'oppose également aux théoriciens libéraux qui, comme John Rawls, réduisent la modernité à partir de la rupture entre le juste (qui appartient à la politique) et le bien (qui, lui, relève de l'éthique).
Antigone, encore
Si Judith Butler tient à l'interdépendance entre la morale (ou l'éthique) et la politique (c'est le versant de la question posée, celui d'une vie bonne), elle tient aussi, et toujours dans la continuité de Rousseau, à la radicalité de la politique (c'est l'autre versant de la question, celui de la mauvaise vie). La radicalité n'est pas un extrémisme, confusion fautive, mais le fait de ressaisir le caractère originaire de la question politique. Et ce qui est à l'origine de la politique c'est la finitude humaine dont la mort est l'expression ultime. La politique se comprend ainsi à l'endroit même de notre vulnérabilité quand, sur un plan plus individuel, on conviendra qu'il n'y a pas d'identité sans reconnaissance par l'autre de soi-même, au risque toujours encouru de se perdre dans l'aliénation.
Faiblesse et dépendance, fragilité et stupidité sont non seulement les manifestations de notre finitude ontologique, mais aussi les expressions de nos contradictions. Adorno se demandait si nous pouvions vivre une vie juste dans une vie fausse, autrement dit faussée par un individualisme bourgeois offusquant le tissu d'interdépendances qui fait la chair sociale de l'être humain. La vie que je mène est la vie qui me mène, il y a une passivité fondamentale qui se déduit de l'être humain comme animal social. Devenir un sujet libre n'a pas d'autre horizon, alors, que la ressaisie d'une condition imposée à la subjectivation, celle de l'assujettissement. « Si je dois vivre une vie bonne, ce sera une vie bonne vécue avec les autres, une vie qui ne serait pas une vie sans ces autres ».
La forme extrême du dessaisissement est la mort de ceux dont on ne se souvient pas. Qui, alors, parle pour les sans deuil ? Judith Butler repense une nouvelle fois à Antigone qui refuse qu'on laisse son frère Polynice « sans tombeau ni lamentation, sans larmes ni sépulture ». Parler sur le modèle d'Antigone, c'est lever la voix pour les sans voix, c'est parler depuis la parole absente des sans deuil. Voilà une tâche morale qui est inséparable de toute politique radicale. « Notre exposition commune à la précarité constitue le terrain partagé d'une égalité potentielle et nos obligations réciproques de produire ensemble des conditions de vie vivables ».
Saad Chakali
La destruction
Christine Angot a beaucoup écrit sur l’inceste qu’elle a subi jusqu’à l’âge de 26 ans. Dans son dernier livre, qui sera peut-être le dernier sur le sujet tant il s’approche de l’universel, elle raconte le pouvoir destructeur de l’inceste.
Un roman, c’est ainsi que le livre est présenté, avec de vrais noms, des faits réels, mais un roman. Parce que le roman permet de dire l’indicible, de se mettre peut-être en retrait, de voir la situation de l’extérieur. L’écriture est précise, crue, quasi-clinique, parfois fébrile. L’autrice s’attache à décrire les situations : les actes sexuels de son père, ses mots, ses propres pensées. Celles de la petite fille heureuse d’avoir un père qui la reconnait 13 ans après sa naissance. Un père qu’elle aime, qu’elle admire. Lui, multilingue, érudit, travaillant au conseil de l’Europe. Elle, enfant classique, bonne élève, vivant avec sa mère employée à la sécurité sociale. A l’emprise sexuelle s’ajoute le pouvoir de classes.
L’enfant espère toujours qu’adviennent des « relations normales » entre elle et son père. Les viols vont se poursuivre ; l’inceste est un déni de filiation. Alors elle se dédouble, s’absente pendant les actes sexuels et peu à peu la mécanique de l’emprise s’enclenche. « L’inceste est une mise en esclavage. Ça détricote les rapports sociaux, le langage, la pensée… ». Le crime s’installe. Abandon des études, vie amoureuse ravagée, anorexie, boulimie, dépressions, en sont les blessures. La longue agonie du corps et de l’esprit est décrite avec une douleur qui s’intensifie au fil des pages.
Christine Angot n’est pas morte. Sa survie réside peut-être dans la littérature qui permet d’accueillir ce que la parole ne peut décrire.
Françoise Oliva
"Les malheurs des enfants, je crois que ça n'intéresse jamais vraiment les gens. Sinon, ça ferait longtemps qu'on les ferait plus souffrir.
Et il y aurait depuis longtemps une Convention internationale des droits de l'enfant"
A lire.
Dalila Mison
Les médiathécaires vous conseillent
« Une meute de visages noirs accompagne ma chute en hurlant « je ne peux pas respirer ! Je ne peux pas respirer ! Je ne peux pas respirer » » : ce sera le cauchemar éternel de l’épicier pakistanais qui, soupçonnant la remise d’un faux billet, avait appelé la police et assister à l’arrestation et au meurtre d’Emmett.
Louis-Philippe Dalembert s’est inspiré de l’histoire de George Floyd, mort en 2020, plaqué au sol sous le genou d’un policier alors qu’il répétait ces mots : Je ne peux pas respirer. On pense à Eric Garner, mort en 2014 aux Etats-Unis dans les mêmes conditions. Je ne peux pas respirer. À Cédric Chouviat en France peu de temps avant la mort de George Floyd. Je ne peux pas respirer.
Emmett. L’auteur a choisi ce prénom en référence à Emmett Till, un enfant noir de 14 ans lynché et tués par des Blancs, en 1955, pour avoir sifflé une jeune fille blanche. Le poète cubain Nicolas Guillen en écrira une élégie : « Un enfant noir, assassiné et solitaire, qui avait lancé une rose d’amour sur les pas d’une fille blanche ».
Emmett vit à Milwaukee ; « L’endroit le plus ségrégué et raciste que j’aie jamais vu dans ma vie », dénoncera le président blanc des Bucks, l’équipe de basket de la ville.
Philippe Dalembert livre un roman polyphonique où chaque chapitre est raconté par ceux qui ont aimé Emmett, bien ou mal : les amis d’enfance, l’institutrice blanche, le coach de football, Ma Robinson, une matonne devenue révérende, la fiancée blanche…
Son talent de footballeur mènera Emmett à l’université avec une bourse sport-étude. Poussé par des agents en recherche de stars et sans écouter les conseils de son coach noir, (« Dans ce pays, les hommes comme nous, plus que les autres… »), il sera blessé à deux reprises et tombera comme tant d’autres dans la broyeuse du rêve américain.
De retour dans son quartier pauvre de Milwaukee, personne ne lui en voudra. « Abonnés à une vie de déconvenues, ils avaient l’habitude de chasser une chimère par une autre pour tenir jusqu’au bout de la vie. Cela s’appelait le rêve américain. »
Un roman polyphonique des réalités sociales qui se termine par une grande marche le jour de l’enterrement d’Emmett, une marche transcommunautaire à laquelle répondront 50 000 personnes dénonçant les violences policières systémiques à l’encontre d’une population. Une seule humanité qui voulait respirer.
(Egalement disponible en livre numérique).
Françoise Oliva
La carte postale
Un livre bouleversant, à lire absolument.
Un très grand coup de cœur.
(Egalement disponible en livre numérique).
Dalila Mison
L'être humain, un immature chronique
Qu'est-ce qui peut bien expliquer le scandale ayant secoué le milieu intellectuel, allemand et français, lors de la parution de Règles pour le parc humain de Peter Sloterdijk, l'un des plus grands philosophes contemporains ? Il est vrai que la critique du legs de l'humanisme avancée par ce texte ajointe au terme de « Lektion », la « leçon » associée par ailleurs au verbe « auslesen » qui signifie « lire à haute voix », celui de « Selektion », très connoté en Allemagne depuis son usage forcené et criminel par le nazisme.
Tâchons donc d'éclaircir au mieux cette affaire. Le texte en question est une conférence qui se veut d'abord une réponse à la Lettre sur l'humanisme de Martin Heidegger. L'humanisme est en effet la question reposée à nouveaux frais quand la mission éducative qui lui aura été dévolue depuis la Renaissance, en s'appuyant notamment sur l'élargissement de l'apprentissage de la lecture et la connaissance partagée des ouvrages classiques, a laissé place désormais à la culture de masse. Avec l'avènement des médias modernes acté depuis 1945, nous aurions donc changé d'époque, radicalement, la nouvelle étant caractérisée comme « post-humaniste » et « post-littéraire ». Les textes classiques, écrits finalement comme des lettres attendant leurs futurs lecteurs, se verraient dès lors remisés dans les archives de l'humanisme, remplacés par les appareils de télécommunication culturelle au service de vieilles propagandes liftées par le bistouri de la fabrique du consentement médiatique, néolibéralisme et néofascisme.
L'éducation par le livre est une domestication sélective de la nature humaine, Peter Sloterdijk n'hésite pas à la qualifier ainsi. Dans la perspective humaniste, la lecture éduque et domestique, elle retient et corrige les tendances bestiales qui sont l'exaspération de notre bêtise (« transcendantale » aurait précisé Gilles Deleuze). Il faut ici le rappeler, l'ouverture ontologique de l'être humain explique, avec ses ambivalences morales, le conflit des tendances entre le bien et le mal. Avec le passage de la lecture au règne hégémonique des amphithéâtres et autres stades requinqués en bénéficiant du relais mondial des écrans qui ne cessent plus de proliférer, les violences médiatisées comme jamais sont non seulement des réjouissances plébiscitées, mais encore et surtout des jouissances participant moins à la domestication corrective et sélective du genre humain qu'à son abêtissement et sa bestialisation.
La critique des médias de masse ne débouche cependant jamais sur la revalorisation stricte de l'humanisme classique. C'est ici que Peter Sloterdijk en repasse par la pensée de Martin Heidegger. Celui-ci a montré comment, sous couvert d'éducation et de domestication, l'humanisme a été une entreprise d'oubli de l'Être dont l'être humain a la garde. L'oubli au nom d'une fétichisation de la technique qui a connu plusieurs manifestations historiques, libéralisme industriel et fascisme, bolchévisme et américanisme. Dans la foulée, il sollicite Ainsi parlait Zarathoustra, le grand poème philosophique de Friedrich Nietzsche qui rit non seulement de l'homme qui a fait du loup son chien, mais de l'homme qui a fait de lui-même son meilleur animal domestique. L'apprivoisement est auto-apprivoisement, la domestication une auto-domestication. Un nouveau domaine de réflexion s'impose, celui de la bioéthique.
L'être humain est l'animal le plus singulier car il est caractérisé par l'hétérochronie et la néoténie. Son évolution ou sa phylogenèse sont en effet marquées par la persistance de formes larvaires, autrement dit de traits juvéniles chez les adultes. Un anatomiste néerlandais, Louis Bolk, a eu cette formule fameuse, retenue par Jacques Lacan et Giorgio Agamben : l'animal humain est un fœtus de primate arrivé à maturité sexuelle. Comme Bernard Stiegler, Peter Sloterdijk pense au mythe de Prométhée et d’Épiméthée raconté dans le Protagoras de Platon. Il y pense fort quand il propose de qualifier l'être humain d'immature chronique. C'est pourquoi celui-ci a tant besoin de déployer les diverses constructions techniques, prothèses et parcs, machines et appareils jusqu'à l'État lui-même, qui constituent l'écume de ses sphères. Macro (comme des globes) et micro (telles des bulles), elles lui permettent de respirer dans un environnement autrement inhabitable naturellement. L'éducation est une forme de climatisation. Et, déjà, la sédentarisation ainsi que la cohabitation avec les autres animaux doivent se comprendre également comme de vastes climatiseurs.
Avec le mythe de Prométhée, l'être humain comprend que son humanité n'est plus l'affaire des dieux mais son affaire seule. L'humanité n'est pas un fait de nature mais une construction arrachée à la dispute incessante de son indétermination. C'est là qu'intervient la question difficile de la sélection nécessitant de faire preuve de la plus grande prudence, non pas celle des gens indignes de vivre comme l'a promu atrocement le nazisme, mais des conduites et des manières de se tenir qui sont toujours des manières de se retenir. On s'en souvient, c'est la vergogne des Grecs (aidôs), la pudeur qui est inséparable de la justice (dikè). Si l'on n'en a donc pas fini avec les pastorales et les pasteurs, la question n'en demeure pas moins de savoir qui et lesquelles. C'est ici que la philosophie de la moralisation de la technique au nom de la garde ontologique de l'Être s'arrête sur le seuil de la politique.
Les accusations ont plu contre Peter Sloterdijk, sans entamer la bonne volonté d'un philosophe qui pense la nécessité d'orienter une époque technique sans esprit ni destination, sans idée autre qu'une volonté de néant dont le marché reste encore le dernier mot.
Saad Chakali
Les médiathécaires vous conseillent
Fantôme, es-tu là ?
En 1989, le Mur de Berlin tombe. En 1991, l'URSS n'existe plus. Deux ans plus tard, Jacques Derrida publie Spectres de Marx. Le philosophe n'a jamais été marxiste mais soupçonne que l'on n'en aura pas fini avec Marx. La Fin de l'Histoire que les idéologues au service du néolibéralisme hégémonique serinent alors est une rengaine à vocation conjuratoire. Les fantômes ont pourtant toujours déjà été là, même dans les livres de Karl Marx dont le plus célèbre, le Manifeste du parti communiste coécrit avec son ami Friedrich Engels en 1848, a pour entame cette phrase non moins fameuse, et absolument prémonitoire : « Un spectre hante l'Europe : le spectre du communisme ».
En effet, le marxisme de Marx est hanté par plus d'un spectre. Il est l'écriture de hantises multiples qui se disséminent partout dans son œuvre et dont la référence à Hamlet est l'un des plus beaux symptômes. « Le temps est hors de ses gonds », la tirade shakespearienne est connue en inspirant l'analyse des fantômes du moment : d'abord la religion qui projette en Dieu ce dont les êtres humains sont capables ; ensuite le capital devenu la religion des sociétés bourgeoises. En débouchant sur la critique radicale du capitalisme, la critique inaugurale de l'aliénation religieuse suivie par celle de tous les idéalismes fait apparaître un nouveau spectre, celui d'une rationalisation poursuivie et accomplie des nouveaux rapports de production imposés à l'ère brutale de la révolution industrielle.
Son nom ? Le communisme.
Il y a donc une spectralité à l'œuvre dans la pensée de Marx qui fait d’ailleurs dire à Derrida que si la philosophie a pour fondement d'être une ontologie, c'est-à-dire le discours rationnel concernant ce qui est, elle est toujours déjà aussi une « hantologie » dont l'enjeu s'intéresse aux fantômes, autrement dit aux virtualités. Le marxisme hérite de la modernité et est un héritage de la modernité, même après la fin de l'expérience soviétique. Et quand il y a héritage, les héritiers doivent s'expliquer avec plusieurs spectres, toujours plus d'un spectre. La dette se comprend d'abord ainsi avant de servir la tyrannie d’airain de l'économique : nous avons toujours déjà été endettés, plusieurs voix nous auront toujours déjà précédés, les spectres parlent et il faut les écouter comme on fait tourner les tables.
Marx lui-même a voulu en finir avec un certain nombre de spectres en raison d'un matérialisme dont les constructions dialectiques émanciperaient définitivement l'humanité de toutes les aliénations et tous les fétichismes. Et la marchandise dont le prix masque le vol de la valeur produite par les travailleurs en est un nouveau quand l'exploitation devient spectrale.
Marx est un héritier de plusieurs traditions et il est indiscipliné, idéalisme allemand et économistes anglais, révolution française et socialisme utopique. Et nous héritons de l’héritier qui a forgé sa propre tradition, dispersée ensuite en fils qui se disputent l’héritage paternel.
Avec le marxisme comme tradition critique et toujours critiquable, nous héritons de plus d'un spectre et nous non plus ne cessons jamais de nous disputer avec eux : d'un côté une vision productiviste et finaliste qui appartient aussi et d’abord au libéralisme, insoutenable à l’heure actuelle de l’anthropocène ; de l'autre un messianisme qui dit l'insistance du legs juif et abrahamique, qui a promis naguère à la classe ouvrière le paradis de la dictature du prolétariat, qui promet aujourd’hui la bifurcation mondiale nécessaire afin de sauver et l’humanité et la planète.
Avec Marx, l'explication est interminable, mille marxismes se sont depuis lui épanouis et la déconstruction est pour Derrida une manière de jouer les prolongations de l'explication parce que le deuil est là et que le travail de deuil ne suffit pas. La hantise n'est pas que l'inquiétude du passé, elle est aussi celle de l'avenir en tant qu'il est imprévisible, l'imprédictible même. La révolution.
Avec les fantômes – et Marx est devenu l'un d'entre eux – le deuil a de l'avenir et le communisme aussi. Marx est mort, Marx est mort, oui, oui, on a entendu, message reçu, on a bien compris. Mais son fantôme alors ? Comme tout fantôme, Marx est immortel.
Saad Chakali
Les ratonnades en héritage
En cette fin d’été 1973, une vague de crimes racistes déferle en France. Une cinquantaine de magrébins essentiellement algériens est tuée dont la moitié à Marseille. Une histoire occultée, méconnue, que Dominique Manotti raconte, dans un style simple et efficace, avec la rigueur de l’historienne.
Marseille 73 oscille entre la fiction et le documentaire : des articles de presse authentiques ouvrent les chapitres, les propos des hommes politiques sont à peine modifiés, les assassinats sont réels, seuls les noms changent.
Tout commence par une manifestation à Grasse de travailleurs magrébins contre la circulaire Marcellin-Fontanet qui crée la notion de travailleur clandestin en exigeant un contrat de travail et un logement correct pour les travailleurs étrangers. A cette époque, 86 % de ces travailleurs n’ont pas de contrat, alors qu’ils sont employés par les plus grandes entreprises, et la majorité vit encore dans des bidonvilles. "Halte à l’immigration sauvage" : l’extrême droite s’engouffre dans la circulaire tandis que le maire de Grasse parle d’invasion.
L’étincelle qui allume le feu est le meurtre à Marseille d’un chauffeur de bus par un déséquilibré algérien. Les groupes extrémistes se déchainent, les éditoriaux les plus nauséabonds noircissent les pages de la presse locale. "Assez, assez, assez !" écrit en une le Méridional ; le Préfet parle de "légitime colère". Le climat de violence est tel qu’il autorise Paris Match à titrer "Les Bicots sont-ils dangereux ?".
Le soir même de l’enterrement du chauffeur de bus, Malek Khider, 16 ans, est abattu dans une rue du nord de Marseille. L’enquête commence dans une ambiance phocéenne pesante. La présence en masse des pieds-noirs dans la police marseillaise, de revanchards de l’OAS, les connivences mafieuses avec le milieu politique, le lien étroit de l’administration au phénomène colonial, plantent le décor de l’enquête. Destruction de preuves, impunité, abaissement moral des victimes… cachent le caractère raciste du crime. C’est compter sans le jeune commissaire Daquin qui traverse les romans de Dominique Manotti, diplômé, cultivé, homosexuel et intègre. C’est compter sans les immenses grèves de travailleurs magrébins qui mettent à l’arrêt les usines, dont le chantier de la Ciotat, et la dignité de la famille de Malek.
Le roman de Dominique Manotti met en résonance le racisme et l’histoire coloniale non soldée qui nous contamine jusqu’au bout de notre avenir.
(Egalement disponible en livre numérique).
Françoise Oliva
La décision
Un roman qui s'adresse aux vivants, aux morts, aux pays endeuillés, à ce monde qui n'est pas parfait, à ceux qui n'oublieront jamais.
Un livre remarquable et un vrai coup de cœur.
Dalila Mison
Une femme coupée en deux (Pat et Tricia)
Jo Walton est une autrice galloise de science fiction et de fantasy. Récipiendaire de nombreux prix littéraires prestigieux (prix Hugo, prix Nebula), elle s'intéresse aux uchronies. Dans ce genre littéraire, une histoire se déroule dans un univers où l'Histoire telle qu'elle a eu lieu a pris une bifurcation inattendue (par exemple : et si les Allemands avaient gagné la Première Guerre Mondiale ?).
Publié en 2017, "Mes vrais enfants" commence avec le personnage de Patricia saisie dans un état de confusion mental profond. Comme si deux mémoires alternatives se chevauchaient, deux destins complètement différents qui ne pouvaient pas se rejoindre. Un détail : l'institut où elle se trouve change d'un jour à l'autre. Par exemple, l'apparition et la disparition d'un ascenseur ne font qu'accroître sa confusion.
Que s'est-il passé ? On sait déjà à quel moment Patrica a expérimenté ce fameux dédoublement : au moment d'une demande en mariage à l'époque de ses années d'étudiante à Oxford. Un oui et un non vont tracer deux destinées différentes et en même temps similaires. Patricia/Patsy devient dans une version Pat et dans l'autre Tricia. Il y a Pat qui découvre l'amour de l'Italie (elle écrit des guides de voyage) aux côtés de sa compagne Bee avec qui elle aura trois enfants. Et il y a Tricia, malheureuse à la suite d'un mariage décevant avec Mark, avec quatre enfants, mère au foyer durant quelques temps avant de divorcer et retrouver du travail dans l'enseignement.
Dans un style simple, Jo Walton prend plaisir à dérouler la/les vies de son héroïne qui, malgré les différents surnoms au cours du livre, restera au fond toujours la même. Même si l'uchronie est bien présente, elle ne prend pas non plus une place trop importante. L'intérêt du roman réside dans le parcours de l'héroïne, qui selon les circonstances arrive toujours à reprendre le contrôle de sa vie. L'autrice arrive ainsi à dépeindre très finement Patricia ainsi que son rapport avec ses enfants.
"Mes vrais enfants" pourrait être l'équivalent littéraire du film féministe d'Agnès Varda, "L'une chante l'autre pas" (1977). Pat et Tricia en seraient les Pomme et Suzanne.
Alexia Roux
Les médiathécaires vous conseillent
"Nous autres" est un roman dystopique de Eugène Zamiatine écrit bien avant "1984" de George Orwell, "Le Meilleur des mondes" de Aldous Huxley ou "Farenheit 451" de Ray Bradbury. Son auteur a commencé la rédaction de son œuvre juste après le surgissement de la révolution russe d'octobre de 1917 à laquelle il a participé avant son départ du parti bolchevique.
Il aura fallu au moins quatre années d'écriture pour un roman de science-fiction dont l'auteur, qui avait été très souvent confronté au régime tsariste pendant son engagement auprès des bolcheviks, se retrouve à devoir justifier désormais ses écrits auprès de ses anciens camarades. Il devient ainsi l'objet de la part de Staline d'une interdiction d'écriture, en attendant de quitter le territoire. En 1931, Eugène Zamiatine arrive à quitter l'URSS pour Paris et, après une collaboration avec le cinéaste Jean Renoir pour le film "Bas-Fonds" en tant que scénariste d'après un livre de Maxime Gorki, il meurt en 1937.
"Nous autre" est une dystopie se déroulant dans un futur lointain. Le narrateur, D-503, écrit un journal de bord à la demande du gouvernement à la gloire de l'Intégrale, un vaisseau destiné à conquérir l'espace et y répandre l'Idéologie de Bonheur prônée désormais sur l'ensemble de la Terre (les peuples se sont unis sous cette bannière et ont arrêté de se faire la guerre). Le quotidien des terriens est soumis aux règles des mathématiques : il ne doit plus y avoir un seul évènement lié au hasard. Les journées sont réglées au maximum, du matin au coucher et les besoins de chacun sont calculés au plus juste (l'alcool et les cigarettes sont prohibés). Les villes sont complètement coupées de la nature par un mur qui les entoure. D-503, fervent partisan du régime (il a lui-même conçu comme ingénieur le vaisseau), ne se doute pas une seule seconde qu'il va rencontrer une personne qui va peu à peu changer sa vision de lui-même et de sa place dans une société que l'on peut qualifier de totalitaire.
Car il s'agit bien en effet d'une société totalitaire comme en parlera plus tard Hannah Arendt. Avant même la mort de Lénine suivie par la prise de pouvoir de Staline, Zamiatine avait déjà l'intuition des dérives totalitaires en URSS. Cet aspect sera le plus largement repris et développé dans le roman de George Orwell (l'influence est d'ailleurs complètement assumée par ce dernier). Cet aspect visionnaire s'en redouble cependant par un autre, plus inattendu. Le roman anticipe en effet la calculabilité du monde qui est un nihilisme nous coupant à l'extrême de notre environnement (ce que l'on appelle aujourd'hui l'anthropocène). L'abolition de la vie privée par son informatisation et sa numérisation est une réalité contemporaine avérée avec l'extension du champ des algorithmes qui abolissent le hasard. L'amour cesse ainsi d'être un événement en devenant le produit marchand des applications de rencontres. Si "Nous autres" a été visionnaire, c'est doublement, anticipant dans un futur proche le tournant totalitaire de la révolution russe, intuitionnant dans un futur plus éloigné la gouvernance numérique par les nombres qui est un autre totalitarisme.
On ajoutera que l'édition disponible à la médiathèque est complétée par une préface de Jorge Semprun, qui s'y connaît sur le sujet. Si la traduction peut sembler quelque peu datée, cet ouvrage est un maillon fondamental pour les amateurs de science-fiction comme pour celles et ceux qui souhaitent en savoir plus sur le genre des dystopies et la radicalité de son réalisme.
Alexia Roux
Premier livre de l'autrice avec une ambiance noire, glaciale et stressante.
Les dialogues sont brefs et les mots lourds.
Une écriture percutante qui plaira aussi aux adultes.
Dalila Mison
La fin du monde c'est la fin du film
Peter Szendy, quel drôle d'oiseau. Ses objets de pensée sont inattendus, ils surprennent nos évidences, toujours à l'écoute des bruits de fond d'une pensée qui a toujours invité à se déplacer, à nomadiser. Le philosophe qui est aussi musicien et musicologue a ainsi proposé de penser l'écoute selon une participation du corps à l'œuvre musicale comme l'arrangement l'est objectivement (Écoute, une histoire de nos oreilles, 2001). L'écoute silencieuse invitant à l'intériorisation et à l'absorption apparaît à la fin du 18ème siècle en résonant avec la surdité de Beethoven. Elle se déploie au siècle suivant à l'époque industrielle du phonogramme puis à celle, hyper-industrielle, du fichier numérique. L'écoute a toujours engagé une intervention de l'auditeur, elle devient désormais plastique. L'audition doit s'entendre dorénavant aussi comme une performance qui rappelle à l'œuvre qu'elle est inachevée et toujours à venir, objet de toutes les réappropriations, arrangements et retraductions, qui échappe à son auteur.
Avec Membres fantômes des corps musiciens (2002), Peter Szendy pense l'espace ouvert par la musique comme étant celui d'une polarisation entre une forme d'unification collective (incarnée par le concert et le chef d'orchestre) et une force de dislocation qui appartient aux musiciens (qui font surgir de leur corps des organes absents, mains et doigts fantômes au-delà de toute présence). Avec Tubes (2008), la philosophie pénètre le juke-box en perçant le mystère des tubes, ces cartons musicaux que l'on nomme parfois des vers d'oreille. Un tube est une chanson obsédante et sa force inouïe consiste à nouer le banal au singulier, l'unique au cliché. Les plis secrets de la psyché trouvent ainsi une résonance dans la circulation marchande des chansons. L'intimité devient alors extimité, ponctuée des irruptions à répétition du tube, ces réitérations que le philosophe musicien qualifie de « réiterruption ».
A partir de Kant chez les extra-terrestres (2010), le philosophie change de braquet, relit Kant à nouveaux frais, la question du cosmopolitisme repensée à l'aune des extraterrestres de la science-fiction. Car, oui, le grand philosophe allemand enthousiasmé par la consécration de la raison opérée par la Révolution française aura parlé des aliens. La philosophie se mue en « philosofiction », l'ontologie en « aliénologie ». Le cosmopolitisme se voit ainsi ressaisi dans la perspective critique des limites de la mondialisation, ce point de vue qui est d'Archimède où vivent des extraterrestres figurant l'introuvable vérité de notre humanité.
Le déplacement stratégique de l'oreille à l'œil connaîtra d'autres stations, récemment avec Le Supermarché du visible (2017) et Pour une écologie des images (2021). Deux traités d'économie iconique, d'iconomie dédiés à l'image comme circulation marchande et comme processus du vivant, avec une histoire multipliant les vitesses, humaines et non-humaines, ralenti jusqu'à la minéralisation et accéléré à la vitesse de la lumière. Entre-temps, Peter Szendy publie L'Apocalypse cinéma sous-titré 2012 et autres fins du monde. En synchronisant l'horloge du cinéma avec celle d'une prétendue fin du monde programmée pour l'année 2012, le philosophe analyse douze blockbusters en y décelant la vérité du genre qu'ils illustrent, le genre apocalyptique : la fin du monde coïncide avec la fin du film. Le plus radical des films cités est Melancholia (2011) de Lars von Trier, le seul véritablement apocalyptique de toute l'histoire du cinéma. Le fondu au noir final y est une sorte d'archi-fondu au noir. Fin du monde, fin du film.
Le genre apocalyptique, aussi spectaculaire et inflationniste soit-il, délivre néanmoins des vérités qui appartiennent à l'ensemble du cinéma. Tout film est en effet un compte à rebours (explicité par La Femme sur la lune de Fritz Lang) et toute image filmique a également une structure testamentaire (comme La Jetée de Chris Marker et Cloverfield de Matt Reeves). Le cinéma a une hantise, celle d'un archi-décalage qui le constitue en même temps qu'il est impossible à représenter, celui de l'écart filmique lui-même. Le tressaillement qui inscrit dans chaque seconde 24 photogrammes et entre chacun d'entre eux se cachent un désajointement du monde comme dans 2012 de Roland Emmerich, des archi-travellings et des hyper-potlatchs comme dans la saga Terminator.
Le différentiel des vitesses dit l'hétérochronie : à chaque image la suite promise du monde que double sa fin qui ne l'est pas moins.
Saad Chakali
Les médiathécaires vous conseillent
Alain Badiou décrit sa philosophie comme un geste platonicien. Avec son premier Manifeste, il s'agissait de poser la réaffirmation de la philosophie depuis la réarticulation nécessaire d'un triple axe catégorique, être, sujet et vérité. C'était le moment où Alain Badiou, qui s'opposait alors à l'idéal de la déconstruction incarné par Jacques Derrida, a tenté de soustraire la philosophie d'une forme de dramatisation, le pathos de sa fin qui est l'une de ses manifestations privilégiées. Au temps du second Manifeste, l'adversaire n'est plus la déconstruction mais un mélange de dogmatisme et de scientisme qui accompagne la nouvelle morale contemporaine qui promeut notamment la religion des droits de l'Homme au profit des intérêts des États impérialistes et du Capital.
Le premier Manifeste maintient l'existence de la philosophie contre le drame de son achèvement porté par la déconstruction quand le suivant affirme sa pertinence révolutionnaire contre un scientisme qui est l'autre face de la morale humanitaire contemporaine.
L'existence de la philosophie a pour conditions quatre procédures de vérité : la politique d'émancipation communiste, les sciences formelles et expérimentales comme les mathématiques et la physique, les arts et l'amour. C'est à partir du carré des conditions que la philosophie maintient son rapport affirmatif à la vérité. C'est l'acquis du premier Manifeste que précise le second à l'époque actuelle de leur obscurcissement par la gestion économique, la technique instrumentale, la culture marchande et la pornographie. Même s'il y a des chantiers qui ouvrent ou continuent encore d'ouvrir des pistes neuves, de la théorie des catégories au cinéma, de la psychanalyse vilipendée à une invention communiste en exception des captures du bureaucratisme et du parlementarisme.
Si la philosophie d'Alain Badiou peut être qualifiée de geste platonicien, c'est qu'il s'agit d'une pensée non de l'un mais du multiple, autrement dit une ontologie du réel qui requiert d'avoir sur les multiplicités qu'il abrite quelques idées nécessaires à s'y orienter en sujet des vérités. Ce « platonisme du Multiple » mobilise entre autres le formalisme mathématique et la poésie contre le relativisme langagier et rhétorique de la sophistique parce qu'il existe des vérités absolues. Et ces vérités absolues ne sont solubles ni dans le thème de la fin de la métaphysique au centre de la déconstruction, ni dans celui d'une fin de l'Histoire qui aurait pour horizon infra-politique et hyper-économique le démocratisme libéral. La première critique radicale de la démocratie aura après tout été donnée par Platon lui-même quand son concept se réduit à la variation des opinions aussi versatiles que les cours des marchés financiers.
Ce « platonisme du Multiple » conduit aujourd'hui à « un communisme de l'Idée ». Si l'être est pure multiplicité, les vérités sont des multiplicités génériques. Si les vérités surgissent dans des situations toujours particulières et localisées (ce qu'Alain Badiou appelle un monde), leur universalité témoigne justement de leur absence de particularités, de leur généricité. Une vérité est universelle en étant générique, autrement dit transhistorique et même trans-mondaine, valable dans tous les mondes comme c'est le cas d'une invention scientifique, d'une construction politique ou d'une proposition artistique. Comme c'est le cas aussi d'un amour qui s'expérimente localement à partir de ses traits génériques dont témoigne la littérature en particulier. Désormais, la question est celle du sujet qui incorpore ces vérités comme autant de points traçant la ligne d'une orientation nouvelle. Pour cela, ce corps devra recourir à des organes particuliers, entre autres la discipline de parti dans la perspective léniniste, l'action painting pour les tenants de l'expressionnisme abstrait en révolte contre la tradition picturale classique, les preuves et déclarations nécessaires à soutenir l'effort de construction amoureuse.
Il y a la question de l'être des vérités et il y a ce que les vérités font aux corps qui y trouvent une orientation subjective en se mettant en exception à l'ordre du monde ou à la norme réglée des situations. L'ontologie d'abord, vient ensuite un pragmatisme.
L'éthique des vérités est une arme de la pensée contre les dogmes actuels du relativisme culturel et de la réduction démocratique des sujets en unités de consommation individuelles. Parce que les vérités sont universelles, valables donc dans tous les mondes (c'est pourquoi elles sont rares). Et qu'elles sont même dites éternelles (la question ne concerne plus la forme des vérités mais leur inentamable disponibilité, qui peuvent être réactivées même si les contextes ont radicalement changé). Vivre dans l'éternité des vérités quand l'existence se soutient non d'opinions mais d'idées est un bonheur, la joie de hausser l'animal humain en immortel.
Le geste platonicien d'Alain Badiou est une construction puissante, la philosophie de combat pour l'émancipation qui n'attend pas.
Saad Chakali
La gynécologie, on en parle ?
Jean, brillante interne en médecine, doit faire un stage dans un cabinet de gynécologie pour valider sa formation.
D'abord littéralement saoulée par tous ces problèmes de "règles et d'hormones", la jeune interne va progressivement comprendre que le rôle du gynécologue, tant dans son écoute que dans sa pratique médicale, peut s'avérer primordial.
Adaptée du roman de Martin Winclker, cette BD est loin d'être de la "psychologie de comptoir". On y dit simplement les faits : ce qui se passe dans un cabinet, ce qui s'y joue, et quels problèmes médicaux souvent injustement méconnus peuvent briser les vies de celles qui, chaque mois, saignent.
Un livre qui questionne les pratiques médicales actuelles. Une BD qui réveille. Une vraie pépite.
Mélanie Lesourd
Un beau portrait de la Bretagne
Au milieu de la potion druidesse, mythe breton, l'auteure dresse le portrait de trois générations de 1945 à nos jours.
Un beau roman et moment de plaisir qui a reçu le Prix Breizh 2021.
Dalila Mison
Les médiathécaires vous conseillent
Un roman, 3 voix : celle d’Harold, 18 ans, le frère aîné en complet décrochage scolaire mais bon cuisinier ; celle de Velma, 15 ans, ado mal dans sa peau, presque invisible mais passionnée par le dessin ; et au milieu Annie bien sûr, 16 ans, trisomique, pleine de fantaisie et débordante d’amour. C’est cette tendre fratrie complétée par des parents aimants mais un peu dépassés et une mamie déjantée, Marie-Claire, qui va avoir une idée bouleversant la vie de toute la famille. Bienvenue chez les Desrochelles !
Grâce à la passion réfrénée d’Annie pour les majorettes, tous les membres de la famille se redécouvrent.
Un texte attendrissant et drôle sur les 21 raisons qui font d’Annie une personne vibrante et délicieuse. Peu réaliste certes, mais ce roman a le mérite d’aborder la différence sous différents angles : les origines, la santé, les difficultés scolaires, l’homosexualité…
« C’est Annie qui fait famille » dit Velma. La particularité de cette sœur ayant un chromosome supplémentaire c’est d’abord de rassembler, d’unir pour se dépasser et vivre ensemble grâce à un amour inconditionnel et respectueux de chacun.
Plus qu’un texte pour sensibiliser à la trisomie, au handicap, ce roman nous fait vibrer, nous sentir vivants et représente un hymne à la tolérance.
Si vous avez aimé : nous vous conseillons le classique Quand j’avais 5 ans je m’ai tué d’Howard Buten, Simple de Marie-Aude Murail et plus récemment Ginny Moon de Benjamin Ludwig
Céline Nourbakhch
Roman lumineux
Un roman qui fait bon lire ! En le refermant je me suis dit que tout le monde devrait lire de la littérature jeunesse ! Ce roman lumineux et absolument feel good n'a rien de creux. J'ai vraiment apprécié les trois points de vue, celui de la fratrie, Annie au milieu. Annie le soleil. La narration par Velma et Harrold sont passionnantes et nous apporte enfin le contrepoint sur la famille et le handicap qui manque parfois en jeunesse. Ce n'est pas tout beau, c'est pas tout rose, ça heurte et ça fait mal, j'ai eu tellement de compassion pour eux, eux pas au milieu. Mais il y a aussi tellement tellement d'amour et d'humour.
Un coup de cœur!
Sonia Vocale
Le réel est tragique, le réel est idiot
Le réel, qu'est-ce que c'est ? Voilà l'interrogation philosophique par excellence. C'est le moment où la métaphysique se comprend comme une ontologie, qui dit ce qui est. Le réel est rationnel disait Hegel. Clément Rosset précise en disant que le réel recouvre l’ensemble non clos d’objets non identifiables. Moyennant quoi, l’être humain nourrit une grande crainte du réel car il ne s’habitue pas à son caractère imprévisible, angoissé par la propension du réel à déjouer ses attentes et désirs qui carburent à l'imaginaire.
Le réel en tant qu'il est impossible : le réel est l'impossible même, c'est pourquoi son épreuve peut conduire à la mort et la folie.
L’attitude la plus courante serait alors de recourir à l’illusion : la structure fondamentale de l’illusion est spéculaire, le double est son affaire qui vise à faire accroire au désamorçage du réel par détournement de l’attention. Qu’il s’agisse de l’illusion oraculaire avec le mythe d'Œdipe (Clément Rosset est un lecteur de Freud). De l’illusion métaphysique suivie par la tradition philosophique reliant Platon à Heidegger (l'Idée, la Raison, l'Être ou l'Esprit sont autant de manières conceptuelles consistant à percer un secret qui n'existe pas). Ou encore de l’illusion psychologique (la non identité de soi avec soi-même, grand thème de la littérature romantique et moderne). Il y aurait à chaque fois refus de la simplicité du réel qui n'a pas d'autre destin que de coïncider, toujours, avec lui-même. Cette coïncidence fatale fonde la dimension radicalement tautologique de la philosophie de Clément Rosset, et lui permet d'opposer à la bêtise des doubles l'idiotie du réel.
La tautologie est idiote jusqu'à la sainteté ; et bête est le démon de la dialectique.
Le réel se déroberait à toute contradiction comme à toute répétition : il est l’être sans double. Le double est le contraire du réel, le déni de sa singularité qui en exprime la pauvreté ontologique. Le réel dégoûte parce qu’il est idiot (c’est-à-dire simple, singulier, original et sans copie, pauvre et seul). Le réel effraie parce qu'il est l’unique dont on se détourne par sottise (de premier degré qui est la bêtise irréfléchie, de second degré qui est la bêtise réflexive). La morale est illusoire parce qu’elle repose sur un principe de réalité insuffisante, et se met en quête de toutes les formes possibles de compensation, imaginaires mais fallacieuses. La position philosophique adoptée par Clément Rosset, qu'illustrent ses textes sur le cinéma ou sur les bandes dessinées de Hergé, est indexée sur un principe de réalité suffisante, à la fois cruel et vrai, sans consolation. Cette pensée est donc tragique, en cela très proche de Schopenhauer et de Nietzsche. Elle est aussi anti-dialectique - c'est sa limite - en se refusant au jeu faussé des contradictions.
Puisque le réel inquiète, le double doit rassurer. Clément Rosset distingue deux types de doubles : les doubles de duplication qui n’attentent en rien au réel (ce sont ces doubles de proximité comme l’ombre, l'écho et le reflet), et les doubles de remplacement qui visent à se substituer à l’original (telles que les fantasmes amoureux et les passions politiques). Les mythes consolateurs du réel, les efforts poussés jusqu'à la dénégation pour évacuer le pire, la valorisation du manque ou de l’absent aux limites du mystique, l’apologie humanitariste de la différence ou de l’altérité, la représentation symbolique d'une nature surdéterminant tout sont ces inventions humaines qui renchérissent sur la duplication du réel afin de produire les doubles susceptibles de s’y substituer.
La philosophie de Clément Rosset, penseur tragique mais jamais triste, penseur idiot et joyeux, est une ontologie radicale dont l’horizon est la tautologie. Elle a pour vérité cette citation de Parménide qui dit : « l'Être est, et le non-Être n'est pas ». Pourquoi pas une « onto-tautologie », voire une « tautontologie » ?
Saad Chakali
Un bon roman jeunesse
Petit roman initiatique plein de bons sentiments mais pas que ! Les personnages sont touchants et bien construits. Le thème de l'intergénérationnel cher à la littérature jeunesse est bien mené (mention spéciale à la mamie punk). Celui des violences conjugales est abordé avec finesse à la hauteur de pré-ado. L'écriture est agréable, efficace et sans chichi et ça fait beaucoup de bien !
Soyons et restons libres à tous âge. Sous ses airs simples, j'ai été assez émue par ce happy end improbable, mais a-t-on besoin de réalisme ?
Sonia Vocale
Les médiathécaires vous conseillent
Une suite réussie !
Retour au Havre en plein déconfinement pour ce tome 2. On retrouve Augustin, Angie, Emma et Alice. On prend les mêmes et on recommence, et ça fonctionne toujours aussi bien. Un peu plus de romance mais toujours cet humour distillé.
Dans l'attente du tome 3 qui aura une saveur particulière écrit par Marie-Aude Murail, seule, après le décès de son frère. Aucun doute qu'il sera à la hauteur des deux précédents pour clore la trilogie.
Sonia Vocale
Noces barbares du management et du nazisme
Libres d'obéir ? L'injonction semble paradoxale. Il s'agit pourtant d'une contradiction dans les termes qui constitue le noyau du discours managérial et de son appariement par le nazisme. La démonstration, imparable, est menée par Johann Chapoutot, professeur d'histoire contemporaine à la Sorbonne et spécialiste d'histoire culturelle de l'Allemagne moderne comme du nazisme.
Loin d'assimiler le nazisme et le néolibéralisme, l'auteur documente les rapports existants entre le discours du management nazi et celui du management néolibéral. Produits dans des contextes historiques distincts afin de répondre à des objectifs spécifiques, les deux discours convergent cependant dans une même conception de l'organisation du travail donnant une liberté d'agir aux cadres et exécutants qui, par délégation de responsabilité, sont contraints de faire mieux avec moins sans jamais avoir la possibilité de discuter ni des fins ni des moyens. Cette forme de double bind ajointe en effet deux termes contradictoires, à savoir la liberté des moyens et l'obéissance aux fins, dans une conception managériale de la délégation des responsabilités au bout du compte intenable parce qu'elle est source de schizophrénie en imposant la liberté d'obéir au nom de l'obligation de réussir.
Deux études de cas bien documentées apportent à cet effet un éclairage significatif : Wilhelm Stuckart (1902-1953) et Reinhard Höhn (1904-2000). Le premier a été juriste, grand idéologue du management nazi et éphémère ministre de l'intérieur avant la capitulation allemande en mai 1945. Pour lui, la loi est monolithique parce que juive quand le droit est vivant parce que germanique. Un État statique est donc la résultante de la loi quand le droit doit épouser le mouvement (« Bewegung ») qui est d'ailleurs le terme que les nazis préfèrent à celui de parti (« Partei »). Contre la sclérose de l'État central, il est exigé de savoir faire montre de décentralisation et de simplification. Contre toute attente, le nazisme propose un modernisme réactionnaire, une chimère monstre qui aura conjugué les méthodes industrielles du fordisme avec une théorie raciale et un juridisme anti-étatique.
Reinhard Höhn a été formé à la même école juridique et il a réussi après la guerre à reconvertir son savoir-faire au service de l'Allemagne nouvelle. En 1953, il dirige une association de promotion des méthodes managériales dans un contexte de relance industrielle et de forte croissance économique. Les obsessions nazies de la race et son espace vital ont évidemment disparu mais Reinhard Höhn de continuer à cultiver les mêmes principes idéologiques : la loi est une abstraction dogmatique à laquelle s'oppose le droit vivant dont le management est une réalisation concrète privilégiée. La méthode de management par objectifs dite de « Bad Harzburg » fait rayonner la RFA sur le plan international avant que d'autres modèles, suisse puis japonais, en fragilisent la domination au début des années 1970. Beaucoup de technocrates issus du continent auront été formés à cette école qui sert alors à la construction économique européenne à l'époque de la Guerre froide où il s'agit d'endiguer aussi la menace communiste.
Un haut fonctionnaire français s'inscrit dans cette histoire, c'est Maurice Papon. L'homme qui a signé des arrêtés de déportation pendant la France sous le nazisme, qui a fait régner la terreur dans le Constantinois pendant la guerre d'indépendance algérienne, qui a réprimé la manifestation algérienne du 17 octobre 1961 puis celle du 8 février 1962, a lui aussi publié en 1954 un essai de management.
L'apologie des collaborateurs continue aujourd'hui d'être à l'honneur alors que les résultats sont établis, étayés désormais par la psychodynamique du travail, en débouchant sur une « aliénation au travail dont on connaît les symptômes psychosociaux : anxiété, épuisement, ''burn out'' ainsi que cette forme de démission intérieure que l'on appelle désormais le ''bore out'' » (p. 115).
Saad Chakali
De l’encre et des larmes
« C’est un enfant de salaud, et il faut qu’il le sache ! », « Ton père pendant la guerre, il était du mauvais côté » ; ainsi l’auteur reçoit les paroles de son grand-père alors qu’il a 10 ans et toute sa vie en sera une quête de vérité. Le héros de toutes les batailles qu’était son père dans les histoires de son enfance s’effondre comme un château de cartes. Sorj Chalandon nous livre un roman aux éléments autobiographiques où se jouent deux procès : celui, universel, de Klaus Barbie qu’il couvre pour son journal et celui, intime, de son père invité dans le public.
Le fils apprend en consultant des archives que son père a endossé tous les uniformes au grès des opportunités, des SS à celui des Francs-tireurs et partisans. Il ne recevra jamais la vérité de son père. « Le salaud, c’est l’homme qui a jeté son fils comme dans la boue. Sans traces, sans repères, sans lumière, sans la moindre vérité. »
Le récit du procès de Klaus Barbie, des témoignages des victimes, en partie voilés par la souffrance ou la honte, restituent la tension douloureuse que livre une écriture merveilleusement sensible. Ainsi durant la plaidoirie de Serge Klarsfeld lorsqu’il évoque les trente-quatre enfants d’Izieu, raflés et déportés. « Levé, droit face au box vide de l'assassin, il avait fait entrer ces enfants dans la grande salle. En file, les uns avec les autres, les petits donnant la main aux plus grands. Il les avait fait comparaître devant nous, devant toi, dans leurs shorts d'été, les chaussettes tombées sur leurs chaussures trop grandes. »
Cette sensibilité le fils la cherche dans le regard de son père, traque la moindre émotion tandis que le père ne renverra que sourires et agacement ; ce père arborant fausse rosette de la légion d’honneur, « mêlant son déshonneur à l’honneur des autres ».
« Change tes larmes en encre », lui avait dit un ami au moment des massacres de Sabra et Chatila ; et Sorj Chalendon d'écrire avec ses larmes.
Françoise Oliva
D'une adulte apaisée à l'ado écorchée qu'elle était
Adresse de Caroline adulte à Caroline ado dont elle retrouve les journaux intimes de 13 à 17 ans. Un élan d'espoir. Un jour dans une comédie romantique un personnage disait "ça aussi ça passera". Et bien là c'est un peu ça. Tiens bon, ça va passer. Tiens bon, ça va aller. Tu en chie, mais regarde , même si tu ne t'imaginais pas avec la vie que j'ai tu es heureuse. Tu seras heureuse.
Merci pour les ados d'aujourd'hui, merci de leur parler de leurs peurs et de les rassurer en disant que tout le monde a peur, grâce à la parole libérée adulte, la solitude effacée.
Adulte, j'y vois un peu une réconciliation de soi à soi avec le monde. Il fait du bien. Pour les ados, sûrement une sœur d'interrogation et de "galère". Et sans doute un apaisement.
Sonia Vocale
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La poésie comme survie
Natasha Trethewey est une poétesse américaine métisse, lauréate du prix Pulitzer de la poésie en 2007 et Poète Lauréate des États-Unis en 2012 et 2013.
« Une part d'oubli est nécessaire et l'esprit travaille à nous protéger de ce qui est trop douloureux ».
En 1985, alors qu’elle avait 19 ans, sa mère est assassinée par son beau-père. « Memorial Drive » est le récit de ce féminicide. Un traumatisme enfoui durant 30 ans avant que l’autrice ne se sent prête à affronter la vérité.
« J’ai besoin de donner du sens à notre histoire, de comprendre la trajectoire tragique qu’a suivie ma mère et la façon dont ma propre vie a été façonnée par cet héritage ». C’est dans la poésie que l’héritage prend corps. D’abord celui d’une Amérique ségrégationniste ; Natasha Trethewey a grandi dans le Mississippi et en Géorgie, est issue d’un mariage mixte, illégal dans les états du Sud, et sa famille a subi les pires affronts racistes. Puis bien des années après, celui de l’assassinat de Gwendolyn Ann Turnbough, la mère de l’autrice. La poésie, la poésie comme survie.
C’est sur Mémorial Drive à Atlanta que le crime a eu lieu et sur ce même boulevard que s’élève Stone Mountain, un monument dédié à la suprématie blanche.
L’enfance blessée par le racisme, la jeunesse meurtrie par l’assassinat de la mère sont livrées d’une écriture douloureuse et sensible. L’autrice se souvient de ses rêves et du pouvoir transformateur de la métaphore. « Grâce à la métaphore du rêve, j’ai admis la présence irréfutable de ma blessure la plus profonde ». L’artiste habitée par le duende de Garcia Lorca qui écrit : « le duende vous blesse, et c’est dans cette blessure qui ne se ferme jamais que se trouve ce qu’il y a d’insolite, d’inventé dans l’œuvre d’un être ».
Françoise Oliva
Charles Baudelaire, Walter Benjamin a reconnu en lui à la fois un éclaireur d'avenir et un grand aîné dans l'aventure de la modernité. La mélancolie du poète abonde celle de son traducteur et commentateur. Le génie poétique de Baudelaire, Benjamin le qualifie d'allégorique et sa figure emblématique est le flâneur. Le refuge du flâneur est la foule, les grands magasins ses derniers parages. Les conspirateurs sont ses frères d'armes et les prostituées ses seules amies. Paris lui apparaît ainsi comme une fantasmagorie dont il déjoue les mirages, réclames et feuilletons, vitrines et passages, en en éclairant les effets de capture et de fascination jusqu'à la sidération.
Paris méduse les passants. Pas le flâneur qui résiste aux sirènes du nouveau en protestant, oisif et bohémien, contre la division du travail et la prolétarisation, qui est le prix chèrement payé de la marchandisation même si ses duperies font son ivresse et sa bile.
Le flâneur est l'éclaireur des mystères du marché, le perceur parmi les passants des enchantements de la fantasmagorie marchande, le maraudeur déchiffrant les cryptogrammes de la modernité. Mais c'est un solitaire, l'âme damnée de la nouvelle économie alors triomphante. Le capitalisme qui liquide la tradition en consacrant la perte de l'aura de l'œuvre d'art. La bourgeoisie qui organise une vaste production de richesses au nom du progrès dont les ruines s'accumulent dans les ailes de l'Ange de l'Histoire. Le flâneur rêve de Fourier en pensant à Blanqui, il voit au loin les barricades qui sont comme les récifs d'un océan déchaîné. L'apologue baudelairien des « Sept vieillards » aura déposé à nos pieds l'allégorie ultime, dédiée au citadin noyé dans la masse. Son angoisse lui revient à la figure en revenant au même, un parmi la foule amorphe des identiques dont les excentricités masquent si mal le rêve d'une singularité promise et jamais réalisée.
Baudelaire a été un flâneur de la modernité et Benjamin lui aura fraternellement emboité le pas en franchissant le suivant poussé dans le dos par la locomotive de l'Histoire, d'abord une guerre mondiale puis une autre, pire encore. Il s'est suicidé en 1940. Ce train-là s'est accéléré depuis mais le train d'enfer ne mène toujours nulle part, sinon au pire. Puisque Lison s'est emballée jusqu'à la folie, les Jacques Lantier que nous sommes tous devenus doivent apprendre alors à convertir la petite parcelle de force messianique que chacun abrite dans son cœur en décidant l'arrêt commun de l'accident ferroviaire programmé. Parce que le mur est toujours là, qui approche, approche.
Saad Chakali
Le chef-d'oeuvre de Bernard Yslaire
Yslaire donne la parole à Jeanne, dite La Vénus Noire de Baudelaire. Il invente l'histoire de cette femme qui a inspiré les Fleurs du Mal au poète maudit.
La lecture de ces pages nous font imaginer quelle femme elle était : sensuelle, sauvage, charmante, déchaînée, érotique, libre...
Mademoiselle Baudelaire, c'est l'histoire d'une passion amoureuse sur fond de roman historique, dans lequel est peinte une époque pleine d'art mais aussi de misogynie.
Des dessins puissants, une très belle œuvre.
Mélanie Lesourd
S'adapter est un récit poétique.Un livre émouvant qui contribue à ouvrir les yeux sur la richesse des "inadaptés".
Je ne peux que vous inviter à le lire.
Dalila Mison
Egalement disponible en livre numérique.
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Immersion au coeur de la PJJ
Wilfried 16 ans est né d'une mère droguée et d'un père absent. Suivi par la Protection Judiciaire de la Jeunesse, il commence sa vie placé dans une famille d'accueil. A 15 ans, il veut devenir footballeur professionnel. En formation à Auxerre, il peine à contenir sa colère et sombre dans la violence. Son exclusion définitive du monde sportif associée à sa fragilité identitaire, l'entraînent progressivement vers la délinquance.
Premier roman de cet auteur, journaliste, issu d'une immersion dans un foyer de la PJJ. Un texte vibrant, réaliste et qui "claque", proposant des portraits croisés de mineurs amochés, de parents accidentés de la vie et d'éducateurs impliqués.
A écouter : "Sales gosses" de Dadoo (2003)
A voir : Polisse de Maïwenn (2011) , La Tête haute d'Emmanuelle Bercot (2015)
Céline Nourbakhch
Kafka, le désir contre la loi
L'œuvre immense de Franz Kafka a suscité de nombreuses interprétations, souvent accordées à dégager des thèmes bien connus, entre autres la théologie négative, la transcendance de la Loi et la culpabilité a priori. Dieu a été remplacé par une bureaucratie, la Loi est un surmoi jouisseur et inconnaissable et tous nous sommes coupables devant ce qui en haut nous écrase. La nouveauté introduite par Gilles Deleuze et Félix Guattari tient à apprécier la littérature de Kafka comme une « machine d’écriture » dont les « agencements » forment « trois rouages principaux », les lettres, les romans et les nouvelles. Les thèmes connus qui forment le socle d'un kafkaïsme déjà critiqué par sa traductrice Marthe Robert, ensuite par Roland Barthes et Maurice Blanchot, ne valent pour autant qu'ils « font l’objet d’un démontage minutieux, et même d’une démolition, à travers la longue expérimentation de K. »
Faire de Franz Kafka l’écrivain de la transcendance de la loi serait donc abusif. Deleuze et Guattari soulignent par exemple que la loi ne se joue pas en haut mais à côté comme au début du Procès. L’espace chez Kafka déroge à l'opposition classique du haut et du bas. On aurait plutôt affaire à un espace horizontal fait de contiguïté, des labyrinthes ou terriers décrits à la manière d'un « rhizome » dont les ramifications sont des bureaux s'enchâssant à l’infini avec des couloirs qui les relient et d'incessantes portes d’entrée et de sortie. La machine d'écriture kafkaïenne se soumet ainsi à ce que Deleuze et Guattari appellent « un processus, justement interminable ». Le processus avère que la machine est happée par un élan qui la soulève et la dépasse, une dynamique de prolifération organique des personnages, de bloc et d’objets fonctionnant en séries. Le Procès est un mouvement, « mouvement virtuel infini », mouvement interminable. Chez Kafka, il n'y a pas de romans inachevés mais l'illimité de la littérature elle-même.
« Là où l’on croyait qu’il y avait loi, il y a en fait désir et seulement désir ». Deleuze et Guattari n'ont de cesse de le répéter : la justice n'est pas une question de loi mais l'affaire du désir. La justice est un nom pour le désir et la rabattre sur la loi est fautif. Le désir de justice est ce qui met en mouvement les héros du Procès ou du Château qui se déplacent « en allant de pièce en pièce ». Lire ou relire Kafka c'est le reconnaître comme un écrivain du désir, le désir immanent et nomade contre la transcendance de la loi qui fixe et sédentarise. La machine d'écriture kafkaïenne est une machine de déterritorialisation qui lance au loin de multiples lignes de fuite esquivant les pièges du symbole, de la métaphore et de l'allégorie, jusqu'à frayer avec des « devenirs-animaux », insectes, taupes ou souris. L’écrivain juif de Prague fait ainsi fuir la langue allemande, langue continentale s'il en est, pour la rendre étrange et étrangère à elle-même, langue mineure dédiée aux souffles imperceptibles de toutes les minorités, raciales et animales.
Célébrer Kafka comme un écrivain du désir immanent s'élevant contre la transcendance majuscule de la Loi est la stratégie de Deleuze et Guattari au service de leur propre machine de guerre contre le kafkaïsme des interprétations dominantes. Elle diffère de la perspective adoptée des années plus tard par Jacques Derrida qui remet au centre de la littérature de Kafka le rapport à la Loi dont la question relève d'une hantise, celle de l'héritage juif qui insiste en posant qu'avant tout désir il y a, impérieuse, la demande d'un autre, la présence de l'Autre toujours déjà là. Quand bien même persiste le désir, indestructible et non moins inaccessible.
Saad Chakali
Le cri de la cigogne
L'auteur s'empare de faits divers. En 2008 et 2009, plusieurs tsiganes de villages du nord-est de la Hongrie, ont été tués par des néo-nazis hongrois.
L'auteur se met dans la peau d'une jeune femme Eva, marquée par un drame d'enfance. Elle affiche sa haine dans ses attitudes, ses engagements, son langage.
Le personnage est dur mais attachant. Une page de l'histoire de la Hongrie nous est ainsi dévoilée. Lecture prenante.
Pascale Joseph
Annie au milieu
Une tendre comédie familiale sur la différence.
Chaque personnage touche dans sa complexité.
Foncez découvrir cette famille.
Dalila Mison
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Simone Weil, lampe-tempête pour tous les temps
Simone Weil, sa pensée a combattu l'enténèbrement de son temps. Celle qui a renoncé à enseigner la philosophie pour partager la condition ouvrière dans les usines Renault au milieu des années 30, celle qui s'est engagée aux côtés des Brigades internationales durant la Guerre d'Espagne, celle qui a rejoint à Londres la France libre en 1942, celle qui est décédée un an plus tard à l'âge de 34 ans à la suite d'une tuberculose en s'imposant des privations par solidarité avec la population française, cette femme-là est notre contemporaine en incarnant jusque dans sa chair l'alliance singulière de la mystique chrétienne avec un anarchisme radical.
La pensée de Simone Weil est une lampe-tempête avec laquelle on peut encore affronter l'obscurcissement de notre époque. Albert Camus l'a saluée hier, Giorgio Agamben souligne son importance pour aujourd'hui. Recueil de ses réflexions ciselées avec la puissance aphoristique de qui sait que son temps sur Terre est compté, La Pesanteur et la grâce publié quatre ans après son décès offre l'aperçu éclairant d'une spiritualité de combat face à la progression du mal. Loin de céder à un dualisme opposant la grâce à la pesanteur, Simone Weil propose une métaphysique de l'être qui est une ode à la liberté dont l'amour est le cœur et la volonté la trahison.
La solitude est de mise, requise pour aimer en consentant à la distance entre soi et ce que l'on aime, qui est adoration.
C'est ainsi que Simone Weil pense le mal comme la projection faite aux autres de la dégradation que l'on porte en soi-même quand l'oppression trouve à se renforcer avec la révolte impuissante de l'opprimé. A l'inverse, le beau est la rencontre harmonieuse entre le hasard et le bien, délivré de toute capture instrumentale par usage de la volonté personnelle. Comme la vérité et la justice, la beauté est l'assomption de ce qui arrive par surcroît, notre part impersonnelle qui, plus que notre personne à qui revient l'erreur, est ce qu'il y a de plus sacré - le divin qu'il y a en nous et dont l'idiot a la grâce d'en assurer la garde.
Dans l'un de ses ultimes textes intitulé La personne et le sacré, Simone Weil écrit cela qui dit malgré les souffrances endurées notre persévérance à rester digne des promesses contenues dans l'événement de notre naissance : « Il y a depuis la petite enfance jusqu'à la tombe, au fond du cœur de tout être humain, quelque chose qui, malgré toute l'expérience des crimes commis, soufferts et observés, s'attend invinciblement à ce qu'on lui fasse du bien et non du mal. C'est cela avant toute chose qui est sacré en tout être humain ».
Saad Chakali
L'histoire vraie de Booker T. Washington, né esclave en 1856, en Virginie et qui deviendra l'un des plus grands orateurs de son époque et sera invité, en 1901, à s'asseoir à la table du président Théodore Roosevelt.
Belle biographie romancée. Texte fluide et très bien documenté.
Pascale Joseph
Howard Fast est issu d’une famille d’immigrés ukrainiens extrêmement pauvre. A 10 ans, il vend des journaux avec son frère pour subvenir aux besoins de sa famille. Il passe le reste de son temps dans une bibliothèque à dévorer toute sorte de livres.
Il deviendra l’un des écrivains américains les plus lus aux Etats-Unis et dans le monde. Quelques-uns de ses livres seront adaptés au cinéma comme "Spartacus" de Stanley Kubrick ou encore "La dernière frontière" qui inspirera John Ford pour "Les Cheyennes". Mais Howard Fast sera également « l’homme à abattre » pendant toute la période de répression anti-communiste qui a débuté après la seconde guerre mondiale et connue sous le nom de Maccarthysme. C’est l’histoire de son engagement au sein du parti communiste américain et ses conséquences que l’écrivain, adulé et détesté, raconte dans ses mémoires.
Le livre est très documenté sur l’histoire de la gauche américaine. A la fin de la guerre, le parti communiste américain comptait quelques 100 000 membres, beaucoup d’artistes et d’intellectuels. Leur lutte contre le fascisme a attiré nombre de sympathisants.
Et puis il y a eu le décret Truman, en 1945, obligeant toute personne travaillant pour le gouvernement fédéral à déclarer qu’elle n’était pas communiste. Des listes noires se sont constituées dans chaque profession, pas seulement dans l’industrie cinématographique ou du livre, mais dans les écoles, les universités, les mairies, etc. « Il s’ensuivit entre 1946 et 1952 une terreur unique dans l’histoire de notre pays ».
Le récit d’Howard Fast est sincère et détaillé. Sa vie faite de rencontres extraordinaires comme de mois de prison, d’optimisme acharné comme de désespoir profond, ressemble à une épopée décrite avec humour. Si l’écrivain quittera son parti à la suite des révélations du rapport Khrouchtchev sur les crimes de Staline, il n’en demeurera pas moins du côté des opprimés.
Françoise Oliva
Deux cousines hongroises, Szonja et Marieka s'expatrient en 1929 pour être ouvrières en France. Leur vie, entre travail et soumission dans l'usine de viscose à Lyon, est ponctuée par le seul plaisir de danser le dimanche.
Roman touchant, grave. Début lent mais on s'attache aux personnages, à leur vie difficile.
Pascale Joseph
Les médiathécaires vous conseillent
La Tempête est la dernière pièce de William Shakespeare et pas la moins énigmatique. La postérité a retenu l'île mystérieuse et ses naufragés, son démiurge caché et ses tours de magie, ses créatures fantastiques et ses épreuves initiatiques, ses trahisons originaires et ses réconciliations finales. L'énigme perdure encore aujourd'hui, elle hante même la pop culture quand on repense à une série comme Lost - Les Disparus, brillante variation télévisuelle de l'ultime création shakespearienne.
La Tempête est une comédie de l'illusion pour autant qu'elle est contradictoire, divisée entre ses leurres et ses nécessités. Prospéro veut punir son frère Alonso de l'exil sur l'île et mobilise à cet effet une puissante sorcellerie à laquelle participent les êtres féériques qu'il a asservis, Ariel la fille de l'air et Caliban l'enfant monstrueux de la terre. L'île est le site même de l'expérimentation utopique, l'abri détaché du continent où se jouent les forces contraires de l'illusion et le foyer aveuglant de leur affrontement n'est rien d'autre que leur maîtrise à bon escient.
L'île est une scène de théâtre et ses illusions nécessaires exposent la fin paradoxale d'antiques illusions, magie trompeuse et rivalités de pouvoir mimétiques, vengeance et asservissement des êtres et des forces élémentaires. Le théâtre y trouve ses origines archaïques mais son destin consiste à s'en émanciper aussi bien en affirmant que le seul lieu digne d'illusion est l'espace de la représentation.
La Tempête est l'œuvre moderne d'un artiste au seuil de sa vie qui assiste à la levée d'une nouvelle sorcellerie promettant bien des naufrages, celle de la conquête occidentale du monde et ses dévastations coloniales et écologiques. Aimé Césaire ne s'y est pas trompé en y lisant trois siècles et demi plus tard l'allégorie d'une domination impériale et son dépassement impératif. L'émancipation sera créole ou ne sera pas.
Saad Chakali
Usurpation d'identités
De 1936 à 1992, trois destins de femmes que nous suivront en Israël, en Egypte, en Turquie, aux USA, en Europe. De Miriam à Esther, en passant par Giuditta, portraits puissants, réalistes et détaillés.
Ecriture envoutante, fluide sur le tragique de ces vies dérobées. Une question se pose : sommes-nous surs de nos origines ?
Un premier roman réussit !
Pascale Joseph
L'auteur explore le Tennessee lors des années clés de la guerre de Sécession, notamment les batailles de Shiloh et du Fort Donelson. Bell, esclave en fuite après l'assassinat de son père, marquée dans sa chair, est accompagnée de Dexter puis de June.
Ils vivent dans la terreur d'être repris. Ils vont croiser les champs de bataille...
Descriptions très réalistes de la guerre, la splendeur dévastée des paysages naturels qui l'accueillent.
L'auteur sonde les âmes. Très beau roman.
Pascale Joseph
Les médiathécaires vous conseillent
Domination
Dans son dernier roman, Tanguy Viel, met en scène une situation révélée au grand jour, celle de l’emprise sexuelle, et en déterre les rapports de pouvoir et de domination de classe.
Max, le père, est boxeur et chauffeur du maire, Laura, 20 ans, la fille, cherche un logement. Entre les deux personnages, Quentin Le Bars, le maire de la ville bretonne -qui deviendra ministre- propose à Laura de l’aider à trouver logement et travail. Un contrat implicite s’écrit dans la pensée de l’édile ; en contrepartie il aura les faveurs sexuelles de la jeune fille.
Laura ne dit pas oui, Laura ne dit pas non. « Ce contrat en fait je l’avais déjà signé », dira-t-elle aux policiers lorsqu’elle se résoudra à porter plainte. « Vous n’avez pas eu l’idée de porter plainte à ce moment-là ?» lui demanderont les policiers ; et Laura de répondre « Ce jour-là, j’ai plutôt porté plainte contre moi-même ». Une plainte que l’on ne perçoit pas comme une accusation mais comme un cri, un hurlement.
L’emprise qu’exerce l’homme politique sur la jeune Laura ne passe jamais par les mots. Souvent les phrases restent suspendues, comme les corps, distanciés, dépossédés de Max et Laura, quand l’une l’affiche pour une marque de lingerie et l’autre sur un ring.
La finesse des propos porte l’ambivalence des personnages. Tout passe par les corps, de Laura, de son père. Ces corps exposés, leur seul bien. Lorsque Max, star locale de la boxe, fragilisé psychologiquement, tombe face à un boxeur sans envergure, « Ce n’était pas seulement la chute de son corps las sur le tapis du ring mais la version compressée de son existence ». De fait, Ils sont les victimes de leur origine sociale, face à un pouvoir obscène qui ne connaît pas la honte, ne supporte pas sa propre culpabilité. (Disponible également en livre numérique).
Françoise Oliva
Consumimur
Ma mère est un récit de formation comme le romantisme en a imposé le genre depuis Goethe et Wilhelm Meister, chef-d'œuvre du Bildungsroman. Mais le récit de formation est d'un type particulier quand il se soumet à un geste de déformation qui est de défiguration d'une figure maîtresse de la morale traditionnelle.
Le roman de formation d'une mère initiant son fils de 17 ans à la dépravation est aussi celui d'une perdition plus forte que toute déperdition. Le roman inachevé ne pouvait avoir de fin car il n'y a pas de fin dans la transgression, qui ne s'épuise pas parce que son énergie est sans limite. Le mal est infini et la littérature qui s'y consacre aussi. C'est ainsi que la mère est profane, c'est ainsi qu'elle est sacrée et les deux positions sont inconciliables. La mère est profanatrice en livrant la maternité à la prostitution et la mère est sacrée quand elle se sacrifie en s'exceptant des lois de la parenté et de la filiation.
Le sexe est une zone d'indifférenciation, le continent noir du neutre auquel aspire la littérature qui, de Sade à Bataille en passant par Guyotat et Klossowski, restitue à l'usage commun ce qui résiste à toute capture. C'est l'hétérogène au nom de quoi on forme des alliances nouvelles qui sont des communautés inavouables dont l'approbation de la vie tient jusque dans la mort.
La littérature de Georges Bataille est un geste de révolte qui a le négatif dans le creux de la main, la main tendue fraternellement aux incandescents qui tournent sur eux en se consumant sans fin.
Saad Chakali
L'empire de la poussière
Trois femmes dans une maison familiale qui va se décomposer sous nos yeux : Valentina, 12 ans, la petite-fille en 1996, sa mère et sa grand-mère, très pieuse, omniprésente et régent dans cette maison.
Valentina découvre sa sexualité, prend conscience de son entourage familial avec un père souvent absent, en déplacement pour son métier.
La maison est perçue par le village comme maudite avec l'invasion de grenouilles, de sauterelles, la maladie des moutons que l'on doit abattre.
Beaucoup de questions sur la maternité, le poids des ancêtres. Belle écriture. Très onirique.
Pascale Joseph
La vie invisible d'Addie Larue
Sombre, atmosphérique, évocateur, beau. Voici quatre mots qui décrivent à merveille ce roman.
J'ai adoré cette sensibilité mêlée à de la ténacité.
Dalila Mison
Les lions de Sicile
Saga familiale, Les Florio, grands commerçants de Palerme depuis 1799 jusqu'au XXe siècle.
Le premier tome commence avec Paolo et Ignazio, deux frères qui quittent leur village en Calabre, après un énième tremblement de terre et s'exile à Palerme avec leur famille. Dure adaptation car les siciliens sont hostiles.
Narration fluide où les sentiments font rages entre les divers personnages. Véritable fresque romanesque entre histoires d'amour, trahisons et vengeances. A lire avec bonheur.
Pascale Joseph
Les médiathécaires vous conseillent
"Je suis donc en quête d'histoires vraies qui soient à la fois des fabulations spéculatives et des spéculations réalistes".
C'est par cette citation de la chercheuse féministe Donna Haraway que le premier récit s'ouvre. La philosophe et psychologue Vinciane Despret, avec "Autobiographie d'un poulpe" a pris au mot cette dernière en proposant des récits d'anticipation au sens premier du terme. En partant d'une base solide, de recherches scientifiques sérieuses et poussées, elle va un cran au-dessus en proposant des histoires passionnantes à propos de liens entre humains et animaux, des tentatives de vivre-avec (comme le dirait Donna Haraway).
La forme même des récits, composés de mails, de discours ou de rapports peuvent paraître froids et distants au premier abord mais acquiert au fur et à mesure une poésie et une profondeur inattendue. Car l'auteure est connue pour ses travaux sur les animaux mais aussi sur nos rapports proches et intimes avec eux. Il faut savoir déplacer ses savoirs, ne plus être auto-centré sur l'être humain en calquant nos propres comportements sur celui des animaux (les wombats par exemple) et écouter ce qu'ils ont à nous dire (les araignées). La troisième histoire, la plus belle, met en évidence une communauté Méditerranéenne (italienne) qui a appris à vivre avec des poulpes. S'en suit une réinvention totale du langage et d'une manière d'être qui n'est propre ni aux humains, ni même aux poulpes. Il faut apprendre à inventer, réinventer un espace commun avec des "espèces compagnes".
Il faut aussi souligner l'importance du travail éditorial d'Actes Sud, qui avec cette collection (Mondes Sauvages), propose des regards de chercheurs-euses sur ce fameux monde commun humain et animal. Parce que nous faisons partie de la même planète et qu'il nous appartient de construire de nouveaux liens, de nouvelles parentés.
Longue vie à cette collection !
Alexia Roux
Premier roman réussi
Dans ce premier roman très réussi, on trouve l'esprit de famille et de tribu. On s'attache à chaque personnage par le côté chorale du récit, comme plongé dans un moment de vie quotidienne de cette famille atypique. Un univers bien amené, c'est riche en sujet de société mais sans lourdeur et mièvrerie. Si certaines situations sont parfois improbables, les personnages, je trouve, sont très crédibles. A lire.
Sonia Vocale
Un documentaire passionnant
Sais-tu que le corbeau peut fabriquer toutes sortes d'outils ? Que le poulpe est le roi de l'évasion ? Que le chimpanzé pique de vrais fous rires ?...
Un documentaire passionnant à venir découvrir.
Isabelle Tramoni
Une longue impatience
Un roman sur l'amour maternel ; cet amour inconditionnel, absolu.
Dans ce roman émouvant, Gaëlle Josse dépeint avec émotion le portrait à vif d'une mère éplorée, écorchée, malheureuse.
Un roman magnifique.
Dalila Mison
Par une mer basse et tranquille
Trois hommes, trois destins. Farouk, réfugié syrien en Irlande, médecin, ayant perdu sa femme et sa fille lors de leur traversée dramatique de la Méditerranée, niera longtemps leur mort.
Lampy, 23 ans, vit avec sa mère Florence et son grand-père Pop et travaille comme chauffeur dans une maison de retraite. John, comptable, lobbyiste ou financier avide d'argent, détruisant les gens par ses ragots, est en fin de vie et souhaite se racheter.
Trois chapitres pour trois personnages bien différents que le hasard mettra en présence.
Belle écriture pour décrire ces vies pas si simples. Style fluide, envoutant. On se laisse porter par ces récits pour découvrir une fin surprenante.
Pascale Joseph
Les médiathécaires vous conseillent
Le prix de l’inatteignable
D’Alexandre Vialatte, nous retenons ses chroniques. 900 sont publiées à un rythme hebdomadaire, dès 1952, dans le quotidien auvergnat La Montagne ; des chroniques uniques dans la presse actuelle, érudites, poétiques et drôles (2 volumes sont disponibles à la médiathèque Édouard Glissant).
Vialatte n’aura publié que trois romans. "Les fruits du Congo" paru en 1951 est l’un d’eux et assurément un chef d’œuvre dont le centre est l’adolescence. Un groupe de collégiens en proie à l’imaginaire et aux rêveries propres à leur âge est en quête de merveilleux. Ils créent un club secret où ils jouent des personnages aux rites singuliers et aux noms compliqués. Ils vagabondent sur les chemins de cette ville de Province dont ils préfèrent les rues ténébreuses, les îles mystérieuses, le fleuve brumeux. De cette brume apparait Dora, comme une ondine, dont vont tomber amoureux Fred et le narrateur. L’amour est la principale quête du groupe d’adolescents et au fond leur seul désir.
« Si Dora fut la brise du printemps, la négresse fut le vent des sables ». Ainsi sont-ils fascinés par la beauté de « la grande négresse » affichée sous le slogan publicitaire « Les fruits du Congo » ; une affiche qui invite les jeunes gens à s’engager dans l’armée coloniale. Attirés par les promesses d’aventures, de voyages et poussés par des rêves d’exotisme, les enfants sont séduits par la beauté de "la négresse" qui porte « le velours des fruits et les odeurs de la brousse » et dont les citrons d’or « éclataient comme des grenades ». Happés par l’armée d’Outre-mer, ils mourront d’avoir cru aux chimères. Sans doute un tour de M. Panado.
M. Panado est le troisième personnage mythique du roman, terrifiant et sorti tout droit de l’imaginaire des adolescents, « produit inquiétant de la pénombre, il était issu du faux jour, de rumeurs vagues, de souvenirs confus et de nécessités poétiques ». Ainsi la peur et l’angoisse existentielle sont personnifiées, comme pour mieux les conjurer, par cet « absurde génie de la vie ».
L’humour qui caractérise l’œuvre de Vialatte est partout dans le roman. Ainsi dans la description des personnages : « Monsieur Forestier, notre professeur d’Allemand, était du style pompeux, mais jovialement lugubre, avec une barbe de monarque de jeu de cartes, une formidable voix de basse, et l’air du veuf qui remercie sur la tombe ». L’humour adoucit la très grande mélancolie qui en partage le règne dans ce roman délicat et baroque.
Françoise Oliva
Beau, intelligent et malicieux
Un départ un peu difficile et puis impossible de le lâcher. Une langue puissante et vibrante, toute en finesse. J'ai été complétement happée par la quête de Sadima dans la compréhension de ce château, percer le mystère de lord Handerson.
Loin de la pudeur des romans jeunesse ; cependant le charnel, les découvertes sont tout en dentelle, rien de cru tout en suggestion et sensation. C'est beau. Sadima et sa magie n'ont pas froid aux yeux ; réflexions sur les femmes, la classe sociale sont distillées avec intelligence.
Beaucoup d'humour aussi, une complicité lecteur auteur qui fonctionne parfaitement. Succès mérité pour ce roman qui place définitivement son autrice haut dans le game des autrices contemporaines !
A partir de 13 ans.
Sonia Vocale
Récit personnel sur l'immigration
Après avoir fui son pays, l'auteur nous raconte son arrivée en France, son combat pour apprendre la langue, pour manger à sa faim ; son combat pour enfouir ses souvenirs, heureux ou malheureux.
Mahmud Nasimi, c'est aussi et avant tout, un poète à la plume incroyablement optimiste.
Une leçon de vie magnifique.
Mélanie Lesourd
Féroce et drôle
Complétement enthousiasmée par Kérozene ! Moins dense que son premier roman, on y retrouve une plume mordante, fluide et précise.
Un petit côté absurde, qui au départ peu faire sourire mais vire au glauque grinçant. Roman choral de personnages et de mal de vivre aussi divers les uns que les autres.
Ca se mêle et s'entremêle et puis... C'est tout ! Une autrice à suivre assurément !
Sonia Vocale
Les médiathécaires vous conseillent
Une enquête sur fond de confinement
Très perturbant ce roman très ancré dans notre quotidien. Écrit à 4 mains pendant le confinement par le frère et la sœur, c'est une réussite.
Le confinement (puis le déconfinement), les masques, les gestes barrières, l'école à la maison tout y est. Mais ce n'est pas du tout le cœur du roman. Une enquête sur les docks entre drogues et trafiques à la sauce Murail. Et la cuisine chez les Murail est toujours savoureuse.
Intrigue bien menée, suspense et humour. Personnages attachants et bien construits. On attends la suite ! (À partir de 10/12 ans).
Sonia Vocale
Portrait d'une pension de famille bohème et chic que l'auteur a bien connu dans les années 70, "Le Home Pasteur", au 57 rue de Babylone, Paris 7e.
En 1974, l'auteur quitte Saumur où son père était grand écuyer et s'installe à Paris. Elle fera sa terminale au lycée Victor Duruy, public et mixte où elle rencontre Pia Muller, qui deviendra sa meilleure amie. Elle lui dédie ce livre.
Un roman prenant ; pleins d'humour où l'on découvrira beaucoup d'artistes vivants à demeure : Alain Cuny, Paul Gégauff, futur scénariste de Claude Chabrol...
Pascale Joseph
Périple placé sous le signe de l'imagination et de l'aventure.
Un univers follement romanesque.
Aventure, voyage, piraterie, combats, action, infiltration, complots, quête, magie, humour ...
Un mélange qui plaira aussi bien aux adolescents qu'aux adultes.
Hâte de lire le tome 2.
Dalila Mison
À tous les amoureux de la BD BlackSad, je vous conseille de vous plonger dans cette oeuvre illustrée par le même dessinateur Juanjo Guarnido.
En pleine période coloniale espagnole, les marquis à la conquête de l'Amérique n'ont qu'à bien se tenir face au plus malin des vaut-rien. Diableries, farces, sorcelleries, tromperies, tout est bon pour usurper la noblesse et lui faire perdre la tête. Ils voulaient l'Eldorado ? Ils ne vont pas être déçus...
Des dessins hilarants et magnifiques.
Coup de coeur BD.
Mélanie Lesourd
Atomic film
Dès 1951, dans le Névada des essais nucléaires ont lieu. Imaginez leurs impacts sur le monde vivant !
Le tournage du film "Le Conquérant" avec John Wayne et Susan Hayward dans ce désert va virer au dramatique dans les années à venir et provoquer de nombreux décès dans l'équipe.
Roman prenant sur un sujet qui fait toujours polémique.
Pascale Joseph
Les médiathécaires vous conseillent
La réparation du monde
A partir de documents familiaux, l'auteur s'est penché sur l'histoire des Volksdeutsche (allemands ethniques), envoyés aux confins de l'Empire austro-hongrois par l'impératrice Marie-Thérèse (1717-1780), ancienne Transylvanie, afin de coloniser les terres slaves, roumaines, russes, etc. Une flamboyante épopée à travers le destin d'une famille, les Kempf. Elle commence avec Georg en 1770 et se poursuit avec les tribulations de son descendant homonyme dont la famille s'est installée depuis des générations en Slavonie (Croatie actuelle). Enrôlé dans la Waffen SS, à l'instigation de son père, il se retrouve dans le sud de la Pologne démantelée, entre 1943-1944, à proximité des camps d'extermination.
Une fresque historique grandiose !
Pascale Joseph
Plus drôle que toi !
Mon truc, c'est de faire rire les gens.
Je ne connais rien de plus satisfaisant - à part peut-être manger du chocolat. Ce que je vais vous raconter ici, c'est comment ma vie, cette accumulation de petits désastres et de grosses bourdes, a pris un tour inattendu le jour du spectacle du lycée, quand j'ai découvert que cette bombe atomique de Leo Jackson partage ma passion pour le stand-up. Enfin, on la partagerait si on était amis.
Une comédie feel-good irrésistible, une héroïne pétillante et grande gueule en proie aux turpitudes de l'adolescence.
Sonia Vocale
Entre toutes les mères
Un roman qui m'a peinée et horrifié. Il dissèque les angoisses d'une relation mère/fille. Une histoire remarquable, tendre et brutale, sombre et lumineuse, mais si sincère.
Ce premier livre est une réussite. Coup de cœur.
Dalila Mison
Combattre les discriminations
Un très bon documentaire jeunesse pour comprendre ce qu’est une discrimination, ce qui est différent d’un conflit, son origine, les différents critères reconnus par la loi…très bien documenté et clair.
Isabelle Tramoni
Trois enfants, trois destins
Trois enfants, Nina Beau, Etienne Beaulieu et Adrien Bobin se rencontrent lors de leur entrée en CM2. Ils ne vont plus se quitter.
2017. Seule Nina est restée. Que s'est-il passé ? Passé et présent se racontent. Sensible, prenant, se dévore malgré ses 663 pages.
Pascale Joseph
Les médiathécaires vous conseillent
En partance, une danse
Les petites conférences organisées à Montreuil par Gilberte Tsaï et publiées par les éditions Bayard s'adressent aux enfants à partir de dix ans ainsi que leurs accompagnateurs. Elles ont une lointaine inspiration, celle des émissions données par Walter Benjamin pour la radio allemande entre 1929 et 1932 et intitulées Lumières pour enfants. Jean-Luc Nancy en a donné quelques-unes, parmi lesquelles Partir - Le départ.
La petite conférence s'ouvre sur le partage d'une même racine, celle du partage justement. De la part à la partition en passant par la partie et la séparation, mots qui relèvent tous de la même constellation étymologique, s'impose l'idée d'une division fondamentale. Partir divise déjà en distinguant l'endroit d'où l'on part (qui est familier) de celui où l'on va (qui peut être l'étranger). Mais partir c'est toujours se diviser aussi au sens où une part de soi-même reste ici, même quand on est parti quelque part ailleurs. La division induit alors une suspension de l'évidence puisque si partir est évident, ne l'est pas le fait d'arriver. Arrivons-nous vraiment, autrement dit en avons-nous fini avec le départ une fois arrivé ? Un proverbe dit : partir c'est mourir un peu. Mais mourir est-ce aller quelque part ?
La mort est un départ insistent les religions mais sa part insupportable consiste justement à ce qu'elle ne soit en rien une arrivée et, partant, en aucun cas un départ. Ce qui est sûr en revanche est qu'il y a une partance qui nomme le fait d'être sur le départ sans partir vraiment malgré tous les attachements, un élan vital, un désir de mouvement primordial qui n'a pas de fin en ne servant à rien. Par exemple la danse. Aux enfants qui interrogent le philosophe sur l'entêtante question de l'utilité, Jean-Luc Nancy leur répond en concluant son propos ainsi : « Danser ne sert à rien du tout, mais tous les peuples humains ont toujours dansé et dansent toujours. Je dirais, pour boucler élégamment, que danser c'est toujours partir un peu ».
Saad Chakali
Sous terre
Mathieu Burniat nous propose ici une aventure aussi ludique qu'enrichissante, au coeur du vivant et de la Terre. Au travers d'une trame narrative accrocheuse, il déroule un grand nombre d'informations scientifiques.
Une BD jeunesse qui permet d'éveiller les consciences à travers l'apprentissage et la vulgarisation scientifique.
Des illustrations soignées et colorées pour couronner le tout.
À lire !
Justine Cathala
Premier roman réussi
Dans ce premier roman très réussi, on trouve l'esprit de famille et de tribu.
On s'attache à chaque personnage par le côté chorale du récit, comme plongé dans un moment de vie quotidienne de cette famille atypique. Un univers bien amené, c'est riche en sujet de société mais sans lourdeur et mièvrerie. Si certaines situations sont parfois improbables, les personnages, je trouve, sont très crédibles. À lire.
Sonia Vocale
Le vallon des lucioles
1937, Kentucky, 2 journalistes, Clay Havens et Ulys Massey, sont envoyés dans le cadre du New Deal pour soutenir les plus démunis. Chargés de faire un rapport et de prendre des photos, ils vont rencontrer Jubilee et son frère Lenny, frère et soeur à la peau bleue vivant dans le vallon des Lucioles, coupés des habitants de Chance, en butte à leur hostilité.
Beau roman d'amour sur la nature, sur la vie. Un hymne à la tolérance.
Pascale Joseph
Doucement renaît le jour
Un récit alternant passé et présent ce roman traite de secret de famille, d'handicap, de tolérance et d'acceptation de soi.
Un roman émouvant, plein de bons sentiments, beaucoup de messages.
Dalila Mison
Blanc autour
Un dessin doux avec une gravité des propos.
C'est bon de rappeler de temps à autre que l'école est une chance et peut être un luxe.
Dalila Mison
Les médiathécaires vous conseillent
Scarlett et Novak
Un thriller haletant qui dresse les contours d'un monde de demain ultra connecté, où un objet est devenu une partie de nous-même.
Joyeusement mené, finement induit et poétiquement conclu.
Damasio s'adresse ici aux jeunes générations.
Justine et Eleonore
Des dessins d'une puissance littéraire poignante
Dans cette première œuvre, la mangaka Waka HIRAKO aborde avec justesse et sincérité le thème du suicide.
La protagoniste principale, Tomoyo, apprend aux informations la mort de son amie Mariko. Bouleversée, la jeune femme va passer par toutes les étapes du deuil : colère, euphorie, tristesse. Dans sa détresse, elle s'enfuit avec les cendres de son amie pour vivre un roadtrip désespéré, mais aussi très drôle...!
A découvrir sans aucune hésitation.
Mélanie
Un père déchu
Max Temple, éminent professeur en psychologie et ardent démystificateur des théories conspirationistes, meurt. Retrouvailles de sa veuve et de ses trois enfants adultes à Faro, au Portugal.
Non-dits, mystères vont se dévoiler sur cette famille pas si parfaite !
Pascale
Une époque formidable
Un premier roman de Kiley Reid surprenant.
Les situations décrites sont malheureusement encore tout à fait actuelles.
Une société médiatisée et numérisée du paraître, qui conduit certains à se perdre et à ne plus s'accepter pour ce qu'ils sont.
Dalila
Les voleurs de curiosités
Londres 1863, Une héroïne atypique, sorte de détective privée, veuve de 30 ans soi-disant, Bridie Devine, recherche Chritabel Berwick, héritière de 6 ans d'un baronnet, enlevée.
Entre faits réels, surnaturels, fantastisques. Roman d'atmosphère. Bas-fonds londoniens très biens décrits.
Pascale
Si tu avances
Un récit court d'une fille qui va survivre à son premier chagrin d'amour, en s'appropriant un projet pour lequel elle n'avait pas envie au départ.
On parle de désir de survie et envie d'en finir.
Un roman léger avec un thème pertinent sur la reconstruction intérieure.
Dalila
Les médiathécaires vous conseillent
Un jour, vous vous réveillez et voilà ce qui vous arrive : vous êtes devenu un cancrelat et vous qui vous croyiez humain devez faire place nette désormais. Est-ce que cela rappelle quelque chose à quelqu'un ? Un autre jour, vous vous réveillez ainsi : on vient vous chercher pour vous annoncer que vous êtes un coupable potentiel, présumé innocent mais présumé du contraire aussi bien.
De La Métamorphose au Procès, il y a une semblable ligne de faille (sans coup férir vous découvrez que vous êtes passé de l'autre côté non du miroir mais du rebut) qui se double d'une ligne de fuite (devenir comme l'animal imperceptible permet d'échapper aux captures arbitraires du droit, inclusives autant qu'exclusives).
Le Procès est peut-être un roman inachevé, il est plus sûrement une machine littéraire à produire un sens illimité. Si Franz Kafka a moins été un prophète de l'apocalypse qu'un sismographe du présent dont l'avenir dure longtemps, c'est parce qu'il a su mettre en récit deux choses. D'un côté, le formalisme juridique a pour centre aveugle et irradiant le vide nécessaire à l'établissement d'un système de pénalités et de culpabilités plutôt que de justice et de vérité. De l'autre, le procès comme scène privilégiée du théâtre judiciaire est lui-même l'objet ressassé d'un procès débouchant sur le châtiment d'une sanction qui est une honte avec laquelle nous n'avons pas fini de compter.
Le Procès de Kafka est une machine de guerre qui distingue la finitude du droit pour y soustraire la justice en tant qu'elle relève de l'infini. Pourquoi, alors, Joseph K. désire-t-il tant le procès qui ne viendra jamais ? Pourquoi meurt-il "comme un chien" quand deux nervis l'abandonnent à la fin dans un terrain vague comme un déchet ? Pourquoi, sinon pour la honte, pour dire la honte et l'écrire, encore et encore ?
La honte est moins ce dont il faut se libérer que ce qu'il faut libérer. La vergogne était la vertu nécessaire à la justice à l'époque de l'antiquité et le christianisme qui l'a remplacée lui a substitué la culpabilité. Qu'est-ce que cela a donné ? Un monde où la honte a disparu produit les camps et ses survivants qui en écrivent le désastre nous instruisent de la "honte d'être un homme".
De Franz Kafka à Primo Levi, il y a une ligne de vie qui est un credo diagonal que le fameux apologue de la Loi peut résumer ainsi : la loi a toujours été ouverte pour vous et sa porte se referme devant vous qui n'avez jamais osé la franchir.
Saad Chakali
Trackés
Yannick Diaz, journaliste, est retrouvé assassiné dans son appartement. Son PC est volé car il était sur une grosse affaire. Sa fille Julia, 20 ans, récemment apparue dans son existence qu'il ignorait, va enquêter, aidée de Florence Roche, flic de la DGSI.
Style fluide, visuel. Les sentiments des différents protagonistes sont bien dépeints. Une intrigue palpitante sur notre société actuelle, la politique, les réseaux sociaux et leurs dérives. Un roman à dévorer !
Pascale Joseph
Vers le soleil
Un quatrième roman tout aussi réussi que les précédents.
Une jolie histoire, tragique et dramatique.
Laissez vous porter.
Dalila Mison
Tout le bonheur du monde
Saga familiale. David et Marilyn Sorenson ont 4 filles : Wendy, veuve, Violet , avocate et mère de 2 enfants, Liza, professeur de fac en littérature et Grace.
Le fils abandonné de Violet, Jonah, débarque dans leur vie 15 ans après. Des allers-retours dans le passé des différents membres de cette famille nous font découvrir leurs vies pas si simples.
Roman mené avec brio, fluide même si très dense avec ses 700 pages. Roman très visuel, profond, drôle, touchant, inspiré de la propre histoire familiale de l'auteure.
Pascale Joseph
Une intrigue bien écrite et bien menée, un bon rythme.
Une bonne lecture pour les ados avec une touche de fantastique et d'horreur.
Dalila Mison
Paris des années 1830
Automne 1830, l'inspecteur Valentin Verne, affecté aux moeurs, transféré à la Sûreté, se voit confier une enquête de soi-disant suicide d'un fils de nouveau riche, commerçant en gros d'épices et drogues pharmaceutiques.
Le héros, féru d'ésotérisme et de nouvelles avancées technologiques surtout en médecine légale va plonger dans un monde où le mystère et l'irrationnel est de mise.
Roman bien documenté. Une plongée dans les bas-fonds de Paris et de la Haute. Personnage mystérieux à découvrir au fil de l'enquête. Très prenant. On s'y croirait.
Pascale Joseph
Les conseils de vos médiathécaires
Premier roman policier de Lemaitre
Mathilde, la soixantaine ordinaire, est en fait une tueuse téléguidée par une organisation depuis très longtemps. Personne ne la soupçonne. Sauf que mamie commence à dérailler. Humour et enquête policière.
Roman prenant, désopilant !
Pascale Joseph
Entre toutes les mères
Un roman qui m'a peinée et horrifié. Il dissèque les angoisses d'une relation mère/fille.
Ce premier livre est une réussite. Coup de cœur.
Dalila Mison
Une fable fine et moderne
Quand on pense au fameux goupil, on se souvient du personnage rusé, souvent égoïste, vicieux.
Dans cette BD directement inspirée du Roman de Renart, notre anti-héros devient le seul protagoniste droit dans ses bottes, certes un peu manipulateur, mais ceci pour mieux contrer le personnage de la Mort, qui a décidé de décimer tout le monde.
Merlin, à première vue preux chevalier, n'arrive à rien et est mis hors jeu dès le début de l'histoire.
Une fable moderne, fine. Sous-jacents au texte, les thèmes tels que la religion, la superstition, les apparences, la vaillance, sont traités avec ironie et font sourire.
A tous les amoureux du second degré : je recommande.
Mélanie Lesourd
Yahho Japon
Huit femmes japonaises passionnées, huit histoires...Un documentaire passionnant.
Isabelle Tramoni
Ce qu'il faut de nuit
Prix Stanislas 2020, prix Femina des lycéens 2020, prix Libr'à nous 2021 et lauréat du prix des lecteurs des bibliothèques de la ville de Paris 2021.
C'est l'histoire d'un père qui élève seul ses deux fils .
Une histoire de famille, de convictions, de fragiles relations père-fils, d'amour fraternel qui ne s'exprime pas facilement.
Un magnifique premier roman.
Eléonore Garcia
Les conseils de vos médiathécaires
L'enquête se base sur une histoire réelle des Samis ; ce peuple divisé par une frontière entre la Russie et la Norvège. La police des rennes évolue dans des
paysages somptueux, peuplés de douaniers suspects, de petits trafiquants et de quelques éleveurs nostalgiques.
Des personnages attachants, de fortes personnalités et une solide documentation de l'auteur.
Eleonore Garcia
Olivier Truc vous présente son ouvrage "Les chiens de Pasvik" aux éditions Métailié :
Un roman sans concession sur la transidentité mais aussi l'homophobie et la transphobie.
Il y a beaucoup de très belles choses, très bien traitées.
Coup de cœur.
Dalila Mison
Londres 1947, en ruine. Charlie Grice, dit Gricey, comédien de théâtre, vient de mourir. Sa veuve, Joan, chef costumière du théâtre Beaumont, pense le retrouver dans sa doublure. Leur fille Vera, jeune comédienne, tente aussi de surmonter ce deuil.
Livre prenant, oscillant entre folie des personnages et réalisme de l'après-guerre.
Pascale Joseph
En pleine vallée vosgienne, l'auteur nous embarque dans le quotidien de 5 amis révolutionnaires dans l'âme, un peu à la façon des "P'tits mouchoirs".
Génération écolo des années 70, la bande de potes lutte de concert avec le village contre l'extraction d'uranium dans leur vallée.
Philippe Lutz traite avec justesse et ironie cette génération hippie. Les personnages sont des antihéros, passionnés, riches de charmes et de défauts.
Amour, amitié, trahisons, soirées arrosées de philosophie...
Un vrai bon moment de lecture, je recommande !
Mélanie Lesourd
Yamina et Brahim Taleb, originaires de l'Algérie colonisée et nés à la fin des années 40, vivent de nos jours à Aubervilliers. Leur progéniture, Hannah, Imane, Malika et Omar, appartient à la seconde génération issue de l'immigration.
Dans cette famille, conserver l'honneur est essentiel, les parents ont fait tellement de sacrifices pour s'intégrer en France ; leur crédo : la discrétion.
Ils nous confient tous les six leurs histoires, l'héritage d'un passé familial fragmenté et encombrant, mais nécessaire à digérer pour se sentir soi-même et à sa juste place dans la société.
Céline Nourbakhch
Les conseils de vos médiathécaires
Un road trip émouvant
Un superbe roman qui m'a chamboulé autant qu'il m'a fait rire. Allez sillonner les État Unis à bord du Yageur en compagnie de personnages inoubliables. Ce livre est une ode à la vie, à la famille, à la liberté à la découverte de soi à la résilience. Tout y est abordé avec justesse, délicatesse et humour. Un vrai coup de cœur !
Isabelle Tramoni
Un carnet voyageur
Un café, tenu par Monica sur Fulham Road à Londres, un carnet vert "oublié" sur un coin de table par un client. C'est parti pour un extraordinaire voyage de ce livret. En passant de mains en mains, il va recueillir les confidences de ceux et celles qui le trouveront.
Un très bon moment avec des scènes nostalgiques, pathétiques, émouvantes ou amusantes, voire hilarantes et qui ne laissent pas indifférent. Une lecture qui fait du bien.
Pascale Joseph
La différence comme une force !
Sunny Nwazue, née à New-York, rejoint à 9 ans la terre de ses ancêtres, le Nigéria.
D’une mère médecin et d’un père avocat, l’héroïne et ses deux frères appartiennent à l’ethnie Ibo, pratiquant la spiritualité traditionnelle.
Cette adolescente se distingue également car elle est femme, albinos et passionnée de foot. Considérée comme ni noire, ni blanche, elle se sent juste invisible. Rejetée par de nombreux camarades de classe, elle trouve l’amitié grâce à Orlu, son voisin, et Chichi; ils forment un trio inséparable doté de pouvoirs extraordinaires. En effet ses jeunes, comme tout « Léopard », disposent de dons surnaturels hérités de leurs aïeux.
Sunny ne pensait pas qu’en acceptant son « juju » (magie) elle devrait maîtriser ses pouvoirs afin de sauver le monde…
Cette fantasy a le mérite d’être originale. Elle nous fait voyager au Nigéria à travers sa culture et mélange les traditions et les codes de la littérature imaginaire.
Les règles imposées par cet univers parallèle des Léopards place la connaissance au centre de tout, d’où l’omniprésence des livres, critiquant les valeurs modernes du prestige et de l’argent.
Le roman souligne l’acceptation et la valorisation de la différence, considérées comme une force et un pouvoir. Cette quête initiatique de l’identité trouve sa force dans les racines familiales.
On vous recommande fortement cette lecture à partir de 13ans. Sachez que le 2ème tome, Akata Warrior, est déjà disponible.
Céline Nourbakhch et Dalila Mison
À corps perdus
Les seules sont des corps, contraints, confinés, violentés. Ceux de femmes qui ont perdu leur mère. Ceux de femmes dans un paysage froid, enneigé et brumeux, concentrationnaire. Les univers se superposent, s’entremêlent, le fils narratif est sinueux, l’écriture heurtée, déstructurée, comme ces corps dont il est question tout au long de ce recueil de poèmes.
La disparition de la mère était déjà le sujet du précédent recueil de Claire Genoux, Orpheline. "J’écris pour que tu sois moins morte. Je me fais redire dans la tête lentement ton histoire". Les seules poursuivent leur deuil, celui de la mère, de l’enfance. "On est seules / avec le corps de / Mère / longtemps seules / et les pieds froids / (c’est le jour des / marais) /- ils ne savent pas / qu’on l’a vue / qu’elle nous a / regardée".
Et c’est le corps des vivants qui en est meurtri. "Vous qui savez /ce qui dans les corps se / raye / vient buter / quand on enlève / une mère / avec elle des dimensions/d’enfances/ce qui est ravalé / dans les longs / caissons de Nuit quand / on nous plante des chemins / faux".
De la tombe de la mère, les seules se retrouvent dans un lieu de maltraitance qui fait référence aux camps de concentration. Les corps souffrent des violences infligées par des hommes toujours nommés « ils ». "Ils nous brisent / comme ça / les cils nous lancent / à la tête des objets /coupants / on dirait que des soleils ont été / arrachés / nous culbutons".
Dans la deuxième partie du recueil, le corps est moins un objet de souffrance que de jouissance. Les hommes reviennent au singulier. Les poèmes prennent une dimension érotique, les images y sont parfois très crues. "Il l’aimera / sans l’enfant il dit / des jours et / des jours dans / toutes les positions / giclera en elle des / trucs / des poudres des jus / secs".
Claire Genoux le sait : la poésie dit l’indicible.
Françoise Oliva
Geste fraternel
Un thriller psychologique à la fois tendre et grinçant, qui parlera aux frères et aux sœurs. Haine, amour, complicité, jalousie, passion... ce roman graphique imaginé par Sylvie Roge fait l'éloge de ces liens familiaux qui parfois nous dépassent.
Un premier roman tout simplement réussi.
Mélanie Lesourd
Don DeLillo, éclaireur du contemporain
Don DeLillo croit encore que le roman américain est puissant à expérimenter l'impuissance à comprendre le sens du contemporain.
Dans Joueurs (1977) et Les Noms (1982), Cosmopolis (2003) adapté au cinéma par David Cronenberg et L'Homme qui tombe (2007), le terrorisme délivre aux forceps la vérité apocalyptique de la finance internationale et du consumérisme. Dans Americana (1971), Libra (1988) et Mao II (1991), l'opacité spectaculaire des événements historiques offre à l'Amérique le dernier refuge spectral de ses restes mythiques. Dans Zéro K (2016), les progrès scientifiques sont la religion hyper-moderne des vieux croyants en l'immortalité. Dans Great Jones Street (1973), la pop culture est l'esprit ludique et démonique d'une marchandisation intégrale de la culture. Dans Body Art (2001) et Point Oméga (2010), l'art contemporain est un désert où s'abîment la vérité des corps et le sens des images. Avec Bruit de fond (1985) et Outremonde (1997), le contemporain est une société globale du risque intégral, fièvre médiatique qui se répand tel un gaz toxique et production disséminée de déchets nucléaires telles des armes de destruction lente et massive.
Don DeLillo nous sauve du prophétisme réactionnaire de Michel Houellebecq. Avec lui, la postmodernité est la parodie carnavalesque des promesses d'émancipation de la modernité et l'humanité augmentée est une comédie absurde dont la farce bruyante a pour envers la tragédie silencieuse d'une humanité diminuée.
Comme l'aurait dit Bernard Stiegler, la bêtise d'Épiméthée est l'ombre portée des prodiges titanesques de son jumeau Prométhée. La littérature est ainsi une pharmacologie pour qui n'ignore jamais que les pharmaciens d'aujourd'hui sont pour le plus grand nombre des dealers de masse.
C'est la grande image donnée par l'une des neuf nouvelles du recueil L'Ange Esmeralda (2011) : minuit est l'heure de l'idiot quand la bêtise s'est couchée. Minuit est l'heure de l'ange qui apparaît en indiquant à ses témoins la possibilité imperceptible de suspendre les ivresses addictives d'une volonté saturée.
Saad Chakali
Born to be a King
Si T. H. White est un contemporain de J.R.R. Tolkien en ayant des affinités importantes, dans la réappropriation du genre de la fantasy par exemple, ils ont une vision totalement différente du mythe du Roi Arthur. Tolkien, même s’il a tenté une réécriture poétique du cycle (l’œuvre inachevée est présente dans les collections de la Médiathèque), n’a pas cessé d’en prendre le contre-pied. Pour sa part, T. H. White s’est beaucoup inspiré de l’œuvre de Thomas Malory, premier écrivain à avoir écrit une histoire quasi complète de la vie d’Arthur à partir d’écrits plus anciens. Mais il manquait toujours une partie de l’histoire du Roi mythique.
Et c’est donc T.H. White qui se propose de compléter cette lacune dans la première partie de son cycle arthurien avec un livre adapté en 1963 en film d’animation par Walt Disney. Ce premier volume propose un récit de la jeunesse arthurienne ainsi que son instruction auprès de Merlin, son conseiller de toujours. La Verrue est un jeune garçon élevé tant bien que mal auprès d'Auctor et Keu, ses parents d’adoption. Arrive un drôle de bonhomme venant d’une autre époque (du futur semble-t-il), magicien à ses heures, qui accepte de prendre en charge son éducation à l'encontre de la vision belliciste prônée par l'Angleterre à cette époque. La Verrue va vivre des aventures magiques et être transformé en plusieurs animaux (poisson, oiseaux, ...) afin d’expérimenter des situations le préparant au destin qui l’attend.
Alexia Roux
Philosophie contemporaine
Cinq livres, cinq philosophes, sur les conseils de vos médiathécaires.
L’égalité fait des scènes
Avec le concept de scène, le philosophe Jacques Rancière réfute la subordination des moyens à la logique prescriptive des fins au nom du postulat radical de l'égalité des intelligences. Le dispositif philosophique de la scène constitue l'enjeu d'un formidable entretien mené en compagnie du philosophe tunisien Adnen Jdey.
On y voit qu'à chaque fois la scène se joue et se rejoue dans la circonstance pratique des rencontres aléatoires et imprévisibles, en art comme en politique. C'est ainsi qu'elle peut vérifier, à partir de l'écart du sensible et des mots pour en parler, le conflit des positions contradictoires et des raisons antagoniques.
La scène nomme ainsi le site d'exposition de toutes les disjonctions, de toutes les divisions ; c'est un lieu exemplaire du conflit des raisons et des interprétations qui se double de celui de la mise en rapport de ce qui se présente sans rapport. La double vérité assertive et conflictuelle de la scène offre alors l'épreuve réitérée d'une mésentente et d'une querelle qui n'a pas d'autre origine et objet que ses expressions circonstanciées. La scène est un théâtre du dissensus permettant de voir l'égalité s'exercer avec les sujets désireux, comme les ouvriers, de consacrer leur temps à autre chose qu'aux tâches que leur statut social leur commande d'effectuer.
Impropriété (la scène n'appartient à personne) et démocratie (n'importe qui peut en être l'acteur) représentent les balises du postulat égalitaire et chaque scène a pour tâche d'en vérifier la portée, esthétique et politique, dont la pensée est l'identique de la sensibilité.
Les trois boucles de l'humanité
Un nouveau millénaire invite à en produire le concept : pour Michel Serres, hominescence est ce qui permet de concevoir les nouveaux défis que se pose à elle-même l'humanité depuis qu'elle sait qu'elle est mortelle. Le terme d'hominescence repose sur le suffixe « escence » qui est une désinence inchoative, comme l'adolescence ou la sénescence. C'est ainsi que le philosophe, décédé le 1er juin 2019, invite à repenser l'humanité dans la perspective d'un renouvellement de ses processus évolutifs qui sont à chaque fois des écarts critiques.
L'hominescence indique ainsi la relance dynamique de l'hominisation à partir des trois boucles suivantes : la première concerne le champ technique avec la question de l'extériorisation prothétique ; la deuxième indexe le domaine de la réalité objective de l'environnement naturel sur la production globale d'un habitat humain ; la troisième insiste avec l'externalisation des facultés comme la mémoire et la voix sur le façonnage artificiel du corps humain. Avec la première boucle d'hominescence, nous devenons responsables de la création de nouveaux mondes (à l'aide des « objets-monde » comme la bombe atomique et le déchiffrement du génome). Avec la deuxième, nous devenons responsables de la Terre (le « Biosom »). Avec la troisième, nous prenons la place de Dieu en devenant responsables de la possibilité même que l'humanité disparaisse.
Michel Serres peut ainsi caractériser le genre humain comme « totipotent », autrement dit ouvert à tous les possibles, les meilleurs comme les pires. La tâche qui vient consiste alors à refonder l'humanisme classique à partir d'un nouveau contrat, un « contrat naturel » qui inclut tout le vivant dans un but de pacification intégrale du monde.
Renouveler le regard, changer de place
La parallaxe, qu'est-ce que c'est ? Le terme qui signifie un déplacement ou une altération, un changement de place ou un mouvement alternatif, trouve son origine étymologique dans le grec ancien : para pour à côté, allo pour autre, axis pour axe ou essieu. Autrement dit, la parallaxe invite à changer de point de vue afin d'apprécier les choses sous un jour neuf, précisément à faire l'expérience d'un changement de place à partir d'un renouvellement du regard et vice-versa.
La parallaxe qualifie sur un plan scientifique l’incidence du changement de position de l’observateur sur l’observation d’un objet particulier. Qui ne se souvient pas avoir été cet enfant qui s'amusait à observer les aiguilles des horloges indiquer une heure toujours différente dès lors que variait la position de l'observation adoptée ?
D'origine slovène, Slavoj Žižek est le grand philosophe contemporain qui a tiré de la parallaxe un concept puissant. C'est ainsi qu'il peut faire d'une pierre deux coups : d'une part en renouvelant la pensée dialectique de Hegel (le mouvement du particulier à l’universel oblige à passer de l’universel abstrait à l’universel concret) ; d'autre part en actualisant le matérialisme de Marx (la valeur capitaliste qui se divise en valeur d’usage et en valeur d’échange repose sur la contradiction des forces productives et des rapports de production). Une double opération théorique qui, pratiquement, ne peut s'accomplir qu'à la lumière de l'éthique de la psychanalyse conçue par Jacques Lacan (le réel nomme l’écart disjonctif propre au symbolique dont la non-clôture détermine la multiplicité conflictuelle des points de vue).
Dire d'un écart qu'il est parallactique ne sert pas tant à marquer la différence entre deux termes hétérogènes qu'à indiquer la présence décisive d'un antagonisme dans tout objet quand il est visé par le regard d'un sujet. La parallaxe conceptualisée par Slavoj Žižek lui permet alors de voir le réel comme la tache aveugle du symbolique, le vide qui empêche sa clôture. La différence est donc réelle non pas quand elle découle du rapport existant entre deux termes mais quand elle caractérise, à partir d'une seule chose considérée, la capacité de pouvoir changer de point de vue sur elle.
La non-coïncidence de l’objet avec lui-même montre ainsi que l’antagonisme se trouve toujours déjà dans l’œil de l’observateur. C'est cela le réel qui n'est rien d'autre qu'un écart ressaisi en sa qualité parallactique. La différence est même la plus pure quand elle introduit la différence dans l’identique, ou bien quand elle la réintroduit si la différence a été refoulée au nom de l'obsession paranoïaque de l'identité, en rappelant à l'observateur la barre oblique qui en constitue radicalement la subjectivité.
Le secret exposé
En dix leçons intempestives, le philosophe italien fait sortir de ses gonds le contemporain en le rappelant à sa division originaire, pour laquelle l'actuel est obscur et lumineux l'inactuel. Penser l'époque est une fête qui invite à ne pas coïncider avec elle qui a la passion pour l'apocalypse.
Venise est un modèle de cité larvaire dont la rumeur est une langue morte, de moins en moins déchiffrable. Le K de Kafka est le sujet d'un procès qui ouvre le droit sur un vide consubstantiel auquel répond le désir de celui qui intente un procès calomnieux contre lui-même. Les progrès de la biométrie dissocient l'identité de la personne dont le masque est renvoyé aux oubliettes de la culture. La nudité sur laquelle renchérit la pornographie publicitaire est l'exposition paradoxale d'un mystère renforcé, impossible à percer, inappropriable. La profanation ne s'accomplit pas jusqu'au bout tant qu'elle ne se comprend pas comme une restitution radicale à l'usage commun. La fête comme Shabbat est le moment de déposition de l'utile au nom des usages du désœuvrement.
Désœuvrement, le concept est important, déterminant pour la pensée d'Agamben. Le temps qui reste est, avec la suspension des opérations, une émancipation de leur économie. Le temps qui reste est à la gloire des désœuvrés qui substituent déjà au travail subordonné un libre usage de soi et du monde.
Echapper à l'horreur
« L'horreur, l'horreur » : c'est la fin de la fameuse nouvelle de Joseph Conrad, Au cœur des ténèbres et nous n'en sommes toujours pas sortis aujourd'hui, loin de là.
L'horreur est à la répétition et, face à l'horrible, merveilleux est l'événement qui en est l'interruption. Si l'horreur est extrême en tant qu'elle est extrêmement prévisible, son interruption est radicale, autrement dit radicalement imprévisible.
Le court traité proposé par Frédéric Neyrat témoigne qu'il n'y a rien de plus urgent pour la philosophie que d'éclaircir la pensée du contemporain depuis la dialectique asymétrique de l'horreur et du merveilleux. C'est ainsi que l'on admettra que l'épuisement des possibles n'est pas un programme ni une fatalité mais ce contre quoi on peut décider de s'élever en choisissant l'impossible - l'impossible rappelant à l'être qu'il est toujours déjà un surgissement d'abîme.
Voilà l'étonnant qu'il nous faut contre toute sidération : qu'il y ait encore des figures de l'impossible, amour et beauté, bien et poème, réveil et folie pour ne pas en finir avec l'exigence infinie de justice.
Les conseils de vos médiathécaires
Un premier roman bouleversant
Été 1965. Shell, 12ans, est un adolescent décalé. Face aux difficultés qu’ils rencontrent, ses parents décident de le placer dans un institut spécialisé.
Il s’enfuit alors de la station-service familiale pour aller faire la guerre, meilleur moyen pour lui de devenir un homme. Lors de sa fugue sur ce plateau perdu de Haute-Provence, il rencontre la jeune Viviane, sa Reine.
Écrit à la première personne ce roman d’apprentissage à l’atmosphère étrange dresse un portrait magnifique de la nature, de la différence et du corps. À mi-chemin entre le récit initiatique et le conte, la prose de Jean-Baptiste Andréa se transforme en poésie et nous fait partager la vision du monde sans filtre d’un enfant pas comme les autres.
Céline Nourbakhch
Echapper à l'horreur
« L'horreur, l'horreur » : c'est la fin de la fameuse nouvelle de Joseph Conrad, Au cœur des ténèbres et nous n'en sommes toujours pas sortis aujourd'hui, loin de là.
L'horreur est à la répétition et, face à l'horrible, merveilleux est l'événement qui en est l'interruption. Si l'horreur est extrême en tant qu'elle est extrêmement prévisible, son interruption est radicale, autrement dit radicalement imprévisible.
Le court traité proposé par Frédéric Neyrat témoigne qu'il n'y a rien de plus urgent pour la philosophie que d'éclaircir la pensée du contemporain depuis la dialectique asymétrique de l'horreur et du merveilleux. C'est ainsi que l'on admettra que l'épuisement des possibles n'est pas un programme ni une fatalité mais ce contre quoi on peut décider de s'élever en choisissant l'impossible - l'impossible rappelant à l'être qu'il est toujours déjà un surgissement d'abîme.
Voilà l'étonnant qu'il nous faut contre toute sidération : qu'il y ait encore des figures de l'impossible, amour et beauté, bien et poème, réveil et folie pour ne pas en finir avec l'exigence infinie de justice.
Saad ChakaliChasse aux sorcières
Voici un très beau roman, à la fois dur et délicat, qui met en scène des femmes se prenant en main, après qu’une violente tempête en mer a décimé tous les hommes du village (Ile de Vardo en Norvège vers 1610).
Ces résistantes, effrontées ou silencieuses, effectuent pour leur survie des tâches « réservées aux hommes ». Tout ce qui n’est pas chrétien est satanique, et celles qui pourraient, par leurs actes et leur pensée, mettre à mal l’ordre établi, la domination masculine et les dogmes de l’église le sont tout autant.
D’une tentative d’émancipation, elles seront les sorcières, maltraitées, torturées, mises à mort.
Un premier roman, féministe, de l’auteure britannique Kiran Millwod Hargrave, qui fait écho au présent et à la diabolisation des preneuses de paroles et décideuses de leur destin.
Françoise Oliva
Très bon cru !
A Boston, une famille est assassinée : le beau-père, la mère et les deux derniers enfants, Lola, 13 ans et Manny, 9 ans. Seule Roxanna, 16 ans, y a réchappé, partie promener leurs deux chiens.
Suivez cette enquête, où le passé douloureux de cette famille, va émerger tout au long de roman. Thriller psychologique à ne pas rater !
Pascale Joseph
Coup de coeur SF
Grand auteur de science-fiction britannique contemporaine, Christopher Priest a frappé un grand coup avec "Le Prestige", ouvrage épistolaire paru en 1995 (en 2001 pour l'édition française). Andrew Borden et Kate Angier tentent de comprendre les rivalités qui ont divisées leurs deux familles par le biais des journaux intimes de leurs grands-parents respectifs. Faut-il prendre tous les écrits au premier degré ?
Jalousie, coups bas et malentendus sont au rende-vous dans un récit qui a été adapté par un autre Christopher (Nolan) au cinéma en 2006 (voir à ce propos l'excellent texte de Priest lui-même sur cette expérience dans son recueil de nouvelles "L'Eté de l'inifini"). Si ce film est peut-être le meilleur du cinéaste, il ne rend pas assez compte de la complexité narrative proposée par le roman.
Alexia Roux
Les conseils de vos médiathécaires
L'ange Bartleby
Bartleby est un copiste noyé dans la grisaille d'une étude notariale de Wall Street. Il est aussi l'énigme qu'indique sans l'épuiser la formule dont il titre sa signature : "Je préfèrerais ne pas".
Pour Herman Melville, Bartleby est l'épuisé en épuisant toute intention et toute volonté dont Achab demeure dans "Moby Dick" la personnification apocalyptique. Bartleby l'impénétrable est surtout l'ange de la littérature nouvelle qui affronte avec la modernité la déchéance de l'antique mandat consistant à raconter des histoires.
L'ange est moins déchu qu'il est celui, messianique, de la déchéance littéraire, quand il s'agit désormais de n'écrire "rien d'autre que sa puissance de ne pas écrire".
Saad Chakali
Un corps de mots
Blessé le 27 mai 1918 à Vailly, Joë Bousquet en est privé de son corps. Dès lors son corps n'est plus que mots. De la blessure est tiré son destin. Il écrira dans Papillon de neige, "la poésie est le salut de ce qu'il y a de plus perdu dans le monde". Dans sa chambre sombre devenue son enveloppe, Joë Bousquet écrira la nuit et recevra le jour les visites de Jean Paulhan, Aragon, Paul Eluard, René Char ou René Nelli. "La connaissance du soir" est un recueil d'amour, de désir, énigmatique aussi avec l'emploi de pronoms personnels impersonnels, de mots murmurés, l'évocation de rumeurs, d'images oniriques.
"Il n'a pas reconnu le pain qu'il mangeait il n'a pas reconnu le bruit d'une porte battant dans le noir
J'ai su que la joie passait tous feux éteints je le lui ai dit
Mais il dormait le souffle égal alors j'ai détourné les yeux J'étais ici
Ne me demandez pas de vous parler de moi"
Françoise Oliva
Coup de coeur
Une saga absolument magique. Un monde post-apocalyptique fantastique, de multiples références à la mythologie qui questionnent notre actualité, une héroïne profondément humaine, qui grandit de livres en livres, et nous inculque des leçons de vie. A découvrir, ados comme adultes : allez-y.
Mélanie Lesourd
Justice indienne
Un premier roman très réussi où l'auteur a beaucoup à dire sur la condition amérindienne européenne à travers son héros Virgil, justicier professionnel, homme de mains payé pour venger avec les poings les criminels locaux. Polar solide, âpre et engagé qui témoigne de la réalité amérindienne dans l'Amérique du XXIe siècle.
Pascale Joseph
Voyage dans le temps
Richard Collier, écrivain et scénariste, se sait condamné à brève échéance par une maladie incurable. Il décide alors de tout plaquer pour consacrer ses derniers jours à voyager au hasard. Il atterrit dans un vieil hôtel au bord du Pacifique. Alors qu’il ne pensait rester que quelques jours dans cet établissement, une vieille photographie va attirer toute son attention. Prise en 1896, c’est le portrait de l’actrice Elise McKenna dont Richard va tomber amoureux. Et par amour, il va faire toutes les recherches nécessaires afin de braver les règles du temps pour rejoindre sa bien-aimée.
Le roman commence par une note du frère du narrateur, Robert Collier, expliquant que le livre a été publié de façon posthume mais surtout que ce dernier n’arrive pas à croire en cette aventure et qu’il espère qu’au moins une personne parmi le lectorat le pourra.
Richard Matheson n’est peut-être par un grand auteur de mélodrame mais il est toujours plaisant de lire ses histoires, ses propositions autour de thèmes majeurs de la Science Fiction. Si dans ce roman il traite de la question du voyage dans le temps, il arrive à déplacer ce thème : pas de machine rutilante mais le déplacement se fait uniquement par la parole et la persuasion. Ce n’est donc plus de la Science Fiction mais du Fantastique et seul le lecteur peut osciller entre croire ou non au voyage de Richard Collier à travers le temps.
L'auteur rend aussi compte de l'importance des bibliothèques publiques dans son ouvrage sans lesquelles son personnage principal n'aurait pas pu trouver les informations capitales sur sa bien-aimée.
Alexia Roux
Un des livres coup de poing qui a marqué mon enfance
Jeff, 13ans, est né avec une fente labio-palatine, plus communément appelée "bec-de-lièvre". Malgré l'amour inconditionnel de son petit frère Bubby et de ses parents, il est rejeté violemment pas ses pairs. En effet cette différence n'est pas du goût de ses cruels camarades. Exclu, tourmenté, l'adolescent dérape...
Un texte bouleversant sur l'enfance et la différence.
A partir de 14ans
Céline Nourbakhch
Témoignage
La démence à corps de Lewy (DCL) est la seconde démence neurodégénérative la plus fréquente après la maladie d'Alzheimer. C'est une maladie complexe qui emprunte certains symptômes à la maladie d'Alzheimer et à la maladie de Parkinson, donc difficile à reconnaître ou à diagnostiquer. La maladie de lewy dont Catherine Laborde est victime, raconte tout en pudeur son combat quotidien contre ce mal qui touche plusieurs milliers de personnes avec émotion mais également humour.
Martine Aviceau
Les classiques de la philosophie grecque
Le « miracle grec » et le courage de la vérité :
On appelle cela le « miracle grec ». La Grèce de l'antiquité est l'un des berceaux de notre civilisation, l'une des sources vives à laquelle s'abreuve notre actualité. Au début du 6ème siècle avant notre ère, le poète et législateur Solon succède à Dracon qui avait imposé à Athènes les premières lois écrites de la cité en instituant, avec l'effacement des dettes, la démocratie. En -399, Socrate boit la ciguë en laissant à ses principaux élèves, Platon et Aristote, l'héritage d'une pensée nouvelle qui s'oppose à la rhétorique : la philosophie.
Les philosophes grecs sont étymologiquement des amis de la sagesse. Et ils ne le sont qu'en posant avec rigueur, persévérance et conviction que l'art de penser juste et de bien parler, autrement dit de vivre heureux, est un enseignement vertueux quand il est indexé à la condition des idées qu'est la vérité qui les soumet à l'épreuve de leur universalité.
Le courage de la vérité, les philosophes grecs de l'antiquité depuis le legs socratique l'ont assumé en concevant les appareils théoriques permettant de penser, parmi les formes de vie existantes, la qualité spécifique d'une espèce particulière : le genre humain. C'est ainsi que la philosophie consiste à organiser les puissances propres de l'humain saisi dans le souci de son humanité. Comment ? En proposant d'orienter l'existence des sujets dans l'expérimentation continuée de la dignité de leur humanité, à partir des concepts cardinaux de justice, de liberté et d'égalité.
Avec Platon, l'animal parlant et pensant qu'est l'être humain l'est pleinement en préférant au marché des opinions concurrentes (doxa) les idées génériques (eidos) qui transcendent les particularités de la vie réelle en l'arrimant à la perfection des abstractions intellectuelles. Avec Aristote, l'être humain est moins une figure de pouvoir, qui ne fait et fait faire que ce qu'il peut faire, qu'il est un sujet de et en puissance, pouvant faire (le bien) comme ne pas faire (le mal). C'est ainsi qu'il peut s'élever à la hauteur de l'idée de justice (dikè) comme conduite prudente (phronesis) et vertueuse (arété). D'un côté en ajointant dans la sphère interpersonnelle la justice à l'amitié (philia). De l'autre en articulant dans la cité (polis) la justice avec la vergogne (aidôs).
Les civilisations romaine et chrétienne, musulmane aussi dans une certaine mesure (grâce à Averroès), y ont trouvé des bases puissantes qui constituent encore aujourd'hui le socle de notre époque. Découvrir ou relire nos classiques ne consiste pas à remâcher et rabâcher les clichés d'une littérature rébarbative mais, au contraire, c'est comprendre à la lumière du « miracle grec » d'où nous venons et où nous allons dans notre humanité dont le destin, ouvert, est menacé aujourd'hui plus que jamais.
Sélection BD / Mangas et jeux de société
La ludo-médiathèque vous présente sa sélection de coups de coeur BD / mangas de cette fin d'année à déposer au pied du sapin ou à venir emprunter à la ludo-médiathèque.
Sélection jeunesse
Les ludo-médiathécaires vous présentent leurs coups de coeur de cette fin d'année, à emprunter dans vos médiathèques ou à offrir durant les fêtes.
Albums numériques et interactifs
Trois petits contes pour attendre Noël.

Toute la vérité sur le père Noël
Livre numérique interactif | Balpe, Anne-Gaëlle | 2012
On raconte des tas de choses sur le Père Noël. Des choses tellement improbables parfois, qu’on est en droit de se demander si elles sont vraies ! Avec humour et légèreté, Anne-Gaëlle Balpe nous donne une version du Père Noël,...

Le père Noël débutant
Livre numérique interactif | Raisson, Gwendoline | 2011
Mais qu’est-ce qu’un père Noël peut bien faire dans une maison en plein mois de juillet ? Alors qu’Emma, confortablement allongée dans une chaise longue, s’apprête à plonger dans son magazine préféré, elle entend un bruit sus...

Les Noëls de Trouquelune
Livre numérique interactif | Dutruch, Cathy | 2018
« A Trouquelune, ce soir qu’on aimait de décembre, voyait venir des cerfs aux bois dorés, des biches aux yeux tendres, les castors énervés, qui racontaient la rivière en se grattant sans cesse, un renard édenté, un loup un pe...
Humour en BD
La BD et l'humour, c'est une longue histoire d'amour, et ce dès les origines de la BD au 19e siècle en Europe et aux Etats-Unis, où le registre satirique et humoristique faisait le bonheur des lecteurs dans la presse puis sous forme d'albums. Saviez-vous qu'on appelait les "comics book" américains parce qu'ils étaient... comiques !? L'humour continue de briller jusqu'à nos jours, en passant par des célèbres revues tels que Pilote, Fluide Glacial ou encore l'Echo des Savanes qui ont marqué l'histoire de la BD en contribuant au genre.
Contre la grisaille et la morosité, vos bibliothécaires vous proposent une sélection pour faire travailler vos zygomatiques ! Humour noir, comique de situation, comique de mots, autodérision, parodie ou encore humour absurde, vous y trouverez forcément votre goût (pour rire) !
BD du réel, BD documentaire
La BD documentaire ou du réel, trouve ses origines dans les revues underground et le roman graphique américain des années 60-70, notamment avec Will Eisner et surtout avec le « Maus » de Art Spiegelman, qui relate le passé d’un rescapé de la Shoah. Le format s’exporte progressivement en Europe et ouvre de nouvelles perspectives pour un neuvième art longtemps associé au divertissement.
Chaque œuvre utilise à sa manière les ressorts de la bande dessinée, usant de personnages réels ou fictifs, dans des styles et registres différents, des plus sérieux au plus humoristiques. Récit de voyage, reportage journalistique, chronique sociale, biographie, autobiographie ou encore témoignage de la petite histoire à la Grande Histoire... La BD est devenue un média d'information à part entière !
Collection "Une Heure Lumière"
Le Bélial est une maison d'édition qui publie depuis 1996 des romans de science fiction, des romans de fantasy mais aussi des romans fantastique. L'équipe a récemment créé une nouvelle collection baptisée "Une Heure Lumière" qui correspond d'après leur site à "la distance que parcourt un photon dans le vide en 3600 secondes, soit plus d'un milliard de kilomètres. Une distance supérieure à celle séparant Jupiter du Soleil." Ce sont des courts textes (ils peuvent être lus en une heure) inédits rédigés par les les plus grandes plumes de la Science Fiction française ou étrangère, des textes parfois récompensés par des prix prestigieux comme le prix Hugo ou Nebula. Profitez de l'été pour vous plonger dans une lecture dépaysante qui vous enverra aux confins de la galaxie !
Des cabanes pour l'été
Imagine près de la rivière, un endroit secret mais à partager... où tu pourrais trouver refuge tout l'été, où tu prendrais le temps de rêver, d'apprendre à siffler, à grimper aux arbres, où tu guetterais, bien caché, les indiens de la clairière d'à côté.
Imagine le coucher du soleil et une nuit pleine d'étoiles... dans le ciel...dans les yeux.
Les bd de votre été
L'été arrive! C'est l’occasion de s'évader, de rêver, de découvrir, de voyager et d'élargir ses horizons à travers les bulles et les lettres... Donc autant le faire avec une bonne BD à portée de main ! Mais que lire ? C'est pourquoi vos bibliothécaires volent à votre secours et ont préparé rien que pour vous une large sélection aux petits oignons de BD, mangas et comics pour accompagner les beaux jours. Des BD rafraîchissantes à consommer sans modération !
#Préparonslété
Petites lectures de l'été
Venez découvrir une douce sélection de livres qui invite petits et grands au voyage pour cet été !
Jardinage et bien-être
Culture des légumes sous abris
Un très bon livre pour apprendre comment cultiver sous divers abris (serres, tunnels, coffres, etc...), comprendre les techniques pour obtenir de meilleurs rendements de façon écologique.
Changer le scénario de votre vie
Apprenez à générer votre cerveau pour le nourrir de positivité, changer sa façon de penser, isoler ses problèmes par des stratégies et passer à l'action pour régler la situation.
Tous ces bons conseils dans ce petit livre plein d'astuces pour vous ouvrir aux autres et prendre confiance en vous.
Far West
A la conquête de l'Ouest américain

Le saloon des derniers mots doux / Larry McMu...
Livre | McMurtry, Larry. Auteur | 2015
A la fin du XIXe siècle, entre le Kansas et le Nouveau Mexique, les cow-boys Wyatt Earp et Doc Holliday errent de ville en ville, observant impuissants les derniers instants du Grand Ouest sauvage. Un monde qui leur échappe, dans ...

Lonesome Dove. 2 / Larry McMurtry
Livre | McMurtry, Larry. Auteur | 2011
Le périple d'Augustus McRae et de Woodrow Call sur la route dangereuse du Montana se poursuit. De nombreuses épreuves attendent encore le convoi et les hommes devront tour à tour affronter des éléments déchaînés, des pillards et l...

Lonesome Dove. 1 / Larry McMurtry
Livre | McMurtry, Larry. Auteur | 2011
Par l'auteur de La Dernière séance et Texasville. Lonesome Dove est une randonnée épique qui transporte le lecteur des étendues arides du Rio Grande aux plateaux du Montana avec son cortège de drames et de bonheurs. Prix Pulitzer ...

Loup de Pluie. 2 / scénario Jean Dufaux, dess...
Livre | Dufaux, Jean. Auteur | 2013
Blanche est retenue prisonnière par les Cody, qui réclament vengeance. Ils acceptent de libérer la jeune fille en échange de Loup de Pluie. La famille Mc Dell a une semaine pour négocier et éviter l'explosion de violence, car Loup...

Loup de Pluie. 1 / scénario Jean Dufaux, dess...
Livre | Dufaux, Jean. Auteur | 2012
Fils d'un grand entrepreneur ferroviaire, Jack s'éprend de l'Indienne Petite Lune. Son frère Bruce prend sous sa protection Loup de Pluie qui a tué un Blanc pour se défendre. Le clan Cody, qui traque le fuyard, enlève leur soeur, ...

Contrée indienne / Dorothy M. Johnson
Livre | Johnson, Dorothy Marie (1905-1984). Auteur | 2013
Cette spécialiste du western est morte en 1984, à l'âge de 79 ans. Elle a écrit des romans, une biographie de Sitting Bull, plusieurs livres historiques sur le Montana, une autobiographie et des livres pour enfants. Ses nouvelles ...
Adaptation romans/Bandes dessinées
Ces dernières années ont vu fleurir avec succès des bandes dessinées tirées de romans. Quel meilleur moyen que la BD pour faire (re)découvrir la beauté d'une œuvre littéraire ? Ainsi nous vous proposons l'original et l'adaptation de deux romans ados qui valent le détour :
En 2003, Anne-Laure Bondoux publie Les larmes de l'assassin. Avec plus de 20 récompenses et une quinzaine de traductions, ce texte est devenu un roman culte.
« C'est dans la maison du bout du monde, au Chili, que vit Pablo avec sa famille. Ils reçoivent un jour la visite d'un truand, un assassin recherché, Angel Allegria. Après avoir éliminé les parents, Angel va apprivoiser Pablo et tous deux vont s'entraider pour survivre dans un milieu aride et hostile. »
En 2011, Thierry Murat adapte librement en BD Les larmes de l'assassin. Il a su retraduire avec délicatesse la sensibilité des personnages et nous interroger sur la complexité des sentiments humains.
Quant à Guillaume Guéraud, autre figure de proue de la littérature pour adolescents, il publie en 2006 Je mourrai pas gibier. Prix sorcières 2007, ce court roman inspiré d'un fait divers est percutant.
«Mortagne, patelin de 1249 habitants, est divisé en 2 clans : ceux de la vigne et ceux du bois avec un seul point commun, les parties de chasse. Martial lui, pour échapper à cette fatalité, étudie la mécanique et sympathise avec Térence, le souffre-douleur du village. Lorsque ce dernier se fait une nouvelle fois agressé, Martial pète un plomb et profite du mariage de son frère pour se venger. »
Alfred adapte ce roman tragique en bande dessinée en 2009. Avec son dessin sombre et dense, il recrée parfaitement l'ambiance haineuse du village. Il utilise le même procédé de narration que le romancier, le flash back. L'album souligne la tension brutale du texte mais décrit avec sobriété et pudeur l'atrocité de la réalité.
Je conseille à tous ces titres car il n'y a pas d'âge pour lire ces quatre œuvres émouvantes et magnifiques.
Les conseils du club lecture confiné
"Livre et vous" est le rendez-vous mensuel des lecteurs, des lectrices et des médiathécaires qui partagent leurs coups de cœur et leurs lectures du moment. Découvrons ensemble les (re)lectures effectuées pendant la période du confinement. Parfois des commentaires ont été laissés.... Continuons ensemble le fil de la dicussion !

Le quart / Níkos Kavvadías
Livre | Kavvadias, Nikos. Auteur | 2008
Unique roman du poète N. Kavvadias dans lequel des marins grecs à bord du cargo Pythéas en partance pour la Chine se trouvent ballottés de port en port, de bordels en minables petits trafics. Entre deux escales, ils ressassent leu...

Arrête avec tes mensonges / Philippe Besson
Livre | Besson, Philippe. Auteur | 2017
De passage dans sa région natale, le narrateur, qui n'est autre que P. Besson, aperçoit au détour d'une rue une silhouette dont la ressemblance avec son premier amour le frappe immédiatement. La rencontre a eu lieu vingt-cinq ans ...

Murène : roman / Valentine Goby
Livre | Goby, Valentine. Auteur | 2019
Durant l'hiver 1956, François, 22 ans, perd ses bras dans un accident. Un jour, par-delà la vitre d'un aquarium, une murène lui réinvente un avenir et le propulse dans une aventure singulière, celle des balbutiements du handisport...

Le pique-nique des orphelins / Louise Erdrich...
Livre | Erdrich, Louise. Auteur | 2016
1932. Karl, 14 ans, et Mary, 11 ans, abandonnés par leur mère et meurtris par l'enlèvement de leur jeune frère, Jude, partent en train de marchandise dans le Dakota du Nord, espérant trouver refuge chez leur tante Fritzie. Ainsi d...

Le Chiendent / Raymond Queneau
Livre | Queneau, Raymond. Auteur | 1974
Depuis qu'elle avait vu un homme écrasé, vers les 5 heures de l'après-midi, devant la gare du Nord, Mme Cloche était enchantée. Naturellement elle disait qu'elle n'avait jamais vu une chose plus horrible que ça; et il devait en êt...

Homme de ménage / Anton Valens
Livre | Valens, Anton. Auteur | 2010
Un jeune artiste s'inscrit dans une agence d'intérim et devient aide à domicile. Sa vie de bohème prend alors une tournure inattendue, et ses multiples employeurs deviennent ses pires angoisses comme ses plus belles rencontres. Pr...

Pastorale américaine / Philip Roth
Livre | Roth, Philip. Auteur | 2001
Après trente-six ans, Zuckerman l'écrivain retrouve Seymour Levov dit "le Suédois", l'athlète fétiche de son lycée de Newark. Toujours aussi splendide, Levov l'invincible, le généreux, l'idole des années de guerre, le petit-fils d...

Chanson douce / Leïla Slimani
Livre | Slimani, Leïla. Auteur | 2016
Lorsque Myriam reprend son activité professionnelle, elle et son mari engagent Louise pour s'occuper de leurs deux enfants. Cette dernière prend bientôt une place excessive dans le foyer. Cette situation conduit la famille à un dr...

Orlando / Virginia Woolf
Livre | Woolf, Virginia. Auteur | 2001
Roman à clés multiples, $$Orlando$$ est essentiellement le roman de l'androgynie, l'histoire d'un homme qui devient une femme, une allégorie qui est un aveu, une biographie où s'abolissent les limites des deux sexes en même temps ...

Papa : roman / Régis Jauffret
Livre | Jauffret, Régis. Auteur | 2020
Quand l'auteur aperçoit sur un documentaire d'archives son père arrêté par la Gestapo en 1943, il décide de remonter à la source de cet enregistrement. Il saisit alors l'occasion d'évoquer à la fois la figure paternelle et son enf...